Ils n’avaient pas prévu qu’on allait gagner de Christine Citti, mise en scène de Jean-Louis Martinelli
Ils n’avaient pas prévu qu’on allait gagner de Christine Citti, mise en scène de Jean-Louis Martinelli
Certains mineurs de treize à dix-huit ans arrivent dans les foyers d’accueil d’urgence, le sens de ce mot étant tout relatif puisque l’urgence se poursuit sur quelques mois, voire une année, avant que ne soit trouvé un lieu plus salutaire : retour à la famille originelle mais rarement, ou famille d’accueil. Christine Citti et Jean-Louis Martinelli ont côtoyé ces adolescents blessés, les ont vu vivre dans leur mal-être. La comédienne et auteure les a observés, meurtris par la réalité familiale et sociale, dans un foyer inconfortable de Seine-Saint-Denis. Ce qui lui a permis de restituer une langue: «Les filles ont presque toutes vécu des épisodes de violence sexuelle ou physique au sein de leur famille, dans leur quartier ou ailleurs, et des tentatives de suicide… » Ces foyers d’accueil d’urgence à Paris, dans sa périphérie et en régions, ne sont guère propices à une immersion authentique de personnes extérieures. Des locaux, mieux adaptés, plus humains, n’existent pas. Et on peut simplement y faire des rencontres privilégiées mais brèves dans ces foyers où il y a une rotation permanente des éducateurs et des adolescents.
Le spectacle participe du théâtre documentaire mais le transcende. Nous avons une connaissance approximative de ces jeunes gens perdus qu’on ne veut jamais entendre et à laquelle Christine Citti donne enfin la parole. Jean-Louis Martinelli a bien saisi les désirs enfouis et les violences subies qu’il subissent: mépris parental, déscolarisation, petits vols, consommation et commerce de produits illicites, prostitution… Et il les a mis en scène avec une gestualité adaptée qui suscite d’emblée l’empathie et la compassion avec ceux que la vie a blessés et qui ont pourtant une intuition des mécanismes sociaux contre lesquels ils ne peuvent lutter. Leur détresse affective ne les empêche pas d’avoir la volonté de vivre des passions, des plaisirs, malgré les douleurs subies… Mais certains ont une rage de mordre la vie : insultes, injures, provocations physiques, coups… La langue crue de ces garçons et filles à la dérive ne laisse rien transparaître de leurs attentes, comme s’ils admettaient avoir intégré un monde où règnent la vulgarité et le parjure.
Les comédiens, admirables et au plus près de leur personnage, composent un chœur vocal et dansent dans un ballet chorégraphié par Thierry Thieû Niang. Autour de Christine Citti dans le rôle d’une intervenante extérieure, éducateurs et «éduqués» s’engagent pleinement dans des enjeux existentiels. Une grande scène nue avec une grande porte battante au lointain, rappelle toutes les belles mises en scène de Jean-Louis Martinelli. Mais cette porte signifie aussi la barrière qui sépare l’extérieur, de l’intérieur du foyer. Un canapé, à cour et une table et quelques chaises et à jardin, une grande cabine vitrée où ont lieu rendez-vous, entretiens entre éducateurs qui veulent être au plus proche des locataires obligés du lieu. Jean-Louis Martinelli qui a mis en scène avec talent l’œuvre engagée politiquement et esthétiquement de Lars Norén, rend très bien ici les affres de la société. Ses remarquables acteurs jouent avec générosité et s’essayent à la boxe et aux arts martiaux, ici bien entendu, très contrôlés et dansés… Vérité des situations et des personnages interprétés avec une gestuelle éblouissante : le public est vite saisi par cette hargne et cette justesse qui suscite l’émotion.
Véronique Hotte
MC93 de Seine-Saint-Denis, 9 boulevard Lénine, Bobigny. (Seine-Saint-Denis).T. : 01 41 60 72 72.
Châteauvallon-Scène nationale, les 4 et 5 octobre.
Théâtre du Gymnase, Marseille, les 8 et 9 octobre. Espace des Arts, Scène nationale de Chalon-sur-Saône, les 17 et 18 octobre.