Erwin Redl à la Fondation Groupe EdF

 

Erwin Redl à  la Fondation Groupe EdF

© Vincent Baillais – agence TOMA

© Vincent Baillais – agence TOMA

Cet artiste de cinquante-cinq ans, d’origine autrichienne, vit à Bowling Green, Ohio et à New York  depuis 1993. Après un master en art numérique à la School of visual arts de New York et une licence en composition musicale à l’Université de Vienne, il a souvent réalisé des installations aux proportions architecturales comme au Whitney Museum of American art en 2002  avec une grille de lumières LED recouvrant toute la façade. Ses œuvres font partie, entre autres, des collections des institutions du Whitney mais aussi du Musée d’art contemporain de San Diego, du Borusan Contemporary à Istanbul…

Ici, dans cette ancienne sous-station électrique de 400 m2, réaménagée en salles d’exposition,  Erwin Redl a réalisé  -et c’est la première fois en France-  une installation lumineuse avec des amploules-leds suspendues à de dizaines de fils au rez-de-chaussée dans un puits jusqu’au premier étage. La lumière, sans jamais s’éteindre, varie lentement entre le rouge et le bleu. Soit « le spectre chromatique visible ainsi que celui des émotions humaines. Le rouge représente l’extrême de la sensualité  et le bleu, son contrepoint froid et rationnel. L’expérience esthétique immersive alliée aux aspects technologiques particulièrement sophistiqués brouille la frontière entre réel et virtuel. »

Erwin Redl place ainsi le visiteur au cœur même de son installation lumineuse qui peut s’y déplacer à volonté. Et on éprouve vite à condition de jouer un peu le jeu, une sorte de déstabilisation du corps,  quand on pénétrer dans ces séries de petites ampoules suspendues. Avec un regard à la verticale, à l’horizontale et surtout à la diagonale jusqu’en bas. Suprême raffinement, comment dire les choses : on se sent presque flotter dans ce grand espace où l’on a une autre perception mentale spatio-temporelle de son corps. Et les enfants encore plus fascinés que leurs parents, se réjouissaient d’y pénétrer. Même s’il faut sans doute ne pas y rester trop longtemps, les éclairages leds émettant une proportion importante de lumière bleue, avec de courtes longueurs d’onde: pas des meilleures pour les yeux.

Une expérience sensorielle qui rappelle celle de la danseuse américaine Loïe Fuller ; en 1892, elle faisait éclairer son solo par des projecteurs aux gélatines colorées avec sans doute un pouvoir hypnotique évident. Là aussi c’était il y a  plus d’un siècle déjà une expérimentation artistique de tout premier ordre sur la nature de la lumière et sur les ondes qu’elle dégage sur des spectateurs. Même si ; à l’époque, ils étaient assis dans un espace traditionnel.

Deux autres pièces mais moins intéressantes sont aussi présentées dans de petits espaces avec le même système d’ampoules leds rouges et bleues : Reflection, on Patterns and Signs v2 et Dial, White-Red White-Blue v2. Mais ne ratez surtout pas cette installation qui ouvre de belles perspectives aux scénographes, metteurs en scène et chorégraphes…

Philippe du Vignal

Fondation Groupe EdF, impasse Récamier, Paris VI ème, tout près du métro Sèvres-Babylone. (Entrée gratuite), jusqu’au 3 février.

 


Archive pour 26 décembre, 2018

Mallé en son exil, un film de Denis Gheerbrant

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Mallé en son exil, un film de Denis Gheerbrant

Le cinéaste, après avoir fait l’I.D.H.E.C. , ex F.E.M.I.S., a tourné, il y a trente ans, son premier film, Printemps de square avec les jeunes d’un quartier du XV ème arrondissement de Paris.Jusqu’en 1990, il  a été directeur de la photo, et réalise aussi des documentaires que l’on connaît bien maintenant comme Amour rue de Lappe (1984), Question d’identité (1986),  Et la vie (1991), La Vie est immense et pleine de dangers (1994). Grands comme le monde (1998), Le Voyage à la mer (2002), Après un voyage (dans le Rwanda) (2004), La république Marseille, une suite de sept films en six heures (2009).

 Et le très remarqué On a grèvé ( 2014) sur les femmes de ménage  d’une grande chaîne hôtelière à Paris, qui refusaient de continuer à se laisser exploiter plus longtemps. Un cinéma disons, pour faire vite: social, où il pointe toutes les difficultés du vivre ensemble et les conflits qui révèlent des injustices criantes dont les chers énarques  ne soupçonnaient même pas l’importance.

Comme d’habitude, il filme seul et reste très discret, voire presque invisible (il s’est juste, l’espace d’un instant, montré caméra à l’épaule dans un miroir comme avec une signature à la Hitchcock) Et c’est lui qui pose des questions apparemment anodines mais en fait très précises. On voit d’abord Mallé, un travailleur émigré malien en plein hiver, dans un Paris enneigé et une banlieue pauvre, puis dans un RER au petit matin, plein d’émigrés africains levés très tôt, pour que les immeubles d’habitation, les bureaux des ministères, les grandes banques des Champs-Elysées soient bien propres à 9 h. Et cela pour un salaire minimum.

Le cinéaste a travaillé à faire émerger doucement la parole de Mallé que l’on voit dans sa pauvre petite chambre de foyer qu’il partage avec un autre Malien. Il l’a filmé pendant cinq ans et on sent une certaine complicité entre eux, attentifs l’un à l’autre. Ils ont travaillé ensemble pour dire la vie de ces hommes que les Français aperçoivent dans le métro, tassés de fatigue, et à qui ils ne parlent jamais. « Quand je filme seul, dit le cinéaste, ce qui m’intéresse, c’est de casser le flux du vécu. » (…)  » Mon regard ne soutient plus la relation. C’est le fait de filmer qui est la relation. C’est violent, c’est beau et c’est fort, et là on fait un film pour les autres, qui n’en est jamais l’enregistrement. »

Et les images aussi anodines sont en réalité d’une grande force. «La manifestation de la vérité implique l’incarnation de la parole dans la chair des images, dit Marie-José Mondzain.» Ici, le visage de Mallé, aux traits souvent énigmatiques, la lumière dans les feuilles d’arbre, la nourriture sommaire dans un bol plastique, son beau costume pour les sorties dans une housse accroché une au mur… On l’entend parfois mal mais il s’exprime dans un français impeccable avec beaucoup de nuances…
 On entend la conversation qu’il a au téléphone, avec sa femme au Mali qu’il engueule mais dont  il nous dit qu’il l’aime, même s’il ne l’a pas vue depuis sept ans qu’il n’est pas retourné chez lui. Il ne se plaint pas, gagne peu avec des journées interminables: on le voit nettoyer des halls d’immeuble, sortir et rentrer sans fin les poubelles à Paris, comme à Montreuil où il habite. Son honneur à lui, le noble dans son pays et l’esclave ou presque, en France: envoyer chaque mois de quoi faire vivre sa famille. Il fera tout, dit-il, pour que ses enfants puissent faire des études et ne connaissent jamais ce qu’il a dû subir en France.

Puis Denis Gheerbrant qu’on sent alors un peu mal à l’aise, pose la question du statut de la  femme au Mali. «Il y a deux choses là-bas que les Français sont contre ça, dit Mallé, la polygamie et l’excision. » Autrement dit: nous sommes chez nous et ne vous mêlez pas, vous les ex-colonisateurs, de notre façon de vivre, de notre sexualité et de nos coutumes. « La revendication d’égalité devant la loi entre les hommes et les femmes, écrivait déjà Juliette Minces, il y a plus de vingt ans, dans Le Coran et les femmes,  le désir de justice et de liberté, tout ce qui fonde nos valeurs et qui s’est révélé universel, est soudain mis sous le boisseau au nom du respect de la différence. »  Et les grands puissances laissent faire: la démocratie a ses limites. Et Mallé n’éprouve aucune gêne pour dire que dans son pays, la règle absolue est la nécessité d’avoir un supérieur. Il a donc là-bas une famille d’esclaves à sa disposition, qu’il a reçue en héritage de son père. Mallé explique aussi que la polygamie et l’excision sont une bonne chose et un héritage de ses ancêtres nobles: les Soninké, des hommes libres, que l’on doit respecter. Et il trouve ces pratiques -encore très fréquentes- absolument normales, même s’il précise bien qu’elles ne sont pas obligatoires !

Intelligent et débrouillard, Mallé vit depuis quelque vingt ans en région parisienne et les déplacements en bus et métro comme la vie quotidienne ne lui posent plus aucune difficulté. Curieux et informé, il a la culture d’un homme du XXI ème dans une grande agglomération occidentale mais il a aussi celle de ses ancêtres qui fonde son identité. Et il  avoue que sa femme et ses filles aient été excisées! Là, cela bloque: Denis Gheerbrant, très pudique, ne dit rien mais, malgré leur complicité, il lui dit très franchement qu’en France, c’est un crime. Mallé reste sur ses positions, et ne veut en aucun cas renier ce qu’il nomme: respect de la tradition et des ancêtres. Il parle beaucoup mais a bien du mal à soutenir l’insoutenable. Jusque là, sympathique, l’homme le devient alors  beaucoup moins.

Une  tension perceptible monte alors dans le dialogue et l’empathie en prend un coup. «Mais il m’ébranle, remarque Denis Gheerbrant, je me dois et je lui dois de m’exprimer. J’essaie de faire ce que j’attends d’un film : qu’il change mon regard, qu’il me permette de rendre à l’autre sa complexité de personne et de sujet. » En une heure quarante, le cinéaste, caméra à l’épaule, réussit avec une grande maîtrise, cette difficile épreuve où un étranger ouvre son univers face caméra, et où il nous plonge dans un monde très éloigné de nous, pourtant géographiquement si proche. «Une différence qui ne fournit rien à l’esprit, n’est pas une différence, disait déjà Goethe ». Et là, on est comblé. Ne ratez pas ce film bien réalisé dont un des grands mérites est de poser des questions auxquelles ni Mallé ni les spectateurs ne peuvent apporter de vraie  réponse…

Philippe du Vignal

Film vu au festival Cinéma du réel, le 21 décembre, Centre Georges Pompidou, Paris IV ème.


A partir du 16 janvier, Espace Saint-Michel, 7 Place Saint-Michel, Paris V ème.

 

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