Je suis la Bête d’Anne Sibran, mise en scène de Julie Delille

Festival impatience:

Je suis la Bête d’Anne Sibran, mise en scène de Julie Delille

IMG_1329L’obscurité domine le spectacle, plongé d’abord plusieurs minutes dans le noir total et le fameux « quatrième mur » a disparu. Le silence a ici valeur de manifeste et le public se sent invité, bon gré mal gré, dans un monde sauvage, loin de notre société de consommation. Une atmosphère intranquille, mais fascinante et poétique, ne nous quittera plus. « Et soudain, toutes les paupières s’écartent, en une fois, en même temps. Toutes les paupières des bêtes descendues jusque là, dévalé la montagne pour regarder les hommes en face. Leur ouvrir ces pupilles luisantes comme des miroirs tendus. » (…) « Ainsi, la forêt s’embrase d’une prodigieuse attention où ce qui se cachait depuis toujours, est plus présent que l’arbre. »
    
Sur le plateau nu, la magnifique création lumière et son, d’une forte puissance dramatique, fait naître tout un paysage. Celui de la forêt, d’un espace d’avant l’époque industrielle où l’homme et la bête ne faisaient pas forcément bon ménage. Et ce n’est pas toujours l »animal pensant » selon les mots d’Aristote, le plus humain des deux… Une sorte de conte où, comme dans une autre création du festival Impatience, Les Loups, nous retrouvons ici les thèmes de l’animalité, de la nature, du monde dit civilisé, et de la culture !
 
Seule sur le plateau, Méline (Julie Delille) livre son expérience de la société, après avoir été arrachée à la forêt où elle a grandi: «Les bêtes ont le silence, et les hommes ont les mots. La langue peut dire : la bête est moins que l’homme. Et la bête se tait. » (…)  «Les bêtes n’ont pas de larmes, c’est une eau qui part dans leur salive. Les bêtes ne savent pas pleurer. Car il faut la parole pour nourrir un chagrin et le faire durer… » Le langage articulé, propriété des seuls humains, peut être plus cruel que les griffes ou les crocs d’un animal. Abandonnée dans un placard par ses parents à son plus jeune âge, à la lisière de la forêt, Méline en sait quelque chose ! Une grosse chatte aux mamelles pleines la détourne de cette fatalité, la nourrit, la chauffe et la protège, et elle lui apprendra plus tard la forêt: jusqu’à ses six ans, l’enfant quadrupède survit, chasse et pêche, glapit, miaule et gratte dans les sous-bois. Avant de se faire capturer par un vieil apiculteur qui lui fait réintégrer la société. Nature ou « civilisation »? Jusqu’où l’humain peut-il disparaître chez un individu, et sous quelle forme peut-il réapparaître au contact des gens ou de la Nature? Méline trouvera-t-elle sa place dans la société, ou restera-t-elle un monstre, à la recherche sans fin d’un lieu où il ferait bon vivre….

Avec une langue puissante, crue et organique, et grâce à un cache-cache entre lumière et obscurité, Julie Delille raconte la vie intérieure de Méline, ses joies et ses douleurs, ses traumatismes et ses rêves. La mise en scène d’une grande beauté visuelle et sonore donne toute son intensité à ce conte dramatique. Mais l’interprète de cet animal-enfant à la fois sauvage et pensant, n’a pas toujours la force pour dire cette confrontation entre nature et civilisation,

Elisabeth Naud

Spectacle vu au Cent Quatre, 5 rue Curial Paris, XIX ème. T. : 01 53 35 50 00.

Le Festival Impatience se poursuit jusqu’au 12 décembre.


Archive pour décembre, 2018

C’est la Phèdre! d’après Phèdre de Sénèque, mise en scène de Jean Joudé

Phèdre

Festival Impatience:

C’est la Phèdre! d’après Phèdre de Sénèque, traduction de Florence Dupont, adaptation de Thibaut d’Abbesses, mise en scène de Jean Joudé

Le spectacle est issu d’une résidence l’an passé au festival Les Effusions  en Normandie, soit un travail de trois semaines avec des acteurs musiciens, poètes et metteurs en scène… Il a déjà été présenté au Conservatoire national, puis joué au Théâtre de Belleville. Parfaitement rodé, il tente de repenser la forme même du spectacle tragique. Et en essayant de créer une intensité de jeu dramatique et musical.
 
C’est l’histoire de Phèdre, racontée par Euripide mais revue par Sénèque: elle dit à sa Nourrice qu’elle aime Hippolyte; celle-ci a essayé de l’en dissuader et le Chœur se plaint des ravages que fait l’amour. Phèdre apparaît en chasseresse pour plaire à Hippolyte à qui la Nourrice veut faire goûter, mais en vain, aux plaisirs érotiques… Phèdre et sa Nourrice vont alors  le calomnier. Thésée, de retour des Enfers, apprend de la Nourrice que sa maîtresse préfère mourir plutôt que de lui révéler la  violence qu’elle a subie. Thésée menace alors la Nourrice  pour savoir la vérité mais elle lui montre l’épée d’Hippolyte; Thésée la reconnaît et souhaite que son fils puise mourir. Pour le chœur, les gens de bien sont menacés, et les méchants récompensés. Un messager annonce alors qu’Hippolyte a été  déchiré par ses chevaux, épouvantés par un taureau marin envoyé par Neptune, sur ordre de Thésée. Hippolyte est innocent, Phèdre avoue son crime et se tue.  Le père regrette que son fils soit mort, et lui accorde une véritable sépulture… qu’il refusera à Phèdre. Soit deux morts un jeune homme et une jeune femme, à la fin de cette tragédie.

Et selon ce collectif des Bourlingueurs dans une note d’intention des plus prétentieuses. Avec cette adaptation, “L’énergie est punk d’emblée, brutale. On transpire, on sue comme dans la fosse d’un concert. Le jeu maintient cette intensité : on joue sur l’avant-scène, fortement, sans crier jamais, mais avec autorité, les yeux rivés sur le public. (…) La musique sert de partenaire, de coryphée, crée un décor sonore. La batterie cavale, donne une pulsion tribale et primaire, porte le comédien, le suit, le contraint à l’énergie d’un James Brown ou des icônes du rock. Porté par cette énergie, l’acteur creuse en lui jusqu’à effleurer, en résonance avec la parole de Sénèque, le secret archaïque de l’homme, un état de transe dénué de psychologie, une énergie épurée et décuplée, fondue dans le souffle et dans les corps tendus vers l’essentiel. (…) Ils rivalisent de grandeur, électrifient. En collaboration avec un poète-dramaturge, la fonction du chœur a été repensée, réinventée.”

De jeunes comédiens issus du Conservatoire National et deux musiciens, Clément Cliquet et Grégoire Letouvet, ont eu envie de se confronter au  texte de Sénèque, sans doute moins connu que celui d’Euripide mais d’une rare poésie, malgré certaines longueurs. Sénèque et ses tragédies que faisait découvrir la regrettée Madeleine Marion aux élèves de l’Ecole du Théâtre National de Chaillot, absolument fascinés par la modernité de ses dialogues.

Sur un petit plateau nu, les restants d’une fête avec des chaises de jardin, une table nappée de blanc couverte de nombreux verres et bouteilles, éclairée par une guirlande de petites ampoules  multicolores accrochée à un pied de parasol excentré. Dans le fond, un cercueil, et côté cour, piano, guitare, batterie derrière une grande bassine pleine de bouteilles de bière vides… Dans cette version soi-disant contemporaine, Phèdre est en tailleur-pantalon noir strict, la Nourrice en short, les hommes en costume ou en salopette… Pourquoi pas, on en a vu d’autres, même si c’est un peu facile! Dans cette adaptation, la maudite écriture, dite de plateau, c’est à dire fondée en partie sur des impros,  semble encore avoir frappé et on ne sent pas ici de véritable direction d’acteurs.

Cela dit (et c’est quand même le minimum syndical!) Théo Chédeville, Gabriel Acremant, Lucie Grunstein, Sipan Mouradian et Isis Ravel ont une bonne diction et font le boulot mais bizarrement, l’ensemble reste froid et il n’y a guère d’émotion qui passe. Seule Maïa Foucault (La Nourrice) a une vraie présence, et arrive à faire passer le texte. Et parfois, on glane les pépites du texte, comme: « J’ai perdu le goût de la religion, dit Phèdre, Assez d’offrandes, de prières, de processions. Le seul roi, c’est l’Amour et il règne sur moi”. Ou la tirade de la nourrice quand elle s’adresse au jeune et bel Hippolyte: “Pourquoi couches-tu seul/Romps ce jeûne sinistre, laisse galoper ta jeunesse. Cours/Ne laisse pas échapper le meilleur de la vie”. « Je pleure, dit Thésée à propos d’Hippolyte, non parce que je l’ai tué, mais parce que je l’ai perdu. »

Contrairement à ce que dit la note d’intention, les acteurs criaillent, la plupart du temps face public avec ou sans micro, mais accompagnés par une musique assourdissante qui se voudrait dialogue avec le texte. Mais on est loin du compte et cette mise en scène indigente ne fonctionne pas. Et quant au chœur incarné ici par une jeune actrice, le “poète-dramaturge” (sic) ne réussit guère à le « réinventer », comme il le dit un peu vite. Plus grave: on ne croit pas à cette prétendue fête, à toute cette énergie dépensée sur le plateau, et on s’ennuie vite. Et le metteur en scène, qui ne doit pas aller souvent au théâtre, croit innover mais enfile les banalités: jeu très statique à la Stanislas Nordey, entrées par la salle, et petites provocations, du genre vues et revues: musicien qui répond au téléphone, ou qui rote après avoir bu une canette de bière d’un seul coup, etc. Tous aux abris!

Non, on ne sort pas du spectacle « sonné et vivifié, boosté d’adrénaline, avec un désir de grandeur, mais satisfait d’un désastre porté jusqu’à son comble.” (sic) Non, le théâtre de Sénèque « avec toute sa puissance sale, sa grandeur macabre, contemporain parce qu’éternel » (sic) n’est pas là du tout! Et, comme le dit Andrei Tarkowski, « Le Temps apparait quand il est ressenti, au-delà des événements comme le poids de la vérité » et ce qui est valable pour un film, l’est aussi pour une pièce. Mais cela fait ici cruellement défaut. « Le Temps, dit le Chœur, te mine en silence, et l’heure qui vient, est toujours plus belle que la précédente. » Mais on ne sent justement pas dans cette mise en scène, le ralentissement et l’accélération de cette temporalité, la conscience de la jeunesse et de la vieillesse, du monde des vivants et celui des morts, et surtout l’accord entre la durée de l’action et celle de la représentation, alors que cela participe de l’expression même du tragique  chez  Sénèque, et en particulier dans Phèdre.

Et on a seulement droit à une parodie qui se voudrait contemporaine mais qui manque de solidité. Moralité: associer un texte de Sénèque à de la musique contemporaine mais sans véritable projet dramaturgique, ne peut faire spectacle. Après trois ans passés au Conservatoire national, et plus d’un an après la création, le metteur en scène qui semble se prendre très au sérieux, n’a pas les moyens de ses ambitions. Il y a donc quelque part un certain déficit dans l’enseignement, et Claire Lasne, à la tête de cette prestigieuse institution, devrait d’urgence revoir  les  choses… Enfin, ces jeunes comédiens auront découvert Sénèque et, comme le disait Antoine Vitez, « Au moins, ils se seront rencontrés là ». Mais pour le reste, autant en emporte le vent d’automne!

Philippe du Vignal

Spectacle vu le 7 décembre, salle du Jeune Théâtre National, 13 rue des Lions Saint-Paul, Paris IVème. T. : 01 48 04 86 40.

 

 

Rêve et folie de Georg Trakl, mise en scène de Claude Régy

 

Rêve et Folie de Georg Trakl, traduction de Marc Petit et Jean-Claude Schneider, mise en scène de Claude Régy

Pascal Victor/ArtComArt

Pascal Victor/ArtComArt

Le poète autrichien Georg Trakl (1887-1914), étoile fulgurante au souffle rimbaldien et admirateur de Dostoïevski, connut une vie brève et douloureusement intense, marquée par la drogue, l’alcool et une relation incestueuse avec sa sœur Margarete … Et il connut une insertion sociale difficile, troublée par  la crainte de la folie et la culpabilité.

L’horrible Grande Guerre va poursuivre, néfaste, le poète qui, pharmacien-soldat sur le front  de Grodek, meurt à l’hôpital, en 1914 d’une surdose de cocaïne. Accident ou suicide? Une fin énigmatique. La poésie de Georg Trakl, d’inspiration expressionniste, signe la modernité d’avant 1914. Et Sébastien en rêve s’apparente à une douce folie: solennité religieuse et figure mythique de Sébastien supplicié et martyr : souffrance et douleur, angoisse et mort.

Un paysage de nuit et brouillard, dans un mouvement de déclin, folie, putréfaction et mélancolie. Ici,  le paradis enfantin est perdu à jamais, et l’inceste sororal est l’une des images de rejet : « Ma vie s’est brisée. (…) Dites-moi que je ne suis pas fou. Je suis plongé dans une obscurité de pierre. Ô mon ami, comme je suis devenu petit et malheureux.» Rêve et Folie, poème en prose autobiographique, résonne d’une musique apocalyptique et prophétise le cataclysme occidental du début du XX ème siècle.

Claude Régy, attiré par un sentiment existentiel, entre souffle et disparition, interstice entre vie et la mort, crée ici un spectacle-performance lumineux -vrai soleil noir- avec l’un de ses comédiens attitrés, Yann Boudaud.  Sallahdyn Khatir a imaginé une cellule d’ombre : un dessous d’arche de pont, une forme ovale englobant le comédien, comme un œil immense qu’habiterait en son centre l’interprète-iris. Il s’y déplace lentement, et avec lenteur et précaution s’étire les bras en croix et lève doucement une jambe, avant de la reposer délicatement sur le sol. Du fond de la scène, l’homme s’approche des spectateurs attentifs au verbe poétique de Georg Trakl qui  frappe les esprits, avec une caverne platonicienne d’images visuelles colorées et sensorielles, des scènes fortes comme la mort du père et le visage blafard maternel, l’enfance perdue et la mort s’avançant à pas lents. Bref, un vrai cauchemar expressionniste. Le poète pourtant progresse sans relâche dans sa folle avancée, errant dans le froid et le givre où l’être se sent seul.

Reviennent en mémoire les pierres glacées d’un monastère avec son caveau, sa chambre des morts aux mains tachées de vert. L’envers du jour est un thème obsessionnel: le promeneur erre dans une «nuit étoilée», un «jardin étoilé», «sous la lune blanche» ou «la nuit argentée de la lune», et si l’aube rougeoyante offre des reflets lumineux aux surfaces glacées de la montagne, les rencontres sont souvent annonciatrices de mort.

Le marcheur viole un enfant, figure de sa sœur dont le visage ressemble étrangement au sien. Il étrangle un chat, coupe le cou d’une colombe, et dénombre toutes les traces de putréfaction qui blessent le regard du vivant. Dans l’embrasure d’une porte, à travers une prose poétique suffocante, apparaît l’ombre maternelle et souvent celle de la sœur, ou parfois d’un ange. Remords et culpabilité rongent sourdement le poète à l’éloquence tendue, figure onirique enserrée dans le silence et les sons sourds de Philippe Cacchia, un bruit oppressant de moteur de lourde machine ou d’élévateur…

Comment mieux dire l’absence de Dieu et la solitude absolue de l’homme? Le poète évoque le poids sur ses épaules, d’une race maudite: celle de la faute et du péché. Après une telle expérience, on relit Claude Régy: «Il y a un courage dans la vitalité, incompréhensible, fabuleux, de vivre jour après jour. (…) Il y a, probablement, une force de vie qui est en nous, qui est déposée, qui fait qu’on encaisse tout, parce qu’on a besoin de continuer.» Rêve et Folie témoigne de cette persévérance à être, et à exister malgré tout, grâce à Georg Trakl, Claude Régy et Yann Boudaud.

Véronique Hotte

Nanterre-Amandiers, 7 avenue Pablo Picasso, Nanterre (Hauts-de-Seine), jusqu’au 16 décembre. T. : 01 46 14 70 00

Crépuscule et déclin et Sébastien en rêve  sont publiés chez Poésie Gallimard.

Écrits 1991-2011 de Claude Régy, Solitaires Intempestifs.

 

Les Loups, texte et mise en scène de Jean Le Peltier

Festival Impatience:

Les Loups, texte et mise en scène de Jean Le Peltier
        
les-loups-jean-le-peltier-300dpi-1024x728Une immense toile plastifiée, blanc gris nacré et froissée par endroits, envahit toute la surface du plateau et le mur du fond. Au centre,  une petite porte ronde et bleu pétrole d’un abri ? d’une tente?  Où sommes-nous? En Antarctique, avec des chercheurs chargés d’une mission scientifique. Les voilà déambulant tous en slip, courant en cercle, torse nu et en chaussettes. Moment d’une drôlerie irrésistible: ils se sont perdus ou ont perdu la boussole ? Seul, autre présence en ce lieu désertique et hostile, un pingouin joue du tambour et chante avec le timbre de Tom Waits.

Mais épuisés, perdant connaissance, nos chers scientifiques décident de rompre avec ce qui les lie à la civilisation, et de se comporter comme des loups. Vont-ils trouver ainsi une issue ? Il s’agit alors de transformer l’espace de glace en territoire, et le trio Cécile, Pierrick et Jean, en société. Atmosphère poétique et loufoque, spectacle entre absurde et conte philosophique. Cette pièce pleine d’humour sur la condition humaine, ses atouts et ses faiblesses, joyeusement menée au début, va progressivement s’essouffler.

De bons comédiens, une scénographie sobre mais évocatrice, un choix musical original mais  la fable se prend les pieds dans le tapis! En effet, l’auteur n’arrive pas à affiner sa dramaturgie et assez vite les personnages livrés à eux-même, se confrontent au degré zéro de l’«Humanité», une animalité qui est la seule à avoir un  langage articulé qui, ici, peut s’avérer plus brutal que des crocs et des griffes. Mais l’attention du public s’émousse, les personnages sont à la dérive… et le spectacle aussi!

Elisabeth Naud

Spectacle vu au Cent Quatre, 5 rue Curial Paris XIX ème. T. :01 53 35 50 00.

Le Festival Impatience se poursuit jusqu’au 12 décembre.  
 
 

F(я)iction, spectacle de fin d’études, trentième promotion, mise en scène d’Antoine Rigot et Alice Ronfard de la compagnie des Colporteurs

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F(я)ICTION, spectacle de fin d’études, trentième promotion du Centre National des Arts du cirque, mise en scène d’Antoine Rigot et Alice Ronfard

Le C.N.A.C. est un établissement supérieur et de recherche. Inauguré en 1986 dans le cirque municipal de Châlons-en-Champagne construit à la fin du XIXe siècle par l’architecte Louis Gillet, et ensuite dans les années cinquante, voué à des matchs de catch… Inscrit au titre des Monuments historique depuis 1984,  il a aussi depuis trois ans, de nouveaux espaces de travail sur le site de la Marnaise, situé à proximité.

Il dépend du ministère de la Culture et attribue depuis 2015, le Dnsp AC -Diplôme national supérieur professionnel d’artiste de cirque, à l’issue d’un cursus de trois ans en collaboration avec l’Ecole nationale des arts du cirque (Enacr) de Rosny-sous-Bois assurant la formation en première année. Et depuis 2012, le C.N.A.C. participe au Bac L-option arts du cirque,  au lycée Pierre Bayen de  Châlons-en-Champagne, et assure aussi des formations pour les professionnels du cirque…

La compagnie des Colporteurs  fondée en 96, s’associa à celle des Nouveaux Nez pour imaginer il y a dix ans, La Cascade, Pôle national des arts du cirque à Bourg-Saint-Andéol (Ardèche) et produit et diffuse ses spectacles sous chapiteau. Antoine Rigot a été formé à l’Ecole Nationale du Cirque Annie Fratellini. Et Alice Ronfard a mis en scène une trentaine de pièces  au Canada et a récemment  Candide de Voltaire au Théâtre du Nouveau Monde à Montréal où elle avait aussi créé L’Imposture (voir Le Théâtre du Blog).

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© Christophe Raynaud de Lage :

Oui, mais voilà : la direction des jeunes interprètes et la mise en scène n’ont rien à voir avec celles des remarquables présentations de fin d’études précédentes. Les numéros se succèdent mais souvent sans rythme et ne font pas spectacle. Et la référence à Shakespeare est des plus floues. «Inspirés par les thèmes que propose La Tempête, s’appuyant sur un travail d’écritures et d’improvisations, les Colporteurs ont invité ces jeunes artistes circassiens à partir à la recherche d’un un univers et d’une identité qui leur est propre et où tout est possible. Un monde inversé, celui de la création et du fantastique, de l’autre côté du miroir. Le défi était de parvenir à créer une forme autant théâtrale que circassienne, un cirque qui parle à la communauté, qui donne du sens à la performativité. »

On veut bien, mais cette note d’intention assez prétentieuse n’aboutit sur rien de bien convaincant… Quelle déception! Et pour un cirque qui, soi-disant, «donne du sens à la performativité», il faudra repasser ! Nous ne vous conseillons pas du tout ce pseudo-spectacle. Et encore une fois, les jeunes circassiens, leur énergie et le haut niveau de leurs performances ne sont pas ici en cause.

Philippe du Vignal

Centre national des Arts du Cirque, Châlons-en-Champagne (Marne) jusqu’au 15 décembre.

Paris,  Parc de la Villette, du 23 janvier au 17 février. Cirque Théâtre d’Elbeuf (Seine-Maritime). Pôle national Cirque-Normandie, dans le cadre du festival Spring, du 29 au 31 mars. Théâtre municipal de Charleville-Mézières (Ardennes), du  19 au  22 mars.
Le Manège, Scène nationale de Reims (Marne), du 12 au 14 avril. Montigny-lès-Metz  (Moselle), du 20 au 22 avril.

 

 

Richard II scène III, acte III

  3DDDFEFF-6895-4650-A96C-23F616DFC052Richard II de William Shakespeare, scène III, acte III

Richard II:

« Que doit faire le roi maintenant? Se soumettre? Le Roi le fera. Se déposer? Le Roi acceptera. Perdre le nom de Roi? Au nom de Dieu, je le laisse filer. J’échange mes bijoux contre un chapelet, mon somptueux palais contre un couvent. Mes habits élégants contre un habit de mendiant. Mes verres décorés contre un plat en bois. Mon sceptre contre un bâton de marche. Mes sujets contre deux saints sculptés.  Et mon très grand royaume contre une petite tombe. Une toute petite, petite, petite tombe. Très sombre. Je consens même à être enterré sur la route royale, sur la route la plus fréquentée pour que les pieds de mes sujets puissent à toute heure, fouler la tête de leur souverain. Vivant, ils marchent bien sur mon cœur; une fois enterré, pourquoi pas sur ma tête. »

 

Bérénice Paysages, d’après Racine, mise en scène de Frédéric Fisbach

Bérénice Paysages, d’après Racine, mise en scène de Frédéric Fisbach

 BereniceUn homme, peut-être un acteur sorti de scène, se démaquille, boit, grignote et marmonne un texte à peine audible. Il consulte parfois son portable, écoute de la musique. On pénètre en quelque sorte dans l’intimité d’un comédien après une représentation. A voix basse, sous une lumière tamisée, il ne cesse de dire le texte de Racine, comme s’il le « déjouait », comme pour se l’enlever de la tête. Ou comme lors d’une italienne :répétition rapide par un acteur d’un texte sans les intonations, juste pour se le mettre en bouche. Parfois, il bute, et se reprend.

On fait le parallèle entre cet homme seul dans sa loge, et la pièce de Racine qui parle de séparation et de devoir. Bérénice, reine de Palestine, espère épouser Titus qui ne peut lui rendre son amour : il est empereur de Rome et  le mariage avec une étrangère lui est interdit. Bérénice dédaigne Antiochus, amoureux silencieux. Le comédien qui consulte régulièrement son téléphone, est peut-être, lui aussi,  un amant éconduit.

 Frédéric Fisbach revient à cette pièce, après l’avoir montée en 2001 : «Par amour pour cette langue, pour ce poème de la séparation. J’avais envie de faire entendre ce poème, quitte à le malmener un peu ; d’entrer dedans, de le découper, de l’épuiser, dans le corps d’une actrice ou d’un acteur. Cela fait longtemps que je cherchais un corps qui puisse accueillir ces paroles, un corps mi-homme/mi-femme, ou angélique et dont la voix nous emporte et fasse exister tour à tour Bérénice, Titus, Antiochus… Un corps poétique qui exalte cette langue. »

 Mathieu Montanier incarne cet homme féminin, avec des mouvements amples et graciles. Une partition difficile puisqu’il lui faut jouer souvent à voix basse et bousculer la petite musique naturelle de la versification. Il y arrive très bien, peut-être trop bien. On s’attend à une évolution, on se dit que peut-être ces silences mèneront vers quelque chose et on aimerait que les personnages pénètrent l’acteur et qu’ils s’incarnent en lui. Mais Mathieu Montanier reste fidèle à une rigueur sans concession, un peu austère pour le spectateur qui entend le texte avec difficulté, s’il ne le possède pas parfaitement. Et la diction de l’acteur met à mal la musique des vers, malgré une démarche cohérente et une mise en scène rigoureuse… Bref, un objet scénique original! Fréderic Fisbach présentera Convulsions d’Hakim Bah (voir Le Théâtre du Blog) à Théâtre Ouvert, du 18 janvier au 9 février, avec un travail habité de bruit et de fureur donc aux antipodes de cette Bérénice Paysages.

Julien Barsan

Jusqu’au 30 décembre, Théâtre de Belleville, 94 rue du Faubourg du Temple, Paris XI ème. T. : 01 48 06 72 343.

Macadam Animal, d’Olivia Rosenthal et Eryck Abecassis

Macadam Animal, d’Olivia Rosenthal et Eryck Abecassis

 

261DD365-ADF2-4C46-9B40-4CD4DECBA1DDIls sont là, dans le villes, furtifs et effrayants : rats, parasites, corbeaux de mauvaise augure. On les chasse, on dératise, on éradique. Pourtant, ils sont utiles à la  communauté urbaine : les rats tolérés, car l’équilibre de l’espèce est préservé, assureraient une grande part de l’élimination des ordures organiques. Du travail silencieux, mais efficace. Et les termites ? Toujours au pluriel : c’est leur vertigineuse organisation qui fait peur, et leur silence : ils (car Termite est masculin…) sapent nos maisons, rendent fragiles nos refuges, au lieu de travailler à leur tâche naturelle, qui est d’aérer la terre. Mais quelle terre en ville ? 

Olivia Rosenthal a choisi de réhabiliter les «nuisibles», ou du moins d’inviter à jeter un autre regard sur eux, et sur ce que la mondialisation du commerce déverse sur nous d’ «invasifs». Frelon d’Asie, crabes bleus du Mexique : leur exotisme fait peur, on n’est pas loin des fantasmes du «péril jaune» ou du “grand remplacemet“. Bien sûr, le propos d’Olivia Rosenthalest politique, mettant en images cette peur de l’autre qui gangrène le monde, l’animal étant le premier «autre», le plus proche. Elle insiste, dans une très belle et trop longue séquence vidéo, sur les énormes échanges de marchandises dans un port de containers. À peine quelques fourmis humaines : on assiste à un ballet de portiques et d’énormes tracteurs déplaçant les richesses cachées de la mondialisation. Mais les larves des crabes prennent aussi les cargos… On empêche le passage des hommes, mais les espèces sauvages se glissent où elles veulent. L‘argent et le profit aussi, déduisons-nous « en creux » de ces images. 

Macadam Animal  n’est pas à proprement parler un spectacle, mais plutôt une performance à trois avec un écran, une conteuse-conférencière et un musicien. Eryck Abecassis joue -on aurait envie d’écrire: jouit- de toutes les possibilités de son instrument électronique. Il peut le faire rugir, frissonner, chanter, siffler, évoquer et feutrer le cri du corbeau. Le foisonnement même des fils électriques, projetés en ombre sur l’écran, évoque une jungle. Même si l’on regrette qu’Olivia Rosenthal n’ait pas demandé un “regard extérieur“ qui ait fait “monter“ encore la performance, on ne peut qu’y être sensible, charmé et interrogé par son caractère poétique, politique et gentiment pédagogique. On n’oubliera pas les jolies images vidéo de l’introspection du corbeau : dois-je piquer du bec cette fraise, ou en ramasser trois ? Ni les réponses des enfants de Bobigny (Olivia Rosenthal y était en résidence) aux questions sur les animaux qu’ils connaissent : « j’ai vu un écureuil en vrai ! ». Bref, on a rarement l’occasion d’évoquer la mondialisation, les questions écologiques et même les questions philosophiques avec autant de poésie et d’humour.

Christine Friedel

MC 93 à Bobigny (93) jusqu’au 8/12 18h30 – T. 01 41 60 72 72 .

A lire, entre autres : Olivia Rosenthal Que font les Rennes après Noël (folio), prix du livre Inter 2011

Aglaé, texte et mise en scène de Jean-Michel Rabeux, d’après les mots d’Aglaé


Aglaé, texte et mise en scène de Jean-Michel Rabeux, d’après les mots d’Aglaé 
C’est la reprise d’un spectacle joué l’an dernier avec grand succès (voir Le Théâtre du Blog). Nous sommes dans la salle Topor de quatre vingt-six places, assis en carré, autour de tabourets dispersés. Au-dessus de nos têtes, des tuyaux lumineux dont l’intensité varie au fur et à mesure du véritable témoignage d’une prostituée de soixante-quinze ans qui exerce toujours son métier avec joie. Elle avait commencé dès douze ans avec les amis de son frère… Dans un coin, de nombreux verres qu’elle absorbe gaiement au fil du spectacle. Elle entre en combinaison noire, avec des lunettes excentriques. Il y a un palmier et une cigogne à chaque coin de la salle. «Très tôt, je rendais service, mais pas gratuit, ça m’intéressait, mais ne m’excitait pas. J’ai fait des branlettes à Sarcelles à mon frère Arthur, dans la cave de l’immeuble, l’argent, je m’en foutais. Pour mes parents, j’étais secrétaire de direction chez Alstom, j’en ai raconté des bobards!  (…) Je me suis mariée et j’ai fait un gosse, ça, c’est la vraie connerie de ma vie !»

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 Elle enlève ses lunettes, circule parmi les spectateurs : «J’ai trop de personnalité, et en plus, je suis emmerdante, si j’avais pas mon fils, je serais complètement heureuse. Mon fils c’est ma plaie, c’est pour ça que j’ai lu des livres, après, j’en ai soupé ! (…) Une pute, c’est pas une salope, y-a pas de honte, j’aime le client. Un jour, un client sort un martinet, il me demande de le fouetter avec ! Cela m’est arrivé à moi aussi …J’aimais ça, les spécialités et la rue, j’aimais aussi. Il est gendarme mon fils ! Un prince arabe, je l’appelais Loukoum, lui, je l’ai aimé.  Tout prince qu’il était, y tremblait ! Trop de fric, c’est de la merde, ça les rend fous. Cela me plait de plaire encore à mon âge… »

La lumière baisse. « J’ai pris huit ans, la prison c’est nul !  (…) Un jour mon mari m’a dit :  ça fait quinze ans qu’on s’aime pas ! Ils ont tous les droits, les flics. (….) Mes petits-enfants : « Qu’est-ce qu’elle fait Mémé? Mémé, elle suce des bites! » (…) T’es rien qu’un bout de bidoche quand tu poses, ça devrait être remboursé par la Sécurité Sociale pour les pauvres.(…) Mon fils devenu policier, il est chauve maintenant, mon fils, mon fils, mon fils ! »

La lumière baisse puis s’éteint. Un triomphe d’applaudissements salue cette extraordinaire performance, à la fois joyeuse et désespérée, d’une grande actrice, complice de toujours de Jean-Michel Rabeux, qui a aussi travaillé avec Claude Régy, Bruno Bayen, Jacques Lassalle, Philippe Adrien…

Edith Rappoport

Théâtre du Rond-Point, 1 bis avenue Franklin D. Roosevelt, Paris VIII ème, jusqu’au 30 décembre. T. : 01 44 95 88 00.

Lettre à Helga de Bergvseinn Birgisson, mise en scène de Claude Bonin

 

Lettre à Helga de Bergsveinn Birgisson, mise en scène de Claude Bonin

GAL2-1Le roman épistolaire de cet écrivain islandais La Lettre à Helga, paru dans son pays en 2010, a été traduit, notamment en français et a rencontré un grand succès. On est le 29 août 1997, le vieux Bjarni Gislasson, barbu, dresseur de chevaux en Islande, tripote une pierre devant un mur de planches derrière laquelle on perçoit des éclats lumineux. Il vit dans une cabane de pêcheur et raconte une mort, celle d’un amour violent qu’il n’a su partager jusqu’au bout.

«L’agonie a duré cinq ans! ». Il se lave, se remémore la séduction d’une jeune femme qu’il n’a pu suivre à la ville. «Je me mis à avoir envie de toi, Helga! Tu m’as tout dit !». Il vide des sacs pleins de laine de brebis qu’il tripote convulsivement. « J’étais expert-palpeur (…) J’ai compris que je ne réussirai jamais à me libérer de ton histoire… ». Le mur de planches s’abat et laisse apparaître un paysage de montagnes qui vibre au son de la musique de Nicolas Perrin.

Il touche les planches, en évoquant les caresses prodiguées à son amante : «Il y a ceux qui allument la flamme et ceux qui en profitent! Croire au bonheur et se l’approprier, les rêves s’envolent comme les panneaux qui s’écroulent. » Helga habite maintenant en ville avec l’enfant conçu avec son amant et travaille à la télévision. «L’être humain peut faire de grands rêves sur un petit oreiller! » Incapable de quitter sa lande, Bjarni y finira ses jours.

Un solo onirique sur l’amour de la terre d’Islande, bien interprété par Roland Depauw, avec de belles résonances artistiques, et musicales…

Edith Rappoport

Théâtre de l’Epée de Bois, Cartoucherie de Vincennes, route du Champ de manœuvre. jusqu’au 22 décembre. T. : 01 48 08 39 74.

Lettre à Helga est publié aux éditions Zulma (2013).

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