Bérénice de Jean Racine, adaptation et mise en scène d’Isabelle Lafon
Bérénice de Jean Racine, adaptation et mise en scène d’Isabelle Lafon
«Il la renvoya malgré lui, malgré elle». Titus, empereur romain, héritier de la République, ne peut épouser une reine orientale et le tragique est là. Dans sa préface, Racine manifeste un beau contentement de soi pour avoir réussi cet exploit de simplicité. Et Isabelle Lafon le prend au mot et choisit la simplicité qui est aussi sa propre marque de fabrique. Elle parle d’adaptation mais elle a seulement fait quelques coupes et a laissé venir parfois, comme une énigme, la répétition d’un vers ou une question en sous-texte.
Sur le vaste plateau du Théâtre Gérard Philipe, sous les lumières de Jean Bellorini qui «respirent» avec la pièce, une table et des chaises, côté jardin. Quatre actrices et un acteur, et la metteuse en scène attentive et aux interventions sensibles. La compagnie d’Isabelle Lafon : Les Merveilleuses n’exclut pas les garçons . Et elle a confié à un comédien le rôle d’Antiochus, un roi oriental, allié et ami de Titus, amoureux muet de Bérénice depuis cinq ans, inventé par Racine, pour les besoins de sa dramaturgie. Il est l’homme de trop, utilisé par Titus, repoussé par Bérénice : il ne lui reste qu’à faire assaut de nobles sentiments et de désintéressement avec les deux autres «acteurs héroïques».
Les autres rôles sont distribués entre les actrices, y compris ceux des heureux confidents et confidentes épargnés par l’amour. Cela va de soi : il ne s’agit pas ici de personnages mais de la naissance d’un texte poétique et des émotions qu’il porte. La pièce commence: par : «Arrêtons un moment ». Isabelle Lafon justement s’arrête pour écouter cette langue traverser les corps des interprètes qui ne sont pas enfermés dans une lecture. On les sent ouverts, étonnés, vibrants de ce qui se produit en eux. L’émotion les bouscule jusqu’à les propulser en une danse qui parcoure toute la scène. Même et surtout dans la langue de Racine, cette émotion ne peut pas toujours rester contenue.
« Ce n’est point une nécessité qu’il y ait du sang et des morts dans une tragédie : il suffit que l’action en soit grande, que les acteurs en soient héroïques que les passions y soient excitées, et que tout s’y ressente de cette tristesse majestueuse qui fait tout le plaisir de la tragédie. » écrit Racine. Mais on le sait, il n’a rien de doux et Bérénice est une passionnée, une violente : il faut l’entendre à l’acte III, renvoyer sèchement Antiochus, qui a le seul tort de n’être pas aimé, de n’être pas Titus : « Hé ! Quoi, seigneur, vous n’êtes point parti ?» Elle ira jusqu’à la haine envers ce malheureux porteur de mauvaises nouvelles: «Pour jamais à mes yeux, gardez vous de paraître.» Et pourtant elle était faite pour aimer: «J’aimais, Seigneur, j’aimais, je voulais être aimée.» Inutile de dire de qui : la passion absolue ne peut avoir qu’un seul objet. Mais l’amour empêché est un gouffre mortel et il faut aux rois amoureux un courage exemplaire pour affronter un tourment pire que la mort : vivre avec un amour impossible.
Parfois -dommage- dans leur écoute profonde du texte, les comédiennes ne se font pas tout à fait entendre, même si le spectateur est prêt à tendre l’oreille. Cela n’ôte (presque) rien à la tension et à la pure beauté d’une pièce dont on aura rarement été aussi proche, Ici sans excès d’interprétation ni surcharge psychologique, juste naissant devant nous.
Christine Friedel
Théâtre Gérard Philipe à Saint-Denis (Seine-Saint-Denis). T. : 01 48 13 70 00.
Du 8 au 14 février, MC2 de Grenoble (Isère); du 20 au 21 février, Théâtre Firmin Gémier/La Piscine, Châtenay-Malabry (Hauts-de-Seine).