Ervart ou les derniers jours de Frédéric Nietzsche d’Hervé Blutsch, mise en scène de Laurent Fréchuret

©christophe raynaud de lage

©christophe raynaud de lage

Ervart ou les derniers jours de Frédéric Nietzsche d’Hervé Blutsch, mise en scène de Laurent Fréchuret

Hervé Blutsch s’invente une biographie tout aussi échevelée que sa pièce. Ce soi-disant artiste coiffeur et fabricant de produits capillaires a une perruque et de fausses moustaches sorties, comme son Ervart, d’un rayon farces et attrapes. Laurent Fréchuret s’empare de cette comédie qui décoiffe: selon lui  un «poème organique, partition dramatique radicale », dans le cadre du cycle de travail avec les auteurs contemporains qu’il a entamé depuis 2016.

Entre le Turin de Friedrich Nietzsche qui y séjourna de 1888 à 1889  et une ville quelconque, dans les années 2.000, Ervart, sorte d’aristocrate fantasque, égaré par la jalousie et l’alcool, met littéralement la cité à feu et à sang. Sa femme, la fidèle Philomène, attend tranquillement sa guérison en jouant du piano. Un psychanalyste «citationniste» essaye de soigner le dément avec les pensées de Pascal, La Bruyère ou d’autres écrivains, mais un coup de hache dans la tête lui fait perdre la raison.  Des comédiens anglais errent sur le plateau, se croyant, à la vue d’une poubelle brûlée (par un attentat ?)  dans leur drame à succès La Mort de la poubelle), une parabole sur le terrorisme. Un agent secret zoophile, déguisé en précepteur des enfants d’Ervart, enquête sur un réseau terroriste. Une comédienne en mal d’emploi essaye de se faire engager dans le spectacle et s’invente des rôles, avant de jouer avec succès une putain nymphomane. Un spectre incarne les fantasmes du mari jaloux, déguisé en Fantomas. On retrouve les enfants d’Ervart, échappés de leur enclos, devant les dessins animés favoris de Frédéric Nietzsche qui loue une soupente dans la fastueuse maison du héros. L’écrivain pose dans la poubelle ses dernières  bombes philosophiques : L’Antéchrist et  Ecce homo, entre deux numéros de claquettes… Avant de sombrer dans la folie, quand, sur la place Carlo Alberto il voit un cocher maltraiter son cheval. Il se précipite, enlace son encolure et éclate en sanglots, interdisant à quiconque de s’approcher. Dans Le Cheval, Michel Tournier rapporte cet épisode : l’écrivain allemand «a vainement demandé à la municipalité de Turin de graver cette histoire dans la pierre du trottoir ». 

Quel méli-mélo! Mais on est au théâtre, rappelle un majordome en livrée, venu à l’avant- scène nous résumer cette histoire inénarrable, pendant le changement de décor. Le télescopage permanent entre époques  et personnages, les  multiples intrigues  comme le farfelu des situations sont un défi pour Laurent Fréchuret qui s’en sort avec brio. Le décor, en perpétuel mouvement, se transforme comme par magie : il suffit de quelques variations de lumière et d’accessoires, pour glisser d’une séquence à l’autre.  Avec un jeu de portes qui s’ouvrent, se ferment, ou se déplacent au gré des scènes… Un va-et-vient soigneusement réglé, au rythme de la musique d’une valse viennoise ou d’un film d’espionnage à la James Bond. Après un commencement difficile -le temps de se repérer dans ce texte foisonnant!- le spectacle trouve sa cohérence et son allure de croisière. Surtout dans la deuxième partie, avec de belles trouvailles comme ce pique-nique, ou une partie de croquet, quand le faux précepteur câline une jument blanche grandeur nature mue par deux acteurs et  très entreprenante… Ou encore  l’interrogatoire hilarant des comédiens anglais, prisonniers de l’espion, par le truchement d’une traduction fantaisiste.

Humour potache, gentilles grivoiseries, références tirées par les cheveux et péripéties un peu forcées ne plairont pas à tout le monde. Mais on passe un bon moment avec cette comédie bizarre, servie par des comédiens qui jouent à fond le burlesque: Vincent Dedienne donne toute sa mesure à un cocu imaginaire et furibond, Jean-Claude Bolle-Reddat joue un serviteur furtif et inquiétant et Stéphane Bernard, un espion sentimental et maladroit.

 Mireille Davidovici

Jusqu’au 10 février, Théâtre du Rond-Point, 2 bis avenue Franklin D. Roosevelt, Paris  VIII ème. T. : 01 44 95 98 21.

Les 13 et 14 février, Théâtre de l’Union, Limoges (Haute-Vienne).

 La pièce, déjà imprimée en tapuscrit Théâtre Ouvert, paraîtra aux Solitaires Intempestifs.


Archive pour 18 janvier, 2019

Certains regardent les étoiles, mise en scène de Michel Dusautoy

Certains regardent les étoiles, mise en scène de Michel Dusautoy
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C’est un monologue, une vraie fausse conférence fondée sur des faits scientifiques réels. Victor évoque son enfance et sa passion pour l’astronomie qui a bouleversé sa vie, une nuit d’orage quand il avait douze ans. Il évoque les météorites « des pierres dans l’espace, des pierres extraterrestres qui proviennent d’astéroïdes des commencements de l’histoire de l’univers (…) Avoir une météorite dans ses mains, c’est toucher un bout de passé que l’on va conserver pour l’univers, c’est magique. »On explore les mystères des étoiles, l’étoile polaire indiquant le Nord céleste.Et on apprend que 20.000 tonnes de matières spatiales nous tombent dessus tous les ans. Il y a une ceinture d’astéroïdes en forme de patates entre Mars et Jupiter. Le 30 novembre 1954 un astéroïde a formé un cratère en Argentine et 2.000 cratères sont provoqués sur notre planète par des astéroïdes. On apprend aussi que les météorites et la foudre ont des points communs.Des diapositives étonnantes se succèdent sur l’écran. Ce cabinet de curiosités scénographié par Michel Dusautoy et bien interprété par Damien Saugeon, fascine les jeunes enfants et les quelques adultes présents.
Edith Rappoport
Spectacle vu le 16 février au Théâtre Antoine Vitez, Ivry (Val-de-Marne) jusqu’au 18 janvier. T. :  01 46 70 21 55.

Antigone 82, d’après Le Quatrième Mur de Sorj Chalandon, mise en scène de Jean-Paul Wenzel

Ernest Pignon-Ernest

Ernest Pignon-Ernest

Antigone 82, d’après Le Quatrième Mur de Sorj Chalandon, adaptation d’Arlette Namiand, mise en scène de Jean-Paul Wenzel

 Tragédie politique : de 1967 à 74, la dictature des colonels met à bas l’Etat grec. Toute une jeunesse est arrêtée, torturée, exilée dans les îles désertes de la mer Egée. Les plus chanceux, se sont réfugiés à l’étranger. Ainsi en 74, Samuel Akounis, jeune metteur en scène grec, se trouve parmi un groupe d’étudiants à Paris. Bonheur de vivre, amitiés : il a cependant une idée fixe même folle et saugrenue: faire jouer Antigone de Jean Anouilh à Beyrouth alors en pleine guerre.

Mais une tragédie personnelle l’attend au tournant : gravement malade, il ne retournera pas là-bas. Il conjure son ami Georges de prendre sa place, et la kippa qui va avec. Non comme signe religieux, mais comme signature paradoxale d’une identité universelle : tous différents, tous humains. Comme la petite troupe rassemblée par Samuel : des druzes, maronites, sunnites, chiites, libanais, syriens… Le travail a commencé, certains savent déjà leur texte, d’autres se retirent du projet : on ne touche pas la main d’un ennemi.

Georges arrive dans ce territoire explosif avec une naïveté comique, sous la protection de son chauffeur-ange gardien à poigne. Antigone sera-t-elle jouée dans  un vieux cinéma en ruine, avec une entrée côté Beyrouth-Ouest et une autre côté Beyrouth-Est ? Un moment de miracle, et la guerre reprend tout, pénétrants les âmes et les corps de ceux qu’elle ne tue pas.

Le spectacle commence comme une joyeuse fête d’étudiants, pleine d’embrassades et de rires, bricolé comme dans une improvisation. Mais, peu à peu, la présence de l’Histoire s’impose, dans toute sa gravité et sans emphase. On quitte une France douce, protégée, pour un Moyen-Orient qui n’en finit pas avec la guerre. Jouer l’Antigone de Jean Anouilh ? Très vite, le spectateur, très proche des comédiens, est embarqué dans l’attente, l’espoir et leur revers : la terreur et la pitié.

Dialectique de la vitalité et de la fascination de la mort, Sorj Chalandon et Arlette Namiand nous entraînent sans faiblir, dans une mise en scène radicale. Pas d’ornement : ce théâtre artisanal, fait main, trace une ligne puissante. On sourit quand deux chaises suffisent à évoquer une voiture lancée vers des barrages et les frontières. Et l’on y croit. La vidéo apporte les rappels historiques nécessaires, entre autres sur les massacres de Sabra et Chatilla, et nous implique en direct,  quand il y a un appel en urgence par «skype» qui nous relie à ce monde en danger. Si proche, dans ces émotions partagées, le public s’attache à chacun de ces ennemis -tous contre tous et à chacun sa foi- qui ont en commun la force de la parole donnée.

Pierre Giafferi  porte toute la charge d’amitié et loyauté de Georges, les séquelles de son engagement, et la sincérité même du personnage. Avec lui, Hamou Graïa, (son guide), une force tranquille mais comme bourrée d’explosifs. Pierre Devérines, Pauline Belle, Lou Wenzel (Imane, l’actrice palestinienne qui joue Antigone), Fadila Belkebla, Jérémy Oury et les acteurs-musiciens Nathan Gabily (basse électrique et bruitages) et Hassan Abd Alrahman (Oud) apparaissent et reviennent dans différents personnages avec le même engagement, au rythme impeccable du récit et des situations. En un instant, le metteur en scène grec juif se métamorphose en acteur maronite jouant Créon ; un chef phalangiste chrétien, en acteur druze jouant Hémon, et chacun, en soldat de l’un ou l’autre côté. Et «cela ne veut pas rien dire» : pour jouer une telle pièce, une telle histoire, pour les comédiens et le metteur en scène, pas question de choisir son camp !

Et en donnant tout, le plus simplement possible, à chacun de leurs personnages, les comédiens arrivent à créer entre eux un collectif exemplaire. Il est rare de voir vivre un projet d’une telle cohérence entre le propos et les moyens mis en jeu : un théâtre du minimum pour une intensité maximale. Antigone 82 commençait comme une improvisation entre copains, mais elle démantèle le quatrième mur et nous conduit jusqu’à la tragédie, celle du théâtre et celle de l’histoire.

Christine Friedel

Théâtre de l’Épée de bois, Cartoucherie de Vincennes, route du Champ de manœuvre, Vincennes (Val-de-Marne) jusqu’au 10 février. T. : 01 48 08 39 74.

The Generosity of Dorcas, conception et chorégraphie de Jan Fabre

The Generosity of Dorcas, conception et chorégraphie de Jan Fabre

©Marcel Lennartz

©Marcel Lennartz

Jan Fabre, artiste, chorégraphe et metteur en scène, reste, à soixante ans l’enfant terrible de la danse contemporaine. Je suis sang, Orgy of Tolerance,  Prometheus Landscape, (voir Le Théâtre du blog) ont rencontré un succès international mais soulevé aussi des polémiques. Aujourd’hui encore, on met en cause son emprise passée sur ses artistes féminines. Jean-Marie Hordé, directeur du Théâtre de la Bastille, écrit dans le programme du spectacle: «Par une lettre ouverte, une vingtaine d’ex, ou d’actuels, interprètes de Jan Fabre ont dénoncé certains de ses abus de pouvoir. Leur parole leur appartient mais il ne me revient pas de me substituer au juge, ni même en l’absence de toute procédure officielle, d’entretenir un soupçon qui vaudrait, sans preuve, condamnation. Aucune démocratie ne peut se satisfaire des jugements de l’opinion. Ainsi nous maintenons la présentation de la pièce.»

Ce solo a été initialement créé par l’une des ex-interprètes qui mettent en cause le chorégraphe. Jan Fabre étant absent à cette première, Matteo Sadda, qui la remplace, arborait au salut, un sourire et on le sentait donc soulagé. La pièce, présentée dans le cadre du festival Faits d’hiver 2019, évoque une figure féminine biblique qui cousait et donnait des vêtements pour les pauvres et qui fut ressuscitée par l’apôtre Pierre. Jan Fabre montre ses faits et gestes durant cinquante-cinq minutes et le danseur pose des vêtements devant les spectateurs du premier rang.

Dans une belle scénographie, signée aussi de Jan Fabre figurant une nef multicolore, constituée de cinq rangées de cordes de laine tendues par une grosse aiguille, Matteo Sedda interprète une danse rituelle en fichant ces aiguilles sur son corps. Le sens de ce cérémonial reste mystérieux mais le public est captivé par ce danseur exceptionnel.

Un spectacle à découvrir.

Jean Couturier

Jusqu’au 31 janvier, (relâche du 20 au 24 janvier et le 27 janvier). Théâtre de la Bastille, 76 rue de la Roquette, Paris XI ème.

Ils n’avaient pas prévu qu’on allait gagner de Christine Citti, mise en scène de Jean-Louis Martinelli

Ils n’avaient pas prévu qu’on allait gagner de Christine Citti, mise en scène de Jean-Louis Martinelli

 

©Christine Citti

©Christine Citti

Certains  mineurs de treize à dix-huit ans arrivent dans les foyers d’accueil d’urgence, le sens de ce mot étant tout relatif puisque l’urgence se poursuit sur quelques mois, voire une année, avant que ne soit trouvé un lieu plus salutaire : retour à la famille originelle mais rarement, ou famille d’accueil. Christine Citti et  Jean-Louis Martinelli ont côtoyé ces adolescents blessés, les ont vu vivre dans leur mal-être. La comédienne et auteure les a observés, meurtris par la réalité familiale et sociale, dans un foyer inconfortable de Seine-Saint-Denis. Ce qui lui a permis de restituer une langue: «Les filles ont presque toutes vécu des épisodes de violence sexuelle ou physique au sein de leur famille, dans leur quartier ou ailleurs, et des tentatives de suicide… » Ces foyers d’accueil d’urgence à Paris, dans sa périphérie et en régions, ne sont guère propices à une immersion authentique de personnes extérieures. Des locaux, mieux adaptés, plus humains, n’existent pas. Et on peut simplement y faire des rencontres privilégiées mais brèves dans ces foyers où il y a une rotation permanente des éducateurs et des adolescents.

Le spectacle participe du théâtre documentaire mais le transcende. Nous avons une connaissance approximative de ces jeunes gens perdus qu’on ne veut jamais entendre et à laquelle Christine Citti donne enfin la parole. Jean-Louis Martinelli a bien saisi les désirs enfouis et les violences subies qu’il subissent: mépris parental, déscolarisation, petits vols, consommation et commerce de produits illicites, prostitution… Et il les a mis en scène avec une gestualité adaptée qui suscite d’emblée l’empathie et la compassion avec ceux que la vie a blessés et qui ont pourtant une intuition des mécanismes sociaux contre lesquels ils ne peuvent lutter. Leur détresse affective ne les empêche pas d’avoir la volonté de vivre des passions, des plaisirs, malgré les douleurs subies… Mais certains ont une rage de mordre la vie : insultes, injures, provocations physiques, coups…  La langue crue de ces garçons et filles à la dérive ne laisse rien transparaître de leurs attentes, comme s’ils admettaient avoir intégré un monde où règnent la vulgarité et le parjure.

Les comédiens, admirables et au plus près de leur personnage, composent un chœur vocal et dansent dans un ballet chorégraphié par Thierry Thieû Niang. Autour de Christine Citti dans le rôle d’une intervenante extérieure, éducateurs et «éduqués» s’engagent pleinement dans des enjeux existentiels. Une grande scène nue avec une grande porte battante au lointain, rappelle toutes les belles mises en scène de Jean-Louis Martinelli. Mais cette porte signifie aussi la barrière qui sépare l’extérieur, de l’intérieur du foyer. Un canapé, à cour et une table et quelques chaises et à jardin, une grande cabine vitrée où ont lieu rendez-vous, entretiens entre éducateurs qui veulent être au plus proche des locataires obligés du lieu. Jean-Louis Martinelli qui a mis en scène avec talent  l’œuvre engagée politiquement et esthétiquement de Lars Norén, rend très bien ici les affres de la société. Ses remarquables acteurs jouent avec générosité et s’essayent à la boxe et aux arts martiaux, ici bien entendu, très contrôlés et dansés… Vérité des situations et des personnages interprétés avec une gestuelle éblouissante : le public est vite saisi par cette hargne et cette justesse qui suscite l’émotion.

Véronique Hotte

MC93 de Seine-Saint-Denis, 9 boulevard Lénine, Bobigny. (Seine-Saint-Denis).T. : 01 41 60 72 72.

Châteauvallon-Scène nationale, les 4 et 5 octobre.
Théâtre du Gymnase, Marseille, les 8 et 9 octobre. Espace des Arts, Scène nationale de Chalon-sur-Saône, les 17 et 18 octobre.

 

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