Orphée aphone, texte et interprétation de Vanasay Khamphommala
Orphée aphone, texte et interprétation de Vanasay Khamphommala
En prologue à Orphée aphone, le spectacle s’ouvre sur une Invocation à la muse, où le comédien-poète cherche l’inspiration sous les coups d’une muse fouetteuse, interprétée par la performeuse Caritia Abell . Cet étrange rituel, dans un décor bucolique un peu mièvre, allie sado-masochisme et tendresse romantique. Il apparaît comme un bricolage improvisé en direct, dont on suit l’élaboration grâce à un surtitrage décalé et humoristique. On ne cerne pas vraiment l’utilité de cet incipit dans l’économie générale de la pièce : il se veut une création éphémère, en contraste avec Orphée aphone, rigoureusement écrit et composé ; une esquisse, d’où surgira le corps de la pièce.
Orphée apparaît enfin ; selon le mythe, en quête de son Eurydice, précipitée aux Enfers le jour de leurs noces par une morsure de serpent. Mais, brisé de douleur, le Poète des poètes a perdu sa voix légendaire. Sans elle, comment convaincre les divinités souterraines de lui rendre sa bien-aimée ? Faute de chant, il lui reste la parole. Vanasay Khamphommala a été chanteur puis perdu sa voix : « Orphée aphone est une tentative de répondre au silence qui s’est imposée à ma vie, dit-il. Une manière de retrouver une voix silencieuse dans l’écriture.» Comme Orphée, en deuil d’un être cher, il tente aussi avec cette pièce: «de ressusciter un fantôme dans la fiction.» Il choisit l’alexandrin, vers classique par excellence, qu’il émaille de trivialités, à la manière de William Shakespeare dont il a traduit plusieurs œuvres.
En deux parties, la pièce, contrairement à l’original latin, donne la parole à Eurydice à la suite d’Orphée. Corps longiligne d’éphèbe, Vanasay Khamphommala évolue avec grâce dans la scénographie simple et légère de Caroline Oriot qui se transforme à mesure que le héros s’enfonce dans les ténèbres. Un voile suffit à habiller l’espace, et les changements de costume marquent les variations de tonalité. Des images surgissent sous l’effet des lumières, accompagnant dans la première partie, un jeu lent et solennel porté par le texte.
La métrique horlogère de la partition écrite et de la gestuelle témoigne d’un engagement entier. De par sa formation musicale et théâtrale, l’artiste maîtrise tous les codes et chacun de ses mouvements donne à cette première partie une inflexion tragique, rompue à bon escient par des traits d’humour et quelques vulgarités. Il conçoit son adaptation comme un «hommage irrévérencieux». «La perfection que ce classicisme exige, comme le visage d’Eurydice, une perfection inaccessible.»
Abandonné à son triste sort, Orphée se métamorphosera en Eurydice. Les alexandrins se disloquent en sanglots et le lamento se brise en éclats, dans la mise en pages du livre publié comme dans l’espace scénique. Eurydice répond à Orphée sous une forme plus contemporaine, jouant de l’ambiguïté masculin/ féminin. « Le silence est aux morts/ la parole aux vivants/ et chanter pour les morts/c’est chanter pour le vent/ espérant que/peut-être/ traversant le temps/ le vent leur portera/ l’écho de notre chant/» dit l’amante dont la voix se fond, à la plainte de Didon dans l’aria finale du Dido and Aeneas, opéra d’Henry Purcell : «Remember me/but ah/ Forget my fate.» Une voix perchée de mezzo-soprano.
Vanasay Khamphommala, traducteur, auteur d’un Faust et de ce premier spectacle personnel, se présente aussi comme «chanteuse». Artiste associé au Centre dramatique national de Tours, où il travaille comme dramaturge depuis plusieurs années, notamment pour les mises en scène de Jacques Vincey, directeur des lieux, il signe ici une performance poétique et baroque, où la langue et la versification, soigneusement architecturées, soutiennent une interprétation fluide et légère. On regrette un peu l’introduction improvisée de cette Invocation à la muse, plus kitch que sado-maso, dont la fausse ironie nous a moins convaincus, même si ce lever de rideau témoigne du même engagement corporel qu’Orphée aphone. On découvre ici un artiste original qui met ses capacités littéraires, physiques et vocales au service d’un mythe réactualisé, en jouant sur le trouble du « genre ». Un thème dans l’air du temps, mais déjà présent dans l’antiquité gréco-romaine, notamment chez Platon ou Ovide (dont on a célébré en 2017, les deux mille ans de la mort).
Mireille Davidovici
Du 9 au 15 janvier, Théâtre Olympia, 7 rue Lucé, Tours (Indre-et-Loire) T. : 02 47 64 50 50.
Du 11 au 15 mars, aux Plateaux Sauvages à Paris XX ème.
Le texte est publié dans un recueil avec l’adaptation d’un autre conte des Métamorphoses d’Ovide, Vénus et Adonis, aux Editions Théâtrales.