Les Etats Généraux des écrivaines et écrivains de théâtre

 

Les Etats Généraux des écrivaines et écrivains de théâtre (EGEET) janvier-juillet 2019

83FFE621-1ECB-44F0-8BAB-734F5784B0F4«Nous, écrivaines et écrivains de théâtre (…) refusons de nous laisser enfermer dans les spéculations sur la disparition des auteurs. Lançons une vaste réflexion sur la place des écritures dramatiques dans notre société, dans les théâtres, dans l’éducation, la transmission, le débat démocratique ». Ce mouvement est né en 2018, en réaction à un article publié par le quotidien Libération : A-t-on encore besoin d’auteurs ? Ce 7 janvier, devenu une association forte de quelque deux cents  signataires, il lance des Etats Généraux au Théâtre de la Colline, à Paris. Accueillis et encouragés par Wajdi Mouawad avec une citation de Giorgio Colli (l’éditeur de Friedrich Nietzsche) : « l’’État ne peut accroître sa puissance sans les moyens de la culture. »

 Il existe un hiatus entre la floraison des écritures de théâtre et leur représentation  comme leur présence dans les lieux culturels. Pour les observateurs de longue date, comme Michel Simonot, cela n’a pas changé depuis le rapport de Michel Vinaver Des mille maux dont souffre l’édition théâtrale et des trente sept remèdes pour l’en soulager, édité par Actes Sud en 1987. Quelques médecines ont été efficaces: multiplication des maisons d’édition de théâtre, mis en place de comités de lecture, récompenses,  actions en milieu scolaire, rayons théâtre des bibliothèques, lectures scéniques et autres mises en espace, sans compter les aides à l’écriture, résidences… Et l’ouverture de lieux consacrés aux nouvelles dramaturgies. Malgré tout, cette littérature reste confidentielle et les créations fondées sur des textes d’auteurs contemporains vivent dans une économie fragile. Nombre de pièces restent ainsi dans les tiroirs ou sur les rayons des librairies. On adapte beaucoup de romans, de films voire de bandes dessinées sur nos scènes, et les collectifs de comédiens produisent eux- mêmes leur propres scénarios.

Qu’est-ce qui bloque? s’interrogent  autrices et auteurs. Pourquoi une pièce de théâtre n’est-elle pas reconnue, étudiée, transmise pour sa valeur littéraire? Pourquoi n’y a-t-il pas de dramaturges-écrivains dans la plupart des théâtres, et au programme des écoles. Pourquoi omet-on de les citer dans les articles de journaux, sur les affiches ? Pourquoi sont-ils encore moins traduits et joués à l’étranger. Ne sont-ils pas export ready  comme on le dirait d’une marchandise, ironise Luc Tartar. Et pour les  autrices,  c’est encore pire selon le rapport du Haut Conseil à l’Egalité  (voir Le Théâtre du blog) : 21 % sur l’ensemble des pièces jouées  trouvent le chemin des planches et seulement 12 % reçoivent prix et distinctions !

A toutes ces questions, neuf commissions vont apporter une réponse et surtout des propositions. Présentées en détail et avec humour tout au long de la soirée par un comité de pilotage d’une vingtaine de personnes, agrémentées de réflexions bien senties d’auteurs, elles aborderont tous les sujets y compris des points concrets comme le statut juridique des écrivain.e.s, leur formation, leur rémunération en résidence, pour des actions culturelles tous terrains. Une charte sera rédigée ainsi que d’autres documents. Convaincus de la cohérence et du bien-fondé de ces Etats Généraux, de nombreux participants se sont inscrits. Les travaux auront lieu tout au long de l’année et seront restitués en juillet à la Chartreuse de Villeneuve-lez-Avignon avant de donner lieu à un publication. En attendant, on pourra en suivre les avancées sur Facebook.

Mireille Davidovici

Le 7 janvier, Théâtre de la Colline, 15 rue Malte-Brun, Paris  XX ème.  T. 01 44 62 52 52

Du 11 au 13 juillet, Centre national des écritures du spectacle Chartreuse de Villeneuve-lez- Avignon (Gard).  T. 04 90 15 24 24

facebook.com/egeetheatre


Archive pour 8 janvier, 2019

Cock de Mike Bartlett, mise en scène de Minos Théocharis

Cock de Mike Bartlett, traduction de Katerina Evangelatou, mise en scène de Minos Theocharis

p3À trente quatre ans, Mike Bartlett est un des jeunes dramaturges anglais les plus doués: Bull, Contractions, Love, love, love, et Mon Enfant.  En résidence au Royal Court Theatre en 2007 puis au National Theatre en 2011, il est auteur associé à la compagnie Paines Plough. Il écrit pour le théâtre, la radio, la télévision et le cinéma. Cock reçoit un Olivier Award et  Love, love, love a reçu le prix de la meilleure pièce contemporaine aux Theatre Award.
Ecrite en 2008 et créée au Royal Court Theatre de Londres, Cock, une comédie amère, traite de l’orientation sexuelle et des troubles provoqués dans un couple homosexuel avec l’apparition d’une femme. John vit depuis sept ans avec son conjoint qui le traite parfois comme un incapable, ou le fait suffoquer dans une relation où chacun ignore les vrais besoins de l’autre. Et la
communication va être difficile dans ce couple en crise: John a  en effet rencontré une femme dont il est tombé amoureux. Une première fois pour lui! Et il n’est pas sûr de ses sentiments. Cette expérience le fait réfléchir. Qui est-il? Homo ou hétérosexuel? Une remise en cause à travers l’exploration de ses fantasmes les mieux enfouis, avec mensonges et jeux de pouvoir. Son compagnon revendique alors sa place dans la vie de John et invite cette femme pour un dîner… qui va finir en véritable bataille.

La situation devient plus complexe, quand arrive le père du compagnon de John. Invité aussi au dîner, il soutient la liaison de son fils avec John, tout en exposant ses arguments sur la sexualité et les problèmes auxquels les gens peuvent faire face au long de leur vie. John doit prendre une décision: suivre cette femme et créer avec elle une famille et avoir des enfants. Ou rester avec son compagnon et vivre avec lui comme avant. John se demande s’il est bisexuel mais chaque fois les réponses ne sont pas satisfaisantes, ou son ami le manipule. Il ne sait plus alors quel chemin prendre et se force à rester en couple pour conserver sa sécurité. Malgré une relation usée…

Katerina Evangelatou a trouvé des équivalences pour traduire les expressions argotiques, avec un texte clair pour le public grec. Minos Théocharis  crée une mise en scène autour d’un décor simple avec juste, en fond de scène  une tapisserie.  Et le spectateur imagine tout ce que la parole expose. Rythme rapide, répliques souvent inachevées et chorégraphie renforçant le burlesque de la pièce. Les comédiens soulignent les situations avec une gestualité proche du jeu de marionnettes, et avec ironie. Ilias Moulas (John) exprime l’angoisse et le manque de confiance en lui de ce personnage complexe. Dimitris Makalias (le compagnon de John) a un comportement hystérique avec voix de crécelle et gestes efféminés. Fotini Athéridou, elle, joue avec rigueur et brio, La Femme, devenue ici pomme de discorde. Alexandros Kalpakidis (Le Père) développe une dialectique entre raison et sentiments pour sauver la situation et assurer le bonheur de son fils.
Un spectacle amusant, mais qui sait aussi être profond et émouvant: de quoi alimenter les discussions pour la soirée!  
      
Nektarios-Georgios Konstantinidis

Théâtre Athinwn, 10 rue Voukourestiou, Athènes. T. : 0030 210 33 12 343.

Ma chanson de Roland d’Ariane Dubillard,mise en scène de Michel Bruzat

 

Ma chanson de Roland d’Ariane Dubillard, texte des chansons de Roland Dubillard, à l’accordéon: Sébastien Debard, mise en scène de Michel Bruzat

 

©Franck Roncière

©Franck Roncière

Comme le titre ironique l’insinue, Ariane est la fille de Roland Dubillard (1923-2011) qui, après des études de philo, a écrit nombre de poèmes mais aussi des sketches pour France-Inter comme Grégoire et Amédée à partir de 1953 avec un grand succès auprès des auditeurs. Et cela deviendra un spectacle de cabaret. Sketches réunis en 76 par son auteur dans les très fameux Diablogues que jouèrent, ensuite et entre autres, Jacques Gamblin et François Morel puis Muriel Robin et Annie Grégorio. En 1949, il écrit aussi des pièces : d’abord une première version de Où boivent les vaches de cette pièce qui fut créée en 1972, Si Camille me voyait, une opérette sans musique et Naïves Hirondelles, 1961. Puis Le Jardin aux betteraves, Les Crabes.
Ariane est née de son union avec Nicole Ladmiral, actrice (1930-1958). En 1975, son père épousera la comédienne allemande Maria Machado qui jouera avec lui dans plusieurs de ses pièces. Il a aussi été acteur au cinéma avec Jean-Pierre Mocky (La Grande Lessive) et Patrice Leconte. Suite à un A.V.C., il deviendra hémiplégique en 1987.

Ariane Dubillard raconte sa vie, et quelle vie! Et bien entendu, mais plus discrètement celle d’un père tant aimé. Et ce texte, d’une remarquable écriture, possède une vérité humaine et une belle intelligence. Depuis que sa mère s’était jetée à vingt-huit ans sous une rame de métro, son père l’avait remplacée: “A la maison c’est toi, baba qui me donnes le bain, me bordes, me mets mon bavoir, me donnes le biberon, la bouillie. Un an. Nous habitons à la clinique de Chailles dans le Loir-et-Cher, un grand château où tu travailles comme psychothérapeute-moniteur de théâtre. » Tu m’habilles tous les jours en salopette. Deux ans. J’entre dans ta chambre, tu viens d’apprendre au téléphone que Nicole, Maman, ne reviendra plus. Plus jamais.”

Son papa s’installe à Paris, avenue d’Italie et Ariane ira souvent de grand-mère en mamie, et cela vous forge le caractère: “Chez Grand-mère, les enfants parlent à table, mangent avec les doigts, bonbons, gros mots obligatoires, coucher 23 heures. (…)  Chez Mamie, tu t’assieds sur un tabouret, en face de moi. Tu me regardes manger mais je reste concentrée, à cause des couverts et je vois bien que tu me dévores des yeux mais je ne peux pas te parler en articulant sans le son ici les enfants ne parlent pas à table. Répéter en voix soufflée ici les enfants ne parlent pas à table ! Chez Mamie- coucher-19h30, je n’ai pas sommeil. Jamais. »

 Ensuite, son père revient à Paris avec la petite Ariane  et une jeune femme Malène qui travaillait avec lui. » Elle a six ans. « Ta vie professionnelle démarre. La mienne aussi. Théâtre de Poche pour toi, École obligatoire pour moi, 75 rue d’Alésia. “Puis la vie devient plus cahotante quant son père habite maintenant avec Arlette, « qui est très vieille- -trente huit ans ! -et elle boit beaucoup». Et elle ira donc vivre alternativement en pension chez ses grand-mères avec l’école à mi-chemin. « C’est pratique et réglé comme du papier à musique, quatre nuits chez Grand-mère, deux nuits chez Mamie, une nuit chez Grand-mère, trois nuits chez Mamie. Cinq nuits chez Grand-mère, deux nuits chez Mamie, trois nuits chez Grand-mère, deux nuits chez Mamie. »
A dix ans, Ariane doit subir une opération de la jambe et resta dans le plâtre tout l’hiver. Contente d’habiter chez Grand-mère-coucher-23 heures». Encore enfant, elle se fait une raison et comme elle le dit cinquante ans plus tard avec un sacré humour et autant d’émotion palpable : «Quand je dors chez Mamie, je la mets dans mon cœur avec Papa. C’est plus sûr. Y a de la place et puis le mien, il n’est pas fragile. »

Ariane a grandi avec ce père adoré, mais à quinze ans, elle quitte son XIV ème et ses grands-mères. Elle habite maintenant chez Maria Machado, la nouvelle femme de son père, « une comédienne allemande très belle, et toi, rue du Bac : Littré 5302, le lycée est tout près. » De temps à autre, accompagnée à l’accordéon par Sébastien Debard, elle interprète, et très bien, une chanson poétique de Roland Dubillard: «J’avais des sourires qui m’feraient mourir si je les r’ voyais si je les r’ souriais j’avais des grand’s fleurs pour mes grand’s frayeurs qu’ n’avais-je ? Aujourd’hui j’ n’ai plus Rien, tout est fondu comme neige comme neige ».

Avec toujours très proches: son père d’abord mais aussi sa mamie, la mère de sa maman, sa pauvre  mamie Ladmiral qui n’arrive pas à faire le deuil de sa fille et qui se voit bientôt proche de la mort… qu’Ariane apprendra un matin, de Maria en pleurs, comme son père. Mais la jeune fille qu’elle est devenue a besoin d’indépendance; elle apprend le chinois et s’envole pour Hong Kong, travailler et retrouver son amoureux. Mais elle garde des liens très forts avec ce papa si loin, et si près d’elle, grâce aux lettres qu’ils échangent. «Tes lettres. Nos lettres. Partir pour m’éloigner, pour grandir, et puis n’aimer que ça, t’écrire des lettres. » Et après neuf mois à l’Alliance Française, elle revient à Paris. Elle loge chez une copine, puis emménage à Belleville dans une vraie maison de trois étages avec un petit jardin, qu’un ami lui prête à condition d’en assurer la garde.
Puis viendra le brutal A.V.C. de son père dont elle parle avec une grande pudeur. Mais quelque vingt-cinq ans après, on sent que cela lui fait encore mal. «Notre solitude au milieu des autres a un espace à elle que rien ne dérange. Je n’ai encore jamais fait ça de te chanter à l’oreille un de tes poèmes. »

On écoute, fasciné, Ariane Dubillard raconter sa vie si riche, avec toujours comme en filigrane, celle de son père. Avec une grande présence mais aussi une belle palette de sentiments, et ce qui devient rare, une excellente diction. Bien dirigée par Michel Bruzat qui a créé ce spectacle dans son théâtre de La Passerelle à Limoges en octobre dernier. Au chapitre des bémols, une robe maronnasse vraiment très laide, quelques petites longueurs sur la fin et une musique un peu trop forte à l’accordéon quand elle chante. Mais sinon quel bonheur! A une époque où les solos envahissent les plateaux, cette Chanson de Roland est une exception. Si vous le pouvez, ne la ratez pas.

Philippe du Vignal

Théâtre des Déchargeurs, 3 rue des Déchargeurs, Paris III (ème), mais uniquement les lundis jusqu’au 4 février, et du 28 mai au 14 juin.

 

 

Mélancolie des Collines, une installation photographique d’Alain Willaume

crédit photo Alain Willaume

crédit photo Alain Willaume

Mélancolie des Collines, une installation photographique d’Alain Willaume

La photographie s’invite au cœur du théâtre de la Colline: dans les pages de l’almanach, sur les affiches de la saison 2018-19 et habille maintenant de noir et blanc les murs du bar, jusqu’à la fin de l’année. «S’il n’y avait pas eu Wajdi dans cette maison, dit Alain Willaume, il n’y aurait pas eu ces images. (…) Elles viennent aussi de lui.» Issues de différentes séries, prises au fil des années, lors de lointains voyages, ou au plus proche, ces images se parcourent comme autant de jalons dans l’œuvre de l’artiste. L’installation joue sur différentes échelles : grands formats occupant un mur entier et débordant sur les portes, petits formats plus intimes, sagement alignés.

Les noirs et blancs peuvent être contrastés ou fondus en grisaille comme dans l’ensemble Echo de la poussière et de la fracturation (2012). Dans quel désert, cette vapeur blanche sur la route rectiligne qui s’enfonce vers le ciel ?  Un petit cartouche, d’abord invisible, nous renseigne: dans la région du Karoo, en Afrique du Sud où la société Shell menace d’exploiter, par fracturation des roches, du gaz de schiste. On perçoit alors, comme par infusion, sur la photo d’à côté, une anxiété dans le regard de cet homme debout, seul, au milieu d’un nulle part apaisé.

Chaque cliché est ainsi empreint d’une sérénité inquiète et ouvre un espace énigmatique à déchiffrer. Où va cet escalier tronqué qui se dresse en colimaçon, opposant sa noirceur verticale à un horizon nébuleux ? Que nous disent ces visages muets d’inconnus ? Quelles questions ? On passe ou l’on s’attarde devant telle vue d’un cratère bouillonnant… Ici, l’espace se creuse. Là-bas, l’horizon s’éloigne.

«Montrer n’est pas toujours obscène, écrit Wajdi Mouawad, quand montrer est offrir du mystère, inviter les regard à revenir pour raconter mille histoires, pour se perdre dans la puissance des formes (…). » Le poète dramatique rejoint ici le photographe dont l’œil a su capter l’infinie profondeur des paysages et des visages, sans besoin d’autre commentaire. En écho à la mélancolie que diffuse cette installation, un «accrochage littéraire» : les mots de l’écrivain Gérard Haller, sur treize petits feuillets détachables, déclinent par entrée alphabétique le mot P.H.O.T.O.G.R.A.P.H.I.E.R, de P comme partage à R comme regarder.  Offerts au visiteur qui emportera avec lui un souvenir de ce regard partagé dans la lumière, le temps d’une pause : « (…). lumière, lumière dans noir. Poussière éblouie. Partage sans fin de la lumière. »

Mireille Davidovici

Jusqu’au 31 décembre, Théâtre National de la Colline,  15 rue Malte-Brun, Paris XX ème.  T. 01 44 62 52 52.

Coordonnées 72/18 monographie d’Alain Willaume, éditions Xavier Barral. www.tendancefloue.net

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