Livres et revues
Jeu n° 169
Fondée en 1976 et publiée quatre fois par an, cette revue québécoise est la seule francophone en Amérique du Nord consacrée aux arts du spectacle. Avec toujours de bons articles et documents sur la mise en scène et l’interprétation au théâtre mais aussi sur la chorégraphie ou le cirque…
Au sommaire de ce numéro paru en décembre, un texte sur la pratique chorégraphique d’Andrew Tay par Laurane Van Branteghem. La dernière création de cet artiste né en Ontario Fame Prayer / EATING, a été présentée au Théâtre la Chapelle en avril dernier. En collaboration avec François Lalumière, artiste visuel de Montréal et Katarzyna Szugajew photographe polonaise mais aussi sculptrice et performeuse. Intérêt commun : leur intérêt pour le corps nu, le corps comme matière.
Ils se sont rencontrés en dansant pour la chorégraphe viennoise Doris Uhlich dans la pièce More Than Naked avec vingt interprètes dont une DJ, tous nus sur scène. Avec Fame Prayer / EATING, Andrew Tay veut, dit-il, explorer le domaine de la spiritualité et de l’esthétique queer. Il y aussi un texte sur le chorégraphe et interprète Raimund Hoghe qu’on avait pu en Avignon cet été (voir Le Théâtre du Blog).
Sous la direction de Raymond Bertin, il y aussi un le dossier très complet sur la formation de l’acteur. Que ce soit dans les écoles mais aussi dans les formations continues (ateliers, stages, classes de maître) . Et il y a aussi un article de Lise Roy qui parle des visites qu’elle a faites dans les écoles de théâtre de Stockholm.
Ralph Elawani signe lui, une enquête sur l’affaire Sicotte qui a secoué le Québec il y a un an et sur les leçons que l’on a pu en tirer. Il s’agit de la mise en cause d’un comédien et enseignant qui n’a pas été accusé de crimes de nature sexuelle mais un reportage de Radio-Canada, très controversé, révéla que la direction du Conservatoire venait de suspendre un de ses professeurs Gilbert Sicotte. Quelques-uns parmi ses anciens élèves témoignent de ses méthodes d’enseignement selon eux «excessives et abusives». Par ailleurs, trente-deux élèves le défendirent alors dans une lettre, mais il sera licencié en février. L’affaire amènera les écoles de théâtre à faire leur auto-critique et à prévoir des mesures, pour éviter, par l’entremise d’une « ombudsperson », tout harcèlement ou comportement inapproprié. Bref, la question demeure en filigrane: qu’est-ce qu’un bon pédagogue? Il ne peut sûrement plus avoir le profil de ceux qui exerçaient, il y a une vingtaine d’années, que ce soit dans un lycée, ou une école de théâtre ? Mais les Québécois se demandent avec juste raison si Gilbert Siccote n’a pas été dans toute cette histoire à rallonges, une sorte de bouc émissaire?
La Gravité de Steve Paxton, traduction de Denise Luccioni
Ce danseur, chorégraphe, et surtout pédagogue américain de soixante-dix neuf ans, a travaillé avec Merce Cunningham dès 1961. Il aborda la pratique de l’aïkido en 65 à Tokyo et a été un des membres fondateurs du fameux Judson ChurchTheater l’année suivante avec Trisha Brown. Il travailla avec elle mais aussi excusez du peu avec Yvonne Rainer, Robert Rauschenberg, et Lucinda Childs. Il fondera avec Anne Kilcoine en 86, Touchdown, une structure en Angleterre qui offre aux mal-voyants la possibilité de danser.
Il enseigne le contact improvisation, une danse improvisée qui s’est beaucoup développée en Europe, surtout aux Pays-Bas et en Angleterre. Avec comme principes fondamentaux pour les mouvements du corps en contact avec d’autres corps: fluidité dans la transmission et la réception du poids, prise d’initiative, réflexes et empathie physique innée. Avec une grande importance accordée à la colonne vertébrale et aux mouvements du bassin. Et à la conscience de l’effet de gravité sur nos tissus. « La gravité, dit-il, est une force, une force naturelle. » Il y a de belles phrases qui ressemblent à un haïku comme : « Que fait mon corps, lorsque je n’en suis pas conscient. » Ou cet hommage à la marche : « Nous apprenons à marcher seuls. « (…) « Elle devient ensuite le fondement de tous nos mouvements, la source d’une grande part de la danse. » Mais Steve Paxton n’aura cessé d’expérimenter et de montrer dans ses spectacles « la fragmentation du mouvement dans le temps en particules d’expérience qui peut atteindre l’infinitésimal. »
Ce petit livre de 80 pages qui rassemble différents textes qu’il a écrits entre 2005 et 2008 et qui témoignent d’une bel essai de compréhension et d’une recherche intransigeante sur la déconstruction en chorégraphie. Et Steve Paxton, on l’oublie souvent, a eu une influence considérable sur toute la danse contemporaine.
Editions Contredanse, Bruxelles 2018. 12€
Frictions n° 30
En introduction, un très bon édito de Jean-Pierre Han : Nos petites lâchetés, où il parle de la fonction de metteur en scène qui, dit-il non sans raison, commence à être remise en cause, alors qu’elle a connu son heure de gloire depuis une cinquantaine d’années avec, notamment une relecture des classiques (Roger Planchon puis Patrice Chéreau…. Au profit des collectifs (on parlait souvent après 1968 de « création collective » sans qu’on sache mieux ce que cela recouvrait en termes d’autorité ni en méthodes de travail.
Jean-Pierre Han a aussi raison quand il s’en prend à une partie de la critique qui «se pâme souvent devant ce qui n’est que poudre aux yeux». On l’a vu encore récemment avec cette pathétique Ecole des Femmes montée par Stéphane Braunschweig et trop souvent encensée. On ne dira jamais assez les effets pervers du snobisme dans l’accueil d’un spectacle. Et tout se passe trop souvent comme s’il y avait des metteurs en scène sanctuarisés et comme la critique avait peur d’un possible retour de manivelle. Mais, grand Dieux, de qui et lequel ?
Au sommaire de ce nouveau numéro, un texte d’André S. Labarthe disparu cette année, un article de la philosophe Marie-José Mondzain, très riche comme comme toujours, sur la relation de l’être humain aux images et sur la relation de demande qu’établit l’industrie de fabrication des images. En lien direct, bien entendu, précise-t-elle, avec l’économie de marché. Et comment les flux télévisuels provoquent un saccage subjectif. Une analyse, pas toujours facile à lire en l’absence de paragraphes mais des plus lucides.
Signalons aussi une sorte de confession sur son métier de clown et jongleur Nikolaus, et sur l’école de cirque de Châlons-en-Champagne. Et enfin, des extraits d’un beau texte d’Eugène Durif La Danse arrêtée de Lucia Joyce : cette pièce a été créée ce mois-ci à Villeneuve-d’Ascq avec Nadège Prugnard.
Frictions n° 30 . 14 €
Philippe du Vignal