Insoutenables longues étreintes d’Ivan Viripaev, mise en scène Galin Stoev
Insoutenables longues étreintes d’Ivan Viripaev, mise en scène de Galin Stoev
« Le théâtre, dit Ivan Viripaev, m’a sauvé d’une carrière de criminel pour une seule et bonne raison : le banditisme et le théâtre ont deux choses en commun, le romantisme et l’escroquerie ! Deux filles et deux garçons, normaux, sympathiques, la trentaine, voulant vivre à fond dans ces villes qui concentrent toutes les énergies du monde et où convergent les mutants sans attaches, New York et Berlin «la ville qui n’a pas de centre».
Ils s’aiment et font l’amour mais l’un n’aime pas l’autre, ou le contraire. Monica avorte de l’enfant souhaité par Charlie : elle n’est pas prête. Christophe, lui, déchante du rêve américain, incarné par la plus qu’accueillante Amy qui va avaler des somnifères mortels. À Berlin, chacun est à la fois propulsé dans sa quête jusqu’à la mort ou presque, à l’instant même où il se sent enfin vivant.
Abracadabrant et sinistre ? Sûrement pas. Le récit que fait chacun, de sa trajectoire, est simple, enjoué. On y reconnait bien notre monde, une jeunesse pressée, sentimentale, et contradictoire. Mais Ivan Viripaev cherche autre chose, qu’il cherchait déjà avec Les Enivrés (voir Le Théâtre du blog) ou Danse Delhi et Oxygène. Une quête dans l’excès, dans la perte de contrôle : quelque chose de chamanique, l’approche d’une révélation et d’une libération : la vraie vie qui est ailleurs : nous aurions, que nous le voulions ou non, notre double dans le cosmos, dans la grande respiration de l’univers.
Galin Stoev a monté en France la plupart des pièces d’Ivan Viripaev, en complicité avec lui, en particulier pour la traduction de ces Insoutenables longues étreintes. Il sait diriger ces excellents acteurs que sont Pauline Desmet, Sébastien Eveno, Nicolas Gonzales et Marie Kauffmann, avec un humour propre et un sens du juste un peu trop qui soutient l’énergie du spectacle, partagée entre interprètes et public. Ivan Viripaev veut toucher «au ventre» mais Galin Stoev parle aussi à la tête. Avec même ce qui peut tenir de la plaisanterie ou de la magie.
On aurait plutôt envie de parler d’un sens de l’opportunité pour saisir l’occasion et jouer des coïncidences. Galin Stoev, récemment nommé à la direction du Théâtre de la Cité à Toulouse, a demandé à son scénographe Alban Ho Van de travailler sur le cosmos: «Il a découvert, dit le metteur en scène, qu’une partie des navettes spatiales étaient couvertes de plaques faites d’un alliage de métal, créées à Toulouse. Et il a fait ériger un mur lumineux qui se déconstruira au fur et à mesure de la compréhension qu’ont les personnages de ce qui a lieu.» La chute du mur où apparaissent les portraits agrandis des comédiens se passe en silence, lumineuse, suggérant une nouvelle interprétation de la chute du mur entre l’Est et l’Ouest, du côté d’une libération mystique.
Mais le spectacle s’attarde dans les limbes d’une pensée «new age» et cela dilue la force de la pièce. Le récit de chaque personnage est, dit le metteur en scène, «non réaliste, mais descriptif, comme lorsqu’on raconte les scènes d’un film marquant. Le paradoxe réside dans l’alliage des registres littéraires et populaires, du spirituel et du trivial, de l’humour lumineux, pour sonder l’obscurité de l’Histoire ou de l’âme.» On se dit qu’à la fin, même si l’on aborde sur un ailleurs très lointain, cet humour et cette force manquent un peu. Mais il faut voir ce spectacle pour ces raccourcis stupéfiants sur notre vie mondialisée, porté par des acteurs qui donnent à leurs personnages, des figures de conte.
Christine Friedel
Théâtre National de la Colline, 17 rue Malte-Brun Paris( XX ème) jusqu’au 10 février. T. : 01 44 62 52 52.
Du 13 au 16 février, Théâtre de la Place, Liège (Belgique).