L’Absence de guerre de David Hare, mise en scène d’Aurélie Van Den Daele

L’Absence de guerre de David Hare, traduction de Dominique Hollier, mise en scène d’Aurélie Van Den Daele

6CAA1990-86B6-483C-8910-25CA3BFB4368C’est la guerre, comme l’annonce le prologue du spectacle : musique violente, vociférations et agitation hystérique des comédiens, dans une lumière bleutée, sur fond sonore agressif. Un panneau lumineux affiche: WAR ! Ce 11 novembre, une cérémonie célèbre la Grande guerre et la mémoire de ses morts. On brandit l’Union Jack, grand drapeau, symbole d’une nation conquérante. Une horloge électronique marque le compte à rebours. La caméra, omniprésente, relaye en gros plans, pour les mettre en exergue, discours et propos des personnages. Déroulé sur l’écran,  un générique présente les personnages du drame.

Nous voici, après ce long préambule, dans les coulisses d’une campagne électorale: au Q.G. de Georges Jones, leader du parti travailliste qui, en première ligne et au plus haut dans les sondages, doit  conquérir le pouvoir. Viennent les préparatifs et son équipe définit une stratégie de communication, un plan d’attaque contre les Conservateurs. L’efficacité doit l’emporter sur l’idéologie. A la veille de la bataille décisive, les doutes assaillent le leader (à l’instar de Richard lll sous sa tente).  Dans l’ombre de son cabinet fantôme, son futur Ministre des finances tarde à le soutenir et semble attendre son heure. Va-t-il trahir son camarade ? Rafales de sondages, débats sur la démocratie, engueulades sur les clivages droite/gauche et luttes intestines s’enchaînent…

Georges est pugnace mais trop spontané, trop maladroit, trop naïf parfois et… il ne sort pas d’Oxbridge. Son éloquence est muselée par les technocrates de la politique qui l’entourent. Il y a ce qu’il faut dire et ce qu’il faut taire, lui enseigne-t-on : «Dire la vérité tout simplement, ce serait magnifique… Mais les mots n’ont pas seulement un sens, ils ont aussi un effet.» Un entretien télévisé conduit par une journaliste tueuse, signe son arrêt de mort. Et plus dure sera la chute…

Aurélie Van Den Daele a préféré à un docu-fiction, une mise en abyme baroque : «Un travail visuel et thématique inspiré de pièces de Shakespeare». Au-delà du texte, elle procède par inserts : «Des cuts pour plonger dans une autre réalité, dans un autre temps, ou dans la tête de Georges Jones.» Ces séquences sont filmées en amont, mais  surtout captées en direct, en dehors du plateau ou sur scène.  Cette option produit une esthétique cohérente :  la scénographe Chloé Dumas joue astucieusement sur la profondeur de l’espace, et la hauteur, sur un écran où s’affichent les moments hors-champ de la pièce et le titre des chapitres de ce feuilleton politique. 

Après un début difficile qui s’attarde avec lourdeur sur la bataille annoncée (un bon quart d’heure d’inutile mise en jambes!), avec un matraquage visuel et sonore grandiloquent, le théâtre finit par arriver quand on entend la pièce qui, une fois décapée, s’inscrit dans le droit fil de l’art de la politique propre à la dramaturgie anglaise, depuis William Shakespeare abondamment cité par David Hare. Son héros, faute d’avoir fréquenté les grandes universités, aime le théâtre. Il connaît et cite ses classiques, jusqu’à Molière.

L’Absence de guerre (1993) fait partie d’une trilogie sur le Parti travailliste, écrite  après Racing Demon (1990) et Murmuring Judges (1991). L’auteur a suivi la campagne électorale de Neil Kinnock, leader de la gauche britannique au début des années 1990 et il a pu voir comment, pour conquérir le pouvoir, les dirigeants ont renoncé aux idéaux socialistes. Malcolm Pryce, ministre des finances du cabinet fantôme et traître de service, rappelle Tony Blair que le dramaturge évoquera plus tard dans Stuff Happens (2004) et dans The vertical Hour (2006), notamment pour le rôle qu’il joua dans la guerre en Irak. Le conservateur Charles Kendrick, ennemi politique désigné, semble en fait moins dangereux que les Machiavel du camp de George Jones…

Cette absence de guerre s’avère en fait, pour une génération qui ne l’a pas connue, un combat impitoyable. Et le public français retrouvera ici ses hommes politiques et, au sein du socialisme, l’affrontement habituel entre utopie et réalisme cynique. Sidney Ali Mehelleb incarne avec finesse un Georges Jones nerveux dont le tonus cache des failles intimes. Grégory Corre, en traître inquiétant, lui donne la réplique dans une belle scène où les frères ennemis s’affrontent, filmés en direct dans un souterrain. En fait, dans un couloir du théâtre. Émilie Cazenave est plus convaincante en communicante, qu’en vieille militante travailliste, et Julie Le Lagadec  offre une belle caricature de journaliste aux dents longues. Les neuf acteurs, dont quelques-uns interprètent plusieurs personnages, excellent dans le jeu en direct comme devant la  caméra de Julien Dubuc qui les saisit au plus près, sur plateau et dans les coulisses.  Une fois passé le premier quart d’heure, on ne regrettera pas ce voyage jusqu’à la Cartoucherie.

Mireille Davidovici

Jusqu’au 3 février, Théâtre de l’Aquarium, Cartoucherie de Vincennes, route du Champ de manœuvre,  Vincennes (Val-de-Marne). T. 01 43 74 99 61.

Le 21 mars, La Faïencerie, Creil (Oise).
Les 2 et 3 avril, Théâtre des Îlets, Montluçon (Allier) ; le 5 avril, Fontenay-en-scènes, Centre culturel de Fontenay-sous-Bois (Val-de-Marne) et du 9  au 12 avril, Théâtre de la Croix-Rousse, Lyon (Rhône) .

 

 

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