Sylvia, d’après Sylvia Plath, mise en scène de Fabrice Murgia, musique d’An Pierlé

 

Sylvia, d’après l’œuvre de Sylvia Plath, mise en scène de Fabrice Murgia, musique d’An Pierlé

 

© Hubert Amiel

© Hubert Amiel

Sylvia Plath (1932-1963) et Ted Hughes (1930-1998) furent un couple mythique de 56 à 63, et leurs œuvres poétiques rayonnent encore un peu partout dans le monde. La romancière néerlandaise Connie Palmen revient  avec une fable symbolique Ton histoire mon histoire.
L’Américaine rencontre l’Anglais en 1956, à une fête sur le campus de Cambridge. «Elle, la fougueuse Américaine, aux allures de star hollywoodienne, venue terminer un master de littérature anglaise, en Europe; lui, le beau gosse rêveur, foudroyé sur le coup par son double féminin. Quatre mois plus tard, ils sont mariés, animés par une même volonté de tout sacrifier à l’écriture.» Mais la réalité et les petites amertumes : failles de Sylvia et infidélités de Ted prennent le dessus. Et elle, à trente ans, se donne la mort une nuit de l’hiver 63, seule avec ses jeunes enfants, en se mettant la tête dans un four à gaz! Une vie gâchée, malgré la force d’une écriture poétique dont la reconnaissance aura été tardive… Ce beau spectacle, entre théâtre, cinéma et musique, commence, et finit par ce même suicide avec quelques citations, entre autres, de Virginia Woolf qui s’est elle aussi suicidée, …

Fabrice Murgia, directeur du Théâtre National Wallonie-Bruxelles, s’empare de la vie  et de l’âme de l’artiste, à partir de ses journaux, nouvelles et essais. Il invente de façon magistrale un opéra pop original pour une chanteuse et des actrices, mis en musique par la comédienne et compositrice belge An Pierlé. Accompagnée de son quartet , elle chante la voix intérieure de l’héroïne: un univers à la fois sensuel, entre énergie pop et douce mélancolie souriante. Sur scène, un plateau de tournage avec décors mobiles: des escaliers menant à deux plateaux, à jardin et à cour. Avec, d’un côté, les musiciens, et de l’autre, la chanteuse au piano. Avant la représentation, défilent à l’écran, des extraits de films hollywoodiens des années cinquante avec des jeunes filles radieuses. Mais on le devine, elles finiront malheureusement, selon Sylvia Plath, comme sculptée par Duane Hanson (1925-1996), cette vulgaire et grosse Supermarket Lady-Caddie ou Supermarket shopper (1969). Une triste représentation de la  classe moyenne féminine aux Etats-Unis, victime de la société de consommation et manipulée par la publicité! Soit l’image inversée du rêve américain: des femmes encore jeunes qui n’ont rien plus rien d’attirant! «Je suis horrifiée de rejoindre l’expression du rêve américain dans mon désir d’avoir une maison et des enfants… C’est ironique, mon rêve à moi n’est pas le rêve américain: c’est écrire des histoires de femmes drôles et tendres. Mais je dois aussi être drôle et tendre, et non pas une femme désespérée, comme ma mère.»

A jardin, un studio pour enregistrer la voix de la narratrice au micro, et, à cour, la maison familiale où Sylvia, le plus souvent seule, est confinée dans un couloir étroit, accrochée à son téléphone noir. Les comédiennes incarnent tour à tour ce personnage, en passant de la gaieté à la peine… Des femmes actives qui échangent, prêtent, empruntent, et reprennent ou redonnent leur rôle dans une jolie danse. Soit l’occasion d’allers et retours sur la jeunesse festive de Sylvia. Fabrice Murgia recrée de petits halls d’investigation personnelle comme cette salle de bal estudiantine, ou un vestiaire où des jeunes femmes, doubles de l’héroïne, figures joyeuses du cinéma hollywoodien,  se déshabillent et s’habillent de jupes romantiques en tulle pour la fête, ou plus simples et colorées pour la vie de tous les jours.

Sur le plateau de tournage, un film en train de se faire et ses coulisses, un espace entre l’être et le rôle, la réalité et la fiction, le rêve et le quotidien. Avec une équipe de tournage au travail: «Coupez!» «Action!» autour de Juliette Van Dormael, la chef-opératrice aux commandes,  superposant les images, celles du film que l’on tourne et celles des coulisses. Ils sont une vingtaine à venir saluer: comédiennes, techniciens, chanteuse… On échappe ici à ce que la poétesse redoutait: la mort de l’imagination. Avec, ici, un spectacle, à la fois tonique et espiègle et le regard bienveillant de Fabrice Murgia sur le monde.

 Véronique Hotte

Les Théâtrales Charles Dullin, Théâtre Jean Vilar, Vitry-sur-Seine, les 5 et 6 décembre.

Le Central, La Louvière (Belgique), le 14 mars; Théâtres en Dracénie, Draguignan (Var), le 19 mars. Le Carré, Sainte-Maxime (Var), le 22 mars. Mars-Mons-Arts de la Scène, Mons (Belgique), le 26 mars.
Toneelhuis & Opera 21, de Singel, Anvers (Belgique), les 25 et 26 avril.
Operadagen festival, Rotterdam (Pays-Bas), le 20 mai.

Ton histoire mon histoire, traduction d’Arlette Ounanian, est publié chez Actes Sud.


Archive pour décembre, 2018

Les Bouillonnantes textes de Nadège Prugnard et Koffi Kwahulé, mise en scène de Carole Thibaut

Les Bouillonnantes, textes de Nadège Prugnard et Koffi Kwahulé, mise en scène de Carole Thibaut

 

©Heloise Faure

©Heloise Faure

Elles bouillonnent, ces paroles de femmes, recueillies par Nadège Prugnard dans les campagnes du Bourbonnais, et par Koffi Kwahulé dans un quartier populaire de Montluçon. Recomposées par ces écrivain.e.s,  elles muent en un concert poético-rock, avec trois comédiennes et deux musicien.e.s, sur la musique de Camille Rocailleux.  Depuis qu’elle a pris la direction du théâtre des Îlets à Montluçon, Carole Thibaut mène un projet d’ancrage et de rencontres dans les territoires avoisinants, baptisé TIM (Territoire, Identité, Mémoire) : « Il s’agit de comprendre en profondeur (…) l’histoire d’un territoire rural, d’une petite ville bouleversée par le développement spectaculaire de l’industrie, puis par la fermeture des usines. De ces territoires, qu’on a appelés aussi les “zones blanches“ De cette histoire, il est plus que temps aujourd’hui, de faire récit »
 
Les Bouillonnantes qu’elle met en scène, s’inscrit dans cette démarche, parmi d’autres initiatives tout au long de la saison, notamment sur la mémoire ouvrière ou les questions migratoires. Mais, au-delà du documentaire, la pièce constitue un geste artistique. De ces écritures qui se croisent, celle de Nadège Prugnard est prépondérante, le spectacle se focalisant sur la question des femmes en milieu rural. «J’ai essayé de synthétiser ces paroles dans le champ du poétique, dit-elle, avec trois personnages. J’ai besoin de traverser tout cela par le poème et la chanson. »

Les récits de ce trio de solitudes s’entrelacent et se répondent: Lili, l’amoureuse, la rêveuse, rencontre Pierrot au bal des conscrits, au son d’une fanfare tonitruante qui joue Que je t’aime, de Johnny Hallyday… Elle dit son émoi avec délicatesse, incarnée par Valérie Schwarhz. «J’ai rougi /Que je t’aime il a dit /Et nos bouches se sont collées/Et nos langues avalées /Et nos corps enfoncés nos corps bouillonnaient/ Les pieds dans la flaque du 14 juillet… » Plus rude et guerrière, Rose (Nadège Prugnard)  essaye de s’en sortir, depuis qu’elle a enterré sa grand mère, et son chien…» Je suis seule, je suis Rose /je suis rien/ Je voulais être pilote de ligne mécanicienne, créer des œuvres métalliques, des tableaux de chaudronnerie, des maisons de fer mais je suis seule je suis rien je m’appelle Rose pleine d’épines et de chagrin (…) / Je suis quelqu’un /Je m’appelle Rose Mais personne/ Personne /ne s’en souvient »  Puis le long cri de Marianne (Carole Thibaut), femme de paysan, qui découvre son mari pendu, pour cause de dettes. «Désolée si je suis en colère mais aujourd’hui c’est mon mari que j’enterre (…) Une flaque de larmes (…) Ils crucifient l’agriculture, ils ne savent pas ce qu’ils font (…) la faucheuse est dans la pré… »

Dans ce spectacle à trois voix, celles de centaines de vies croisées par Nadège Prugnard, s’intercale les bribes d’un épisode plus urbain, conté par Koffi Kwahulé : la démolition d’un quartier. « Rasé. /Quelque chose qui était là̀ / Et quelque chose qui ne sera plus jamais là. /Rasé. /Ça a été comme un saut dans le vide./ Un peu comme quand on a coupé la tête au roi./  On l’a vu ça, La France, elle n’a plus été comme avant.(…)  Son texte Rasé fera l’objet d’un prochain spectacle.
De la disparition d’un pâté d’immeubles, à la déréliction et à la solitude des campagnes, les femmes racontent ces territoires perdus de la République, cette France périphérique dont les gens occupent aujourd’hui les carrefours, en gilet jaune. Elles prennent ici la parole et disent la colère populaire. Comme  Marianne qui parle pour les 738 agriculteurs suicidés en 2.016, chiffre au-dessous de la réalité selon une spectatrice, membre d’une association d’agricultrices, Dfam03 Allier, partie prenante de ce projet.

Ici, grâce au talent d’une équipe, des histoires issues de ce coin de France profonde deviennent une œuvre littéraire et théâtrale dont d’autres metteurs en scène pourraient s’emparer. Un pari tenu par Carole Thibaut: « Il s’agit de faire  résonner ce qui, de l’histoire de Montluçon et de ses environs, dessine une histoire universelle. (…) Il s’agit d’en faire surgir la poésie, d’ inventer des formes, des langages. »  Reste à faire voyager Les Bouillonnantes au-delà de leurs frontières.

Mireille Davidovici.

Spectacle créé au Théâtre de Îlets, du 4 au 7 décembre,  Espace Boris Vian, 27 rue des Faucheroux, Montluçon (Allier). T. :04 70 0386 13.

Association Dfam03 Allier : http://fdgeda03allier.canalblog.com/

Le Prince travesti ou l’Illustre Aventurier de Marivaux, mise en scène d’Yves Beaunesne

Le Prince travesti ou l’illustre aventurier de Marivaux, mise en scène d’Yves Beaunesne

©Guy Delahaye

©Guy Delahaye

 Les comédiens-italiens ordinaires du roi créent Le Prince travesti, le 5 février 1724, une comédie héroïque «di cappa e spada » napolitaine de princes et roturiers -, ou une tragi-comédie manquée. « Une histoire où un prince destiné à régner se déguise en aventurier, où une princesse régnante devient amoureuse de cet aventurier et veut l’épouser, où un roi régnant se déguise lui aussi et se fait passer pour son propre ambassadeur, où un nigaud de valet risque de faire tourner à la tragédie ce carnaval. »

Une intrigue romanesque comme Marivaux aimait en inventer et où le prince de Léon se dit aventurier pour mieux explorer le monde, apprendre à gouverner, s’initier à une existence digne et humaniste et enfin rencontrer l’amour. Il sauve par hasard la princesse Hortense  qui sera veuve bientôt: un coup de foudre réciproque. Mais elle doit rejoindre son époux, et quitte à regret le prince. Il s’engage dans l’armée de la princesse de Barcelone où il remporte une victoire. Et  cette jeune femme est prête à lui livrer son cœur et le gouvernement. Mais Lélio retrouve à cette Cour, Hortense, la confidente de la princesse qui ignore que les deux premiers s’aiment en secret depuis qu’il l’a secourue. La princesse, incertaine, charge Hortense de sonder Lélio sur ses intentions.

Comédie d’amour entre Lélio, la princesse et Hortense mais aussi comédie politique lors de la guerre entre l’Aragon et la Castille au XII ème siècle puisque sont évoquées les relations  entre trois royaumes espagnols: Léon, Castille et Aragon. Cela se passe en France et pendant la Régence, cet entre-deux où s’ébranlent les valeurs monarchiques. Frédéric dirige depuis trente ans la politique de Barcelone : dissimulation, mépris et servitude du peuple, avec  déguisements et ruses chez les grands; le roi de Castille apparaît ainsi comme ambassadeur, Lélio tait son titre de Prince. Et du côté du peuple, Arlequin se livre à de basses intrigues. En proie à l’angoisse de ceux qui aiment et de ceux qui calculent pour obtenir argent et pouvoir, Frédéric envie Lélio qui pourrait lui voler la direction des affaires et fait appel à Arlequin pour discréditer son rival. Thomas Condemine crie et gesticule, en fait des tonnes mais valet à la fois nigaud et narquois, il s’essaie à l’acrobatie et aux sauts aériens. Et ce bon agent double vole cuillères en argent et  soutire des pièces d’or.

 Les actrices chantent l’amour, ses joies et ses peines dans des mélodies italiennes composées par Camille Rocailleux et d’une clarté radieuse. Les  chœurs d’hommes, sont justes et beaux, avec, au piano, Valentin Lambert. Maryne Sylf  est une princesse de Barcelone au port majestueux et à la voix cristalline. Elsa Guedj en Hortense, joue de ses sonorités vocales acidulées. Et Johanna Bonnet (Lisette) vive et dansante ne se laisse pas impressionner par son fieffé d’Arlequin.Jean-Claude Drouot (Frédéric) a une belle prestance en administrateur corrompu. Et qu’ils soient ici valets ou princes, les autres acteurs ont une indéniable présence physique. Nicolas Avinée en Lélio d’abord, puis Pierre-Ostoya Magnin  en ambassadeur, se contorsionnent sur un canapé, avec la gestuelle efficace de saltimbanques avisés. Mais toujours en correspondance antithétique avec la langue réglée de Marivaux.

 Damien Caille-Perret, a imaginé une  la scénographie somptueuse avec un mur au lointain,  fait d’un immense rideau rouge sombre et un grand escalier en fer qui descend en spirale des cintres jusqu’au plateau. Belle métaphore des rapports de classe entre le monde d’en haut et celui d’en bas. Il y a aussi un lustre magnifique dans le salon où trônent deux canapés de cuir. Les costumes de Jean-Daniel Vuillermoz évoquent les années cinquante : pantalons larges pour les homme et robes seyantes pour les  femmes.

 Vertiges exquis de la langue: Marivaux n’en finit pas de ciseler ses armes, avant de lancer des pointes sémantiques. Bref, un texte fort  au rythme et à la musique exceptionnels : « Madame, il vous faut un prince ou un homme qui mérite de l’être, c’est la même chose (…) Jeune, aimable, vaillant, généreux et sage, c’est la même chose (…) Donnez à vos sujets un souverain vertueux, ils se consoleront avec sa vertu du défaut de sa naissance. » Le bonheur de ce voyage théâtral : plaisir visuel de la scène et de ses acteurs, et plaisir d’entendre les voix et les musiques, tient aussi à la grande maîtrise d’Yves Beaunesne.

Véronique Hotte

Spectacle vu le  5 décembre à La Piscine-Théâtre Firmin Gémier, à Châtenay-Malabry.

Centre des Bords de Marne, Le-Perreux-sur-Marne le 10 janvier.Scènes du Golfe à Vannes, le 15 janvier.
Scène Nationale 71 à Malakoff, du 23 janvier au 1er février 2019. 
Théâtre Montansier à Versailles, du 6 au 10 février. Scène Nationale d’Alençon, le 26 février. Théâtre Jacques Cœur, Lattes, le 21 mars. Grand Théâtre de Calais, les 28 et 29 mars.

Maison de la Culture de Nevers, le 4 avril.

J’ai des doutes, textes de Raymond Devos, mise en scène de François Morel

J’ai des doutes textes de Raymond Devos, mise en scène de François Morel

 

©Manuelle Toussaint

©Manuelle Toussaint

Le comédien, écrivain et chroniqueur radio nous fait visiter le répertoire de Raymond Devos (1922-2006) et revivre pendant une heure et demi, l’inimitable comique avec la complicité d’Antoine Sahler, auteur de la musique et qui l’accompagne sur scène, en alternance avec Romain Lemire.  Sans singer Raymond Devos qui était aussi mime et jongleur, et qui portait sur le monde un regard à la fois aigu et bienveillant, l’acteur restitue la saveur de son verbe, tout en jeux de mots et en calembours. «Sur scène, j’imagine la rencontre entre Dieu et Devos qui, l’un et l’autre, ont créé des univers… », dit François Morel, qui, tel un magicien, apparaît en ouverture dans un éclair céleste. Enchaînant les sketches, il ménage des plages chantées et quelques pauses poétiques où l’on entend la voix du clown philosophe, venue d’un autre siècle, dans l’émission Radioscopie de Jacques Chancel : une marionnette blanche, fantôme du grand comique, s’impose entre l’acteur et le musicien, formant avec eux un curieux trio.

 «J’ai des doutes, dit François Morel, est né à la demande de Jeanine Roze qui organise les Concerts du dimanche matin au Théâtre des Champs- Élysées, et qui voulait rendre hommage à Raymond Devos à l’occasion des dix ans de sa mort». Avec le titre d’un fameux texte où, jouant à la guitare un air espagnol, Raymond Devos soupçonne naïvement un ami de d’utiliser ses pantoufles, son pyjama, « Et pourquoi pas ma femme! » Cet art de la chute, on l’entend dans ce spectacle,  comme la logique, pas si absurde, d’une écriture économe en mots mais très forte.

Raymond Devos nous manque et nous prenons plaisir à le réentendre, incarné ici avec grâce et tendresse. Un exercice d’admiration réussi. «Ce qui me plaît chez lui, dit François Morel, c’est sa capacité à nous entraîner vers l’imaginaire, à ouvrir des portes, des fenêtres, à nous permettre de nous échapper de la réalité, du quotidien, de la tristesse. » Nous avons tous besoin de ces instants où l’absurde dit le monde, mieux que personne. 

 Mireille Davidovici

 Jusqu’au 6 janvier, Théâtre du Rond-Point, 2 bis avenue Franklin D. Roosevelt, Paris VIII ème. T. : 01 44 95 98 21.

Le Cid, dramaturgie et mise en scène de Gabriel Plante

© Hugo L. Lefort.

© Hugo L. Lefort.

Le Cid,  dramaturgie et mise en scène de Gabriel Plante

Une création en laboratoire à Ottawa… Les expériences de théâtre rituel  en Europe, aux États-Unis et en Grande Bretagne dans les années 60-70 ont mené très loin la création scénique. Rappelons le Marat-Sade de Peter Brook, Le Prince Constant de Jerzy Grotowski, les expériences du Living Théâtre créé par Judith Malina et Julian Beck, ou celles de Richard Schechner directeur du Performance Group à New York et dirigea la revue Drama Review. Le travail en laboratoire et le processus créatif dans le sillage des expériences psycho-physiologiques des anthropologues ont permis de véritables transformations du corps, quand les conventions du théâtre explosaient. Ce joyeux chaos a éliminé les frontières entre des pratiques artistiques considérées comme acquises.

Gabriel Plante, dramaturge montréalais, arrive à la Nouvelle Scène à Ottawa, avec un spectacle étonnant et turbulent dans l’esprit du théâtre d’avant-garde d’il y a cinquante ans déjà. Après un mois de travail en laboratoire avec une équipe de jeune comédiens de sa région: il est parti de l’œuvre de Corneille qu’il a transformé en rituel d’une violence troublante. Une recherche où il met en évidence des acteurs exposés à un choix de situations sélectionnées dans  Le Cid et où les personnages tragiques expriment ici l’expression d’une passion effrénée, brouillant toute communication linguistique habituelle. Structure classique ici abandonnée et narration réduite à peu de choses. Gaston Baty (1885-1952), grand metteur en scène du Cartel qu’il avait fondé avec Georges Pitoeff, Louis Jouvet et Charles Dullin avait écrit dans  Sire le Mot, un chapitre de son remarquable essai Le Masque et l’encensoir  (1926) que «le théâtre devrait opérer l’osmose des passions et fondre un nouvel ordre de réalités», en rejetant l’importance qu’avait pris le texte imposé par le théâtre du dix-septième siècle. Gabriel Plante a relancé le débat au Québec et a fait une incursion très osée dans le domaine de la tradition néo-classique. Il a projeté les personnages de Chimène, Don Rodrigue, l’Infante, Don Diègue, le Comte et le Roi.. dans les brumes d’un espace archaïque où avec un recours aux signes visuels, verbaux et sonores, se libère l’expression de pulsions et de forces animales inouïes.

Mais il est préférable de relire la célèbre pièce pour mieux cerner les relations entre personnages et ensuite on peut se laisser entraîner dans ce monde mystérieux et glauque où des portes surgissent et disparaissent, où certains coins sont à peine éclairées par un spot oblique, et où un espace central avec micros et de sièges semble destiné à un orchestre. Des émotions intenses saisissent ces figures qui s’enlacent, se touchent ou se roulent par terre Avec force hurlements, cris insoutenables, respirations profondes d’êtres vivants en train d’agoniser.. ou de faire l’amour, en proie à l’orgasme.

Au début, on aperçoit le silhouette d’une femme, la tête penchée sur l’épaule d’un homme, et une voix répète doucement les noms de chacun des amants. Peu à peu, des appels suffoqués d’émotion à Chimène, Don Rodrigue, cèdent à des sonorités évoquant la jalousie et  la passion de l’Infante. Dans un espace brumeux qui cache les identités. La femme hurlante se projette contre les amants, les corps se mêlent et disparaissent dans l’ombre. Le jeune Rodrigue et le père de Chimène, Don Gomès, se rencontrent mais la confrontation uniquement vocale entre les deux guerriers rugissant comme des ours enragés, annonce un combat mortel… Puis le Roi, le regard caché par des lunettes de soleil, apparait en véritable chef de tribu dont la carrure et la présence de femmes sensuelles accrochées à lui, suggèrent sa toute puissance. Le metteur en scène brosse ici le tableau d’une communauté d’hommes et femmes, submergés par une mer de passions qui les ramènent vers les origines pulsionnelles et pré-linguistiques de la civilisation.

Nous sommes plongés dans un monde pas facile à déchiffrer et un résumé de la pièce et l’indication des scènes sélectionnées pour le travail en atelier auraient pu figurer dans le programme pour mieux orienter le public perturbé par cette expérience étonnante, mais qui est, malgré tout et jusqu’à la fin, resté très attentif.

Alvina Ruprecht

 Spectacle vu le 29 novembre, à la Nouvelle scène, Ottawa (Canada).

Les Terrains vagues, d’après Raiponce des frères Grimm, texte et mise en scène de Pauline Haudepin

Les Terrains vagues, d’après Raiponce des frères Grimm, texte et mise en scène de Pauline Haudepin

©Jean-Louis Fernandez

©Jean-Louis Fernandez

Un conte populaire pour enfants, empreint de mélancolie et où le bonheur n’arrive jamais pour bien longtemps, comme dans Raiponce. Pauline Haudepin est issue du groupe 43 de l’Ecole du Théâtre National de Strasbourg, comme ses comédiens, scénographes, costumiers et régisseurs. Ici, l’espace scénique est parcellaire : tour, laboratoire, décharge, à l’image d’un texte fragmentaire et elliptique et de personnages refermés sur eux-mêmes. L’imaginaire des Terrains vagues répond à une vision de l’homme déchu, seul et en errance. Consolé par des hallucinogènes lui donnant accès à un bonheur illusoire.

Dans ce lieu dévasté: détritus, pierres de construction en vrac : la ville idéale est loin. La princesse (Marianne Deshayes), poupée fébrile et gesticulante en courte robe blanche, vit dans une tour de contes de fées, une geôle aménagée par un personnage travesti en sorcière jalouse où il la retient prisonnière. Puis l’intrigue explose en fragments, et  grâce à un retour en arrière de treize ans, on voit la mère enceinte (Dea Liane), échanger son nouveau-né contre les stupéfiants qu’elle réclame. Le vendeur est un homme-femme (Paul Gaillard), sûr de lui et qui, entre violence et douceur, nourrit la jeune fille et se révèle aussi fabricant de produits illicites, installé dans une zone attenante. Avec ce dealer (Genséric Coléno-Demeulenaere), travaille un incendiaire qui a enflammé la ville et qui œuvre à la reconstruire… C’est l’amant imaginaire avec lequel la prisonnière ne cesse de parler et de vivre. La rencontre physique aura lieu à la fin mais un nouveau malheur rattrape les jeunes gens qui s’en sortiront… relativement.

Les acteurs jouent entre ombre tamisée et lumière, entre nuit et jour artificiel, du côté des négoces interdits et fabrications fallacieuses. Une société actuelle où percent à n’en plus finir les inégalités, entre la réussite des uns et la misère oppressante des autres évoqués, à travers les figures de l’innocence, de la connaissance du monde et de la rédemption. Le sentiment d’exister trouve souvent sa place entre rêve et réalité, épreuves vécues et fiction. Le narrateur (Jean-François Pauvros), commente en voix off diffusée dans le noir, les pensées et sentiments d’un philosophe humaniste. Dans des monologues ou dialogues à la prose poétique comme celle des personnages, il règle son compte à une société cynique, tout en préservant  la part de rêve que chacun a en soi…

Véronique Hotte

Théâtre de la Cité Internationale, 17 boulevard Jourdan, Paris XIV ème, jusqu’au 11 décembre. T. : 01 43 13 50 60.

Kiss and Cry, idée originale de Michèle Anne De Mey et Jaco Van Dormael,création collective

Kiss and Cry , idée originale de Michèle Anne De Mey et Jaco Van Dormael, création collective de Grégory Gosjean, Thomas Gunzig, Julien Lambert, Sylvie Olivé et Nicolas Olivier

© Marteen Vanden Abeele

© Marteen Vanden Abeele

La chorégraphe belge et son équipe reviennent à Paris avec trois spectacles : Kiss and Cry, créé en 2011 retrouve un public enthousiaste devant cet ovni où se mêlent danse, cinéma, manipulation d’objets, texte…Faire danser ses doigts sur une table de cuisine, filmer et projeter ce ballet en direct sur grand écran au-dessus de la scène: ainsi nait Kiss an Cry. Deux danseurs : leurs mains s’animent, sensuelles,  sur ce plateau miniature et sous un arbrisseau fiché dans un coin. La caméra s’approche et les filme sur Lascia ch’io pianga, une aria de Georg Friedrich Haendel.

Après ce prologue, l’équipe se déploie une heure quinze durant sur la scène encombrée de plusieurs plateformes, et bancs-titres, rails de travelling, ordinateurs, circuits de trains miniature électriques : l’un à l’avant-scène, l’autre au lointain… Soit pour faire naître un décor, pour filmer et pour éclairer les artistes dans des « nano-chorégraphies » à mains nues, aux paysages peuplés de figurines enfantines. Un dessin animé se fabrique sous les yeux des spectateurs, invités à regarder le film et sa réalisation.

Scénario simple: les mains et un narrateur racontent l’histoire d’une femme et de ses amours passés: cinq hommes croisés, aimés, disparus: «La première fois qu’elle était tombée amoureuse, ça avait duré treize secondes. Elle avait treize ans/ dans le train en retard de dix-huit heures quinze, voiture numéro quatre /chargé de quatre-vingt-six passagers dont un garçon de quatorze ans. (…) Ils étaient serrés. (…) Les mains s’étaient touchées. (…) Elle ne l’avait jamais revu. » Depuis, elle attend sur un quai de gare et regarde passer les trains: dans la vapeur de ses réminiscences, on entend Verdes Anos de Carlos Parades, un air qui reviendra, comme un leitmotiv. Où vont nos souvenirs ? Dans quel trou de mémoire, les gens que nous avons croisés, tous ceux que nous avons fréquentés puis perdus de vue, sont-ils tombés? dit le narrateur, et la caméra pénètre dans le pays de l’oubli, niché au fond d’un tiroir où se trouve une foule de petites statuettes figées dans le sable… La caméra zoome sur ce paysage et le rêve poétique disparaît dans un glissement de terrain. Ailleurs, des micro-caméras sur les trains électriques filment des paysages, animaux, fermes, maisons…

© Marteen Vanden Abeele

© Marteen Vanden Abeele

Opérant par distorsion d’échelle, le spectacle tend un miroir satirique à cette histoire empreinte de nostalgie. «Rien n’est grand ou petit, que par comparaison», dit Gulliver en arrivant à Brobdingnag. A l’aune des personnages principaux que sont les mains, les souvenirs de la vieille dame -représentée aussi par une poupée de playmobil- reprennent vie. Sa main tient celle de ses amoureux d’antan pour quelques pas de deux érotiques: les pouces s’enlacent, les doigts s’étreignent, les paumes s’épousent sous les draps, ou quand vient le désamour, se tournent le dos dans le lit. Selon l’humeur, le couple s’ébat sur des trapèzes volants ou s’affale dans le canapé devant la télévision pour voir une compétition de patinage artistique… Kiss and Cry, apprend-t-on, est le surnom des bancs où les  sportifs s’assoient pour attendre le verdict des juges. L’occasion d’un gros plan sur une main dansant sur la glace : l’index et le majeur dessinent d’harmonieuses figures, les ongles en guise de lames.

Ces doigts-danseurs traversent avec légèreté des univers miniatures qui s’emboîtent comme des poupées russes. Tempêtes dans un verre d’eau, cataclysmes en modèle réduit, et illusions d’optique se succèdent. Le cinéaste du fameux Toto le héros, et la chorégraphe, cofondatrice de la compagnie Rosas avec Anne Teresa de Keersmaeker avec qui elle travailla six ans, nous ouvrent un beau livre d’images, habité par les doigts habiles de Michèle Anne de Mey, Frauke Mariën, Grégory Grosjean et Denis Robert Obert, et filmé par Jaco Van Dormael et Harry Cleven. Le récit qui assure la cohésion entre les morceaux de bravoure, gagnerait à être plus laconique, mais bande-son, lumières et scénographie concourent à la magie d’une réalisation minutieuse.

Succèderont à ce spectacle, dans ce théâtre fraîchement rénové, de nouveaux jeux de mains avec Cold Blood (voir Le Théâtre du Blog) puis une création, dansée en solo par Michèle Anne de Mey, et mise en scène par Jaco Van Dormael. A ne pas manquer.

Mireille Davidovici

Un autre avis:

Une affiche attirante et on nous annonce un spectacle totalement innovant joué par les doigts de danseuse avec une scénographie onirique. Michele Anne de Mey et Jaco Van Dormael auraient inventé un procédé inédit…  Cela se passe à la Scala, un nouveau lieu du théâtre privé, boulevard de Strasbourg à Paris, un ancien cabaret rénové par un couple passionné: Mélanie et Frédéric Biessy avec  un budget total de 19 millions d’euros dont 5 % financé par L’Etat et la Région Ile-de-France.
Plus de traces de l’ancien cabaret illustre: ici, tout est propre, aseptisé, un peu fade, malgré le bleu choisi par Richard Peduzzi, le scénographe de Patrice Chéreau.  La scène est encombrée de tables, d’objets et de caméras pour créer des effets spéciaux. Les cadreurs marchent déjà  de long en large en attendant le top-départ. Les lumières  s’éteignent et ils filment ces doigts qui dansent dont on voit l’image sur grand écran. C’est du théâtre d’objets avec quelques effets. Mais une fois de plus, on est au cinéma-théâtre, et sur le plateau, on voit sur grand écran les scènes filmées. Accompagnées par une voix off à la Marguerite Duras qui agit comme un somnifère!

Un quart d’heure, cela passe encore mais l’ennui monte vite, malgré quelques effets bien maîtrisés.Et on se pose la question: pourquoi, au lieu de passer par un plateau de théâtre, ne pas faire directement du cinéma d’animation? La salle n’est pas pleine malgré une presse dithyrambique mais le public est conquis. Pas nous. Mais vous n’aurez pas la « chance » de voir en 2019, ce spectacle qui n’est finalement qu’un dessin animé.

Edith Rappoport

Kiss and Cry jusqu’au 31 décembre. Cold Blood, du 4 au 27 janvier. Amor, du 29 janvier au 3 février.

La Scala, 13 boulevard de Strasbourg, Paris Xème. T. : 01 40 03 44 30.

 

 

 

Fùria chorégraphie de Lia Rodrigues

Fùria chorégraphie de Lia Rodrigues

©Sammi Landweer

©Sammi Landweer

« N’avez-vous  pas été gênés de voir ce ramassis, cette horde de pauvres biquets et de minettes, mystifiés, aliénés, s’escrimer laborieusement sur scène (…)  et s’exhiber en prenant un plaisir misérable à se foutre à poil ?», s’exclamait Gilles Sandier en 1969, au Masque et la Plume sur France-Inter, quand Hair arriva au Théâtre de la Porte Saint-Martin à Paris. Depuis le Faust d’Antoine Vitez sur ce même plateau, aux chorégraphies de Jan Fabre, en passant par Bêtes de scène d’Emma Dante (voir Le Théâtre du Blog), la nudité sur un plateau est devenue chose courante, comme ici avec Fùria. Programmée dans le cadre du Festival d’Automne à Paris,  cette pièce ouvre le cycle Tous Humains.

Des corps gisent dans la pénombre, puis s’animent peu à peu sur un sol jonché de vêtements semblant exhumés d’une décharge. Des femmes et des hommes  d’une grande beauté, parfois recouverts de poudre dorée, argentée ou bleue, se livrent à une étrange parade, alternant habillage et déshabillage.  Comme dans un happening fait pour stimuler l’imaginaire du bourgeois, ils parcourent de long en large, le plateau  vide sans que l’on comprenne le sens de leurs déambulations.  Face public, ils grimacent et expriment une  révolte potentielle, ou prennent parfois des poses style statuaire du réalisme soviétique.

Deux hommes tiennent par les jambes une femme nue, la tête en bas, le sexe ouvert vers le ciel, un homme aussi nu simule une masturbation, en se tirant sur le sexe et en se traînant par terre. On se demande quel est le sens  de  ces images … Lia Rodrigues veut-elle signifier ici la simple liberté de créer,  et  «réveiller la furie» en chacun de nous ? Quelle est la dramaturgie de cette pièce à la lisibilité peu évidente… Accompagnés par des chants traditionnels kanak de Nouvelle-Calédonie qui induisent un état de transe, les dix danseurs sont très impliqués dans ce carnaval des ténèbres  qui reste peu convaincant.

Lia Rodrigues, artiste associée du Théâtre National de la danse de Chaillot, réalise depuis plusieurs années un travail d’action artistico-pédagogique dans une favela brésilienne. Elle essaye ici de transcrire la violence des rapports humains dans ces lieux de pauvreté. A la fin, les artistes saluent avec une réelle émotion et brandissent des panneaux évoquant la réalité brûlante du Brésil aujourd’hui : «Un Brésil pour tous, la favela est vivante, Qui a tué Marielle,  Huit mois sans réponse». Un geste vrai, beaucoup plus parlant que ce spectacle plein de longueurs  de seulement soixante-dix minutes ! 

Jean Couturier

Théâtre National de la Danse de Chaillot,  1 place du Trocadéro, Paris XVI ème, jusqu’au 7 décembre.

 

Epifónima par la compagnie Cirkus Cirkör, direction artistique de Tide Björs, composition musicale de Rebekka Karijord

Festival Les Boréales.

Epifónima par la compagnie Cirkus Cirkör, direction artistique de Tide Björs, composition musicale de Rebekka Karijord

 

EpifonimaIshtar_PhotoKlaraGAvec cette nouvelle création, la compagnie Cirkus Cirkör habituée des Boréales veut bousculer la hiérarchie masculine : « Nous avons, dit Tilde Björfos, sa directrice, déjà été témoins des ravages de la guerre et de l’impasse où elle nous conduit. Nous voulons explorer ce qui nous arriverait si nous rompions avec l’ordre hiérarchique traditionnel, si nous nous regardions dans les yeux au lieu de nous regarder de bas en haut. Si nous pensions en cercles plutôt qu’en angles droits, si nous marchions côte à côte plutôt qu’en file indienne. » Tout cela dans la droite ligne d’un pays où le mouvement féministe suédois naît au XVIIe siècle; en 1632, Catharina Stopia fut en Russie la première ambassadrice de son pays et Hedwig Charlotta avec son poème De la défense des femmes (1761) fut une précurseuse de l’égalité entre les sexes. En 1885, Sophie Adlersparre et Hilda Caselli furent les premières femmes à figurer dans un comité de gouvernement. Il y a plus d’un siècle, fut institué un congé de maternité de quatre semaines. Plus près de nous, en 2002  le maire de Stockhölm était Anika Billström.

Pour cette Epifónima  (phonéma en grec ancien : son de la voix)  et en grec moderne : exclamation, interjection : celles de ces jeunes femmes de la compagnie suédoise bien connue aux Boréales où elle est déjà venue plusieurs fois…  Sur le plateau, sept artistes de cirque (Grèce, Canada, Palestine, Pologne, Suède, Suisse…) mais aucun homme ; Cirkus Cirkör dit s’être inspiré pour ce spectacle, de femmes aux parcours atypiques comme Usthar, la divinité de l’amour et de la guerre, Hildegarde von Bingen, la célèbre abbesse bénédictine et compositrice du XIIème siècle, ou Tarana Burke, la fondatrice de Metoo.

29825067417_369f82cb1d_zCes jeunes et brillantes jeunes femmes emportent aussitôt l’adhésion du public ; très à l’aise sur le beau plateau du Théâtre de Caen, elles se succèdent seules ou à quelques-unes,  dans des numéros d’équilibrisme et/ou de contorsionnisme, à la roue Cyr (un grand anneau) avec laquelle elle circulent sur le plateau, ou au mât chinois, aux tissus aériens mais aussi au trapèze volant mais sans filin à trois (un remarquable sans faute) et des équilibres sur les mains… Toute la chorégraphie est impeccablement réglée sur la musique presque planante par moments de la compositrice norvégienne Rebekka Karijord.  Les numéros s’enchaînent vite sur la musique instrumentale qui accompagne aussi de belles chansons.
Au chapitre des réserves, des costumes couleur mauve et lie de vin pas très heureux que l’on peut quand même oublier, et un entracte sans doute indispensable vu les efforts physiques faits par ces jeunes femmes, mais qui casse les choses, et un léger flou dans la seconde partie sans doute à cause de dialogues en anglais non traduits. Malgré cela, si ce spectacle croise votre chemin, ne le ratez pas.

Philippe du Vignal

Le spectacle a été créé, pour la France, au Théâtre de Caen, 135, boulevard Maréchal Leclerc,
Caen (Calvados), du 18 au 24 novembre, en partenariat avec le festival Les Boréales. T. : 02 31 30 48 20
En février, à Fréjus et à Martigues (Var); puis à Oslo (Norvège).

 

Wareware no moromoro (Nos histoires), conception et mise en scène d’Hideto Iwaï

Wareware no moromoro (Nos histoires), conception et mise en scène d’Hideto Iwaï

37B64079-FEA8-43F7-8FA6-6915D3895CCEUn spectacle surprenant et poignant, souvent proche du miracle. Tout comme le vécu de ce jeune  écrivain japonais qui est aussi acteur, metteur en scène de théâtre et réalisateur de films. Avec une enfance et un début d’âge adulte marqués par la violence.  Son père le battait et la folie l’a traversé de seize à vingt ans: il est alors entré dans la catégorie des « hikikomori » qui, par phobie de la société, ne quittent plus le domicile familial. Soit pour Hideto Iwaï, une chambre et les toilettes. Dans un espace aussi réduit, l’expérience d’une traversée dans un incommensurable mal-être, et dans une angoisse assassine.

Comment interrompre ce suicide en éveil, cette impossibilité de vivre avec les autres et d’aller et venir dans la ville ? Comment sortir de cet emprisonnement involontaire? La réponse est en partie dans le projet initial qui a pris quelques autres directions. Mais sans jamais quitté l’essence même de la création en vue. Et le Théâtre a ouvert la porte de la liberté à Hideto Iwaï.  Il y a eu aussi l’intervention décisive de Daniel Jeanneteau, directeur du Théâtre de Gennevilliers qui, au Japon en 2015, a assisté à une de ses mise en scènes et  qui lui a proposé de venir faire ici avec des acteurs français une création dans notre langue, même s’il n’en parle pas un mot!  Et commence alors  cette aventure avec des acteurs professionnels mais aussi avec des amateurs de Gennevilliers.

Ce spectacle retrace non sans humour, et avec émotion, les parcours singuliers de ces habitants de plusieurs générations et d’origine diverse : France, Afrique du Nord, Asie, etc. comme Abdallah Moubine, impressionnant d’aisance, Salima Boutebal, et Hideto Iwaï lui-même… La scénographie ,modulable, est très poétique et symbolique: lits, chaises, coussins et draps dont s’empare chacun en prenant la parole. Et cela permet à autant de morceaux d’existence de prendre corps. Le public est placé dans un espace-temps existentiel qui varie au fil des histoires personnelles.

Les acteurs sont remarquables. Quant aux amateurs, ils réussissent à donner une dimension humaine, parfois même  à cause de leur inexpérience de la scène. Comme avec cette présence singulière de Lucienne Larue; pas toujours très à l’aise, elle retient l’attention du public soudain envahi par la forte émotion qui se dégage de son jeu (ou non-jeu?):  «J’ai commencé à travailler à quatorze ans. (…) Ma mère était une femme-enfant volage. Elle m’aimait à sa manière. Elle trompait souvent mon père, et quand il est tombé malade et qu’il était à l’hôpital, elle a pris un autre homme et l’a quitté. (…) Quand on a des manques dans son enfance, ça vous amène souvent à faire des bêtises. Pour moi, quand je voyais ma mère, c’était pas normal d’avoir autant d’hommes… Cela m’a rendu rêveuse, ce manque d’amour, très rêveuse! J’aurais qu’un seul amoureux! Ce qui s’est passé. » Il y a là, entre autres avec Lucie, des instants de vérité rares chez les acteurs professionnels.

Ces récits de vie, nous font voyager au cœur de l’humain et et de l’Histoire… Un tableau vivant d’une d’existence au quotidien, du siècle passé et de notre époque. Un événement incroyable que cette fusion entre Gennevilliers, banlieue pauvre proche de Paris, avec une ville japonaise, sous nos yeux étonnés. Entre espace intime et espace social, ces fragments résonnent en toute clarté et finissent par ne former qu’un seul récit, bouleversant et universel. Moment d’épiphanie: la pièce a été écrite par tous, amateurs comme professionnels, et par le metteur en scène. Bravo à Hideto Iwaï pour ce geste à la fois esthétique et éthique! Un véritable tour de force avec des turbulences et quelques bonheurs de vie qui deviennent beauté. Ne manquez pas une rencontre aussi dense, à la fois sur le plan théâtral et humain.

Elisabeth Naud

T2G, Théâtre de Gennevilliers, avenue des Grésillons, Gennevilliers (Seine-Saint-Denis), jusqu’au 3 décembre.

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