Mélancolie des Collines, une installation photographique d’Alain Willaume
Mélancolie des Collines, une installation photographique d’Alain Willaume
La photographie s’invite au cœur du théâtre de la Colline: dans les pages de l’almanach, sur les affiches de la saison 2018-19 et habille maintenant de noir et blanc les murs du bar, jusqu’à la fin de l’année. «S’il n’y avait pas eu Wajdi dans cette maison, dit Alain Willaume, il n’y aurait pas eu ces images. (…) Elles viennent aussi de lui.» Issues de différentes séries, prises au fil des années, lors de lointains voyages, ou au plus proche, ces images se parcourent comme autant de jalons dans l’œuvre de l’artiste. L’installation joue sur différentes échelles : grands formats occupant un mur entier et débordant sur les portes, petits formats plus intimes, sagement alignés.
Les noirs et blancs peuvent être contrastés ou fondus en grisaille comme dans l’ensemble Echo de la poussière et de la fracturation (2012). Dans quel désert, cette vapeur blanche sur la route rectiligne qui s’enfonce vers le ciel ? Un petit cartouche, d’abord invisible, nous renseigne: dans la région du Karoo, en Afrique du Sud où la société Shell menace d’exploiter, par fracturation des roches, du gaz de schiste. On perçoit alors, comme par infusion, sur la photo d’à côté, une anxiété dans le regard de cet homme debout, seul, au milieu d’un nulle part apaisé.
Chaque cliché est ainsi empreint d’une sérénité inquiète et ouvre un espace énigmatique à déchiffrer. Où va cet escalier tronqué qui se dresse en colimaçon, opposant sa noirceur verticale à un horizon nébuleux ? Que nous disent ces visages muets d’inconnus ? Quelles questions ? On passe ou l’on s’attarde devant telle vue d’un cratère bouillonnant… Ici, l’espace se creuse. Là-bas, l’horizon s’éloigne.
«Montrer n’est pas toujours obscène, écrit Wajdi Mouawad, quand montrer est offrir du mystère, inviter les regard à revenir pour raconter mille histoires, pour se perdre dans la puissance des formes (…). » Le poète dramatique rejoint ici le photographe dont l’œil a su capter l’infinie profondeur des paysages et des visages, sans besoin d’autre commentaire. En écho à la mélancolie que diffuse cette installation, un «accrochage littéraire» : les mots de l’écrivain Gérard Haller, sur treize petits feuillets détachables, déclinent par entrée alphabétique le mot P.H.O.T.O.G.R.A.P.H.I.E.R, de P comme partage à R comme regarder. Offerts au visiteur qui emportera avec lui un souvenir de ce regard partagé dans la lumière, le temps d’une pause : « (…). lumière, lumière dans noir. Poussière éblouie. Partage sans fin de la lumière. »
Mireille Davidovici
Jusqu’au 31 décembre, Théâtre National de la Colline, 15 rue Malte-Brun, Paris XX ème. T. 01 44 62 52 52.
Coordonnées 72/18 monographie d’Alain Willaume, éditions Xavier Barral. www.tendancefloue.net