Les Idoles, texte et mise en scène de Christophe Honoré

, © Jean-Louis Fernandez

© Jean-Louis Fernandez

Les Idoles, texte et mise en scène de Christophe Honoré

Christophe Honoré a quarante huit-ans et s’était fait connaître par un bel article iconoclaste en 1998 Triste moralité du cinéma français, où il attaquait notamment Marius et Jeannette de Robert Guédiguian  et Nettoyage à sec d’Anne Fontaine, ce qui avait provoqué un mini-scandale parisien. Il avait créé au festival off d’Avignon 98,  sa première pièce Les Débutantes qui connut un certain succès. Comme au cinéma : 17 fois Cécile Cassard et un téléfilm adapté de son roman Tout contre Léo.  Suivra en 2.004 Ma Mère adapté du roman de Georges Bataille.
L’année suivante, il créera dans le in d’Avignon, Dionysos impuissant, une adaptation des Bacchantes d’Euripide. Et trois ans plus tard, toujours pour ce même festival, Angelo, tyran de Padoue de Victor Hugo. Parallèlement, il réalisera plusieurs films dont un septième long-métrage,  Non ma fille, tu n’iras pas danser.
En 2012, il écrit et met en scène un pièce sur les écrivains du Nouveau roman  et signe avec d’autres personnalités une tribune dans Le Monde où il dénonce les propos tenus par des responsables politiques et religieux à l’égard de la communauté des homosexuels dont Christophe Honoré se revendique.

 Fin XXème siècle ; le sida frappe très durement les homosexuels en quelques années, et il nous souvient d’avoir connu, parlé, rencontré ou partagé un repas avec au moins une bonne vingtaine de victimes dans le monde artistique. Très connus comme Michel Guy, Jean-Luc Lagarce ou pas du tout, comme notre très jeune élève de l’École de Chaillot, et un accessoiriste de ce théâtre, puis le merveilleux marionnettiste américain Robert Anton. Bref, l’hécatombe…  Christophe Honoré avait vingt ans en 1990: année du décès de Jacques Demy et d’Hervé Guibert, écrivain, un an après celui de Bernard-Marie Koltès, auteur dramatique. En 92 disparaissait l’excellent critique Serge Daney comme Cyrille Collard, le cinéaste des Nuits fauves. En arrivant à Paris, Christophe Honoré voit  trois ans après sa création Jours étranges de Dominique Bagouet, lui aussi mort du sida, un spectacle qui l’impressionne beaucoup.

Dans Nouveau Roman, Christophe Honoré rendait une sorte d’hommage à des écrivains  comme Michel Butor, Simon, Alain Robbe-Grillet, Marguerite Duras ou Françoise Sagan. Et il évoque ici, en orphelin admiratif, Cyril Collard, mort trois jours avant ses quatre Césars, Serge Daney, Jacques Demy, Hervé Guibert, Bernard-Marie Koltès et Jean-Luc Lagarce encore peu connu à l’époque. Ils se parlent, sur la vie, sur l’art, s’engueulent un peu, rient aussi. C’est une sorte de comédie qui n’en est pas une: tragique, avec ces morts qui annoncent clairement en scène qu’ils ont bien disparu : plane aussi sans cesse la mort mais aussi l’amour et le désir sexuel qui l’a entraînée, sans que rien ne puisse l’arrêter. Jusqu’à la découverte de l’AZT puis des trithérapies. Mais trop tard pour ces six artistes. C’est à une sorte d’hommage tout à fait sincère que se livre l’auteur.

Nostalgie de ces années-là ? Oui, pour l’œuvre et pour les hommes mais non pour le cauchemar que cela a représenté pour nombre d’entre eux. Christophe Honoré ne l’a pas oublié et nous non plus. Il dirige remarquablement ses comédiens sans jamais tomber dans l’illustratif : Collard (Harrison Arévalo) Koltès (Youssouf Abi-Ayad) Demy (Marlène Saldana), Guibert (Marina Foïs), Lagarce (Julien Honoré) et Daney/(Jean-Charles Clichet) se parlent vivants et morts confondus.  Et Christophe Honoé a assez d’humour pour faire passer les choses  et exorciser la mort. Mais comme nous le rappelait un ami chimiste chercheur à l’Institut Curie et qui a travaillé sur ce virus, un des plus meurtriers qu’ait connus la planète, et trop de jeunes gens croient encore que l’on peut guérir du sida, alors qu’on peut juste en empêcher le développement. Ce qui est déjà un progrès considérable…

Cela commence avec la voix off de l’auteur qui raconte comment arrivé tout jeune à Paris de sa Bretagne natale, il voulait « tout ressentir et tout comprendre »  et découvrir un monde artistique. Et quand il se confie, quand il parle de lui et de ce qui l’a touché, cela sonne juste et fort. Mais bon, passée la première demi-heure, l’ennui arrive vite malgré de belles images, et la scénographie d’Alban Ho Van très réussie : une espèce de hall en béton sous des gradins. Malgré aussi les merveilleux et très comiques petits ballets de Marlène Saldana dans son gros manteau de fourrure… Et on retrouve les même défauts que dans les spectacles précédents de Christophe Honoré.

Désolé, mais comment dire les choses avec franchise : il y a comme une certaine paresse dans l’air et la trop facile écriture de plateau a encore frappé ! Celle qu’il avait déjà employée pour Nouveau Roman et Fin de l’Histoire et qui ne tient pas ses promesses: les dialogues ne sont guère plus intéressants, que les trop nombreux solos. Et côté dramaturgie, on ne comprend pas bien ce qu’il a voulu faire avec cette évocation de la mort de Rock Hudson, même si Serge Daney en avait parlé dans Libération.

Pour le reste, cela tient souvent d’une sorte d’aide-mémoire peu convaincant. Et pour quel public? Les mots de Mireille Davidovici à propos de Violentes femmes (voir Le Théâtre du Blog) pourraient s’appliquer ici : « L’assemblage de ces propositions amusant mais hétéroclite, n’a aucune nécessité: le public s’ennuie malgré ses efforts d’attention et de beaux acteurs sur le plateau.” (…) « On n’a jamais l’impression d’avoir affaire à une texte vraiment fort mais plutôt à une sorte de démonstration.” Même encore une fois si c’est impeccablement dirigé et s’il y a de belles images, l’ensemble assez statique et peu éclairé, fait du sur-place pendant deux heures et demi, sans aucune pause ni entracte! Et pour dire quoi? Et surtout à qui?
« Tenter que le texte soit le lieu d’une vie revécue » pour construire ce spectacle ne nous a pas vraiment convaincus. Alors, à vous de voir.

Philippe du Vignal

Odéon-Théâtre de l’Europe, Place de l’Odéon, Paris VI ème. T. : 01 44 85 40 40 jusqu’au  1er février (surtitrage en anglais; le samedi 26 janvier).


Archive pour 14 janvier, 2019

Pupilla de Frédéric Vossier, mise en scène de Maëlle Dequiedt

Pupilla textes  (Saint-Laurent velours perdu, Pupilla, Chambres de Marguerite G. ) de Frédéric Vossier,  mise en scène de Maëlle Dequiedt

 

Crédit photo : Mathilde Delahaye

Crédit photo : Mathilde Delahaye

L’imagination, fabrique inlassable d’images mentales, est «maîtresse d’erreur et de fausseté », selon Pascal, alors même que cette perversité se vérifie dans les deux sens,  chez le sujet inventeur et créateur, comme dans l’objet conçu. L’esprit fantastique peut-il se représenter les choses au moyen des images ? Tromperie du langage et de la communication : l’idolâtrie repose sur des apparences trompeuses et des identifications fallacieuses. Les idoles ne sauraient être des représentations adéquates de figures idéales et atemporelles : elles ne sont que simulacres, vaines apparences, images…

 Maëlle Dequiedt met brillamment en scène ce texte avec l’inventive et généreuse Laure Werckmann, capable d’élever une stèle de dignité et d’humanité profonde à son personnage. Frédéric Vossier s’amuse à déconstruire le cliché de la mythique actrice hollywoodienne, non pas Marilyn Monroe mais Elizabeth Taylor.  En essayant de capter le secret de sa force vitale,  de sa pulsion de vie. Liberté de la femme, démesure et désir absolu de mordre la vie à pleines dents : père, mère, frère, hommes et femmes, et en se moquant des conventions.

 Laure Werckmann, spectatrice-narratrice installée dans une salle de cinéma aux chaises alignées, évoque la vie de cette icône de cinéma. En fond de scène, sur un écran de salle obscure, sont projetées dès le début, des extraits de films mythiques. Liz Taylor a été mariée huit fois dont deux fois avec Richard Burton. Nommer Richard, répéter son nom, le convoquer sur la scène et l’appeler sans fin, voilà une profération dont ne se lasse jamais l’interprète mi-Liz, mi -Laure.

 L’écriture de Frédéric Vossier est répétitive et hallucinatoire, et la comédienne s’approprie peu à peu la conscience éclairée de cette âme en peine, comme si émettre un jugement, dire son sentiment, puis l’émettre et le redire encore une fois, augmentait la sensation unique d’exister. Des images apparaissent avec Liz Taylor et Richard Burton séparément ou ensemble. L’actrice a  sur le plateau une allure hagarde, à la fois éblouie et aveuglée par son personnage. Elle déambule et erre entre les sièges qu’elle écarte. Habitée par d’autres voix et figures fantomatiques, elle ne cesse d’invoquer Ludwig-Louis II de Bavière, empereur mécène de Richard Wagner (encore un autre Richard et cousin d’Elizabeth d’Autriche-autre Elizabeth, qui a donné son nom au film de Luchino Visconti, Ludwig ou le Crépuscule des dieux.

 Image voguant entre réel et fiction, mensonges, trivialité et vulgarité, Elizabeth Taylor reste aujourd’hui une des pionnières et subversives à s’être attaquée aux préjugés misogynes et réactionnaires du cinéma américain. Flamboyante Liz Taylor, incarnée par une comédienne à la fois malicieuse et sensuelle, vivante et tonique. Et le spectacle trouve son équilibre grâce  une  musique discrètement suggestive, et grâce aux images projetées… Devant l’écran, sur un rideau de fils, apparaît l’icône. Et on peut voir la splendeur majestueuse des montagnes enneigées, inspirées par la Bavière ou les paysages de La Montagne magique de Thomas Mann, grande nature consolatrice. Immatérielle et aérienne, telle l’icône de cinéma entrevue en noir et blanc sur l’écran et bien vivante sur le plateau, Laure Werckmann soumet le public à son rayonnement.

Véronique Hotte

Théâtre de la Cité internationale, 17 boulevard Jourdan, Paris XIV ème. T.: 01 43 13 50 50.

La pièce est éditée aux Solitaires Intempestifs.

 

 

 

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