Charlotte,conception et mise en scène de Muriel Coulin
Charlotte, libre adaptation de Vie? Ou Théâtre? de Charlotte Salomon, et de Charlotte de David Foenkinos, conception et mise en scène de Muriel Coulin
«C’est d’abord la personnalité de Charlotte Salomon qui m’a plu. C’est une femme qui se bat, contre les démons de sa propre famille, contre un monde qui perd la raison, dit Muriel Coulin. Charlotte tente de ne pas sombrer, en créant, comme elle le dit, «quelque chose de fou et singulier. » (…) Malheureusement, l’Histoire la rattrape. La metteuse en scène et réalisatrice de cinéma nous fait revivre pendant une heure quarante, la brève existence d’une jeune Juive, née à Berlin en 1917, réfugiée chez ses grands-parents en 1939, à Villefranche-sur-mer. Pour défier le destin familial funeste, où, de génération en génération, les femmes se suicident (sa tante, sa mère et sa grand-mère), Charlotte se lance dans une vaste fresque picturale autobiographique, peintures et textes mêlés, Leben ? Oder Theater ? (Vie? Ou Théâtre ?). Mais ironie de l’Histoire, elle sera arrêtée et déportée à Auschwitz en 1943. Elle a vingt-six ans et avant de disparaître, elle confie son œuvre à un ami médecin niçois : «Prenez-en soin, lui dit-elle, c’est toute ma vie. »
Quelques expositions lui ont été consacrées et des opéras: Charlotte Salomon, livret de Barbara Honigman d’après Leben? Oder Theater?, musique de Marc-André Dalbavie (2014), Charlotte: A Tri-coloured play with music, du compositeur tchèque Ales Brezina, livret d’Alaon Nashman (2017). Et un ballet : Charlotte Salomon de Briget Breiner et Michelle DiBucci (2015). En France, le roman de David Foenkinos (Prix Renaudot et Prix Goncourt des lycéens en 2014) l’a fait connaître à un large public.
Ici, Charlotte renaît de ses cendres sous les traits de Mélodie Richard, entourées de cinq comédien(ne)s. Avec, en alternance, le récit de Charlotte et la reconstitution de scènes familiales. Projetées en fond de scène, ses puissantes peintures aux couleurs éclatantes témoignent des moments-clefs de sa courte vie, en Allemagne puis sur la Côte d’Azur. Ses gouaches figurent les foules hitlériennes, la Nuit de cristal, le suicide de sa tante…
Elle a illustré aussi le beau poème de Rainer Maria Rilke Chanson de l’amour et de la mort du Cornette Christophe Rilke pour l’anniversaire de son premier amour, Amadeus Daberlohn, nom donné dans son livre à Alfred Wolfsohn, le professeur de chant de sa belle-mère, la célèbre cantatrice Paula Lindberg. On voit aussi des baigneuses sur une plage de la Méditerranée… « C’était l’été, il y avait les arbres, le ciel, la mer, mes couleurs, mes pinceaux et rien d’autre. »(…) « J’avais besoin d’être absolument seule pour trouver ce qu’il me fallait trouver : moi-même, un nom pour moi, sinon j’en finirais avec la vie. C’est ainsi que j’ai commencé Vie ? ou Théâtre ? »
Le spectacle s’ouvre sur le témoignage du père et de la belle-mère de Charlotte, filmé en 1963 pour le Pariser Journal. Ils ont survécu en s’exilant à Amsterdam, et n’ont pas revu la jeune fille depuis son départ de Berlin. Après cet incipit bouleversant, les séquences s’enchaînent mais sans véritable rythme. On ne reconnaît pas dans cette adaptation les contrastes colorés de l’œuvre picturale, ni l’écriture syncopée de David Foenkinos. On ressent peu la montée du nazisme, l’oppression envers les Juifs, la peur, l’angoisse présentes dans Vie? Ou Théâtre? Les comédiens restent à distance de leurs personnages, figures monolithiques d’une reconstitution historique froide. Le rôle de la cantatrice permet à Nathalie Richard de donner plus de relief à sa Paulinka. Mais ce spectacle décevant nous fait découvrir ou retrouver une artiste étonnante, victime d’une tragédie qu’il ne faut pas oublier.
Mireille Davidovici
Jusqu’au 3 février, Théâtre du Rond-Point, 2 bis avenue Franklin-D. Roosevelt, Paris VIII ème. T. : 01 44 95 98 21.
Les 25 et 26 avril, Centre Dramatique de Lorient (Morbihan).
Vie ? Ou Théâtre ? de Charlotte Salomon est paru aux éditions Le Tripode,
Charlotte de David Foenkinos, éditions Gallimard.