Training chorégraphie et interprétation de Marion Lévy

 

Training, chorégraphie et interprétation de  Marion Lévy

41A0F3F1-3864-4CA0-811D-4A9E406A7897Mariette Navarro évoque, en retranscrivant les paroles de Marion Lévy, celle de nombreux danseurs. À partir de ce texte, réaliste sur les épisodes la vie de la danseuse qui nous questionne avec ce spectacle émouvant et sincère. «Je vais vous conter, vous reconter, compter sur vous, je dois être sûre qu’aucun d’entre vous ne s’apprête à me trahir», dit-elle, au début, en voix off, en s’adressant au public mais aussi aux parties de son corps qui, avec le temps, la trahiront inexorablement.

 La pièce rend compte des souffrances corporelles et pressions morales infligées par les professeurs de danse et/ou les chorégraphes. Inhérentes  au métier, et de plus en plus souvent exprimées aujourd’hui. Marion Lévy en parle avec humour et tendresse, évoquant sa collaboration avec Anne Teresa de Keersmaeker. Elle s’exprime en dansant, avec une séquence  de pôle-danse, acrobatique et sensuelle et elle nous prend à témoin, en criant ses souvenirs : «T’es moche, t’es raide, t’es toute petite!»

Clown triste, elle grimace parfois ou nous fait revivre des moments intimes : «C’est moi qui ai quitté le seul homme que j’ai aimé, parce que je me sentais trop fragile.» Ce solo d’une heure nous transporte sans aucun temps mort, entre rire et mélancolie, dans le corps d’une artiste. On pense à une séquence de Véronique Doisneau, une pièce puis un film de Jérôme Bel où cette interprète de l’Opéra de Paris, proche de la retraite, a un regard rétrospectif et douloureux sur sa carrière de ballerine, dans l’ombre des étoiles. Les gestes de Marion Lévy qu’elle réalise péniblement quand son corps vieillit, montrent les poses contre nature du célèbre Lac des Cygnes.

Pirouette artistique finale: elle s’élance sur une musique de Richard Wagner et s’évanouit dans un bain de lumière et de fumée. «Je sais la valeur de la bataille pour chaque soldat que vous êtes», dit encore la fragile Marion Lévy qui, au commencement nous avait demandé : «Ne partez pas, ne me laissez pas toute seule.» Aux saluts, le public a répondu présent.

Jean Couturier

Spectacle joué au festival Faits d’Hiver,  Carreau du Temple, 2 rue Perrée, Paris III ème, T: 01 83 81 93 30, les 23 et 24 janvier.

  


Archive pour 24 janvier, 2019

Bérénice de Jean Racine, adaptation et mise en scène d’Isabelle Lafon

Bérénice de Jean Racine, adaptation et mise en scène d’Isabelle Lafon

©pascal Victor

©pascal Victor

 «Il la renvoya malgré lui, malgré elle». Titus, empereur romain, héritier de la République, ne peut épouser une reine orientale et le tragique est là. Dans sa préface, Racine manifeste un beau contentement de soi pour avoir réussi cet exploit de simplicité. Et Isabelle Lafon le prend au mot et choisit la simplicité qui est aussi sa propre marque de fabrique. Elle parle d’adaptation mais elle a seulement fait quelques coupes et a laissé venir parfois, comme une énigme, la répétition d’un vers ou une question en sous-texte.

Sur le vaste plateau du Théâtre Gérard Philipe, sous les lumières de Jean Bellorini qui «respirent» avec la pièce, une table et des chaises, côté jardin. Quatre actrices et un acteur, et la metteuse en scène attentive et aux interventions sensibles. La compagnie d’Isabelle Lafon : Les Merveilleuses n’exclut pas les garçons . Et elle a confié à un comédien le rôle d’Antiochus, un roi oriental, allié et ami de Titus, amoureux muet de Bérénice depuis cinq ans, inventé par Racine, pour les besoins de sa dramaturgie. Il est l’homme de trop, utilisé par Titus, repoussé par Bérénice : il ne lui reste qu’à faire assaut de nobles sentiments et de désintéressement avec les deux autres «acteurs héroïques».

Les autres rôles sont distribués entre les actrices, y compris ceux des heureux confidents et confidentes épargnés par l’amour. Cela va de soi : il ne s’agit pas ici de personnages mais de la naissance d’un texte poétique et des émotions qu’il porte. La pièce commence: par : «Arrêtons un moment ». Isabelle Lafon justement s’arrête pour écouter cette langue traverser les corps des  interprètes qui ne sont pas enfermés dans une lecture. On les sent ouverts, étonnés, vibrants de ce qui se produit en eux. L’émotion les bouscule jusqu’à les propulser en une danse qui parcoure toute la scène. Même et surtout dans la langue de Racine, cette émotion ne peut pas toujours rester contenue.

« Ce n’est point une nécessité qu’il y ait du sang et des morts dans une tragédie : il suffit que l’action en soit grande, que les acteurs en soient héroïques que les passions y soient excitées, et que tout s’y ressente de cette tristesse majestueuse qui fait tout le plaisir de la tragédie. » écrit Racine. Mais on le sait, il n’a rien de doux et Bérénice est une passionnée, une violente : il faut l’entendre  à l’acte III, renvoyer sèchement Antiochus, qui a le seul tort de n’être pas aimé, de n’être pas Titus : « Hé ! Quoi, seigneur, vous n’êtes point parti ?» Elle ira jusqu’à la haine  envers ce malheureux porteur de mauvaises nouvelles: «Pour jamais à mes yeux, gardez vous de paraître.» Et pourtant elle était faite pour aimer: «J’aimais, Seigneur, j’aimais, je voulais être aimée.» Inutile de dire de qui : la passion absolue ne peut avoir qu’un seul objet. Mais l’amour empêché est un gouffre mortel et il faut aux  rois  amoureux un courage exemplaire pour affronter un tourment pire que la mort : vivre avec un  amour impossible.

Parfois -dommage- dans leur écoute profonde du texte, les comédiennes ne se font pas tout à fait entendre, même si le spectateur est prêt à tendre l’oreille. Cela n’ôte (presque) rien à la tension et à la pure beauté d’une pièce dont on aura rarement été aussi proche,  Ici sans excès d’interprétation ni surcharge psychologique, juste naissant devant nous.

Christine Friedel

Théâtre Gérard Philipe à Saint-Denis (Seine-Saint-Denis). T. : 01 48 13 70 00.

Du 8 au 14 février, MC2 de Grenoble (Isère); du 20 au 21 février, Théâtre Firmin Gémier/La Piscine, Châtenay-Malabry (Hauts-de-Seine).

 

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