Dossier K, d’après Le Procès de Franz Kafka, un spectacle de Pierre-Yves Chapalain, Géraldine Foucault et Laurent Gutmann
Dossier K, d’après Le Procès de Franz Kafka, texte de Pierre-Yves Chapalain, un spectacle de Pierre-Yves Chapalain, Géraldine Foucault et Laurent Gutmann
Ce roman mythique de l’écrivain (1883-1924), est un emblème de la littérature contemporaine ; commencé à l’été 1914, resté inachevé et publié six mois plus tard en 1925 à titre posthume, par son ami Max Brod. «Il fallait qu’on ait calomnié Joseph K. : un matin, sans avoir rien fait de mal, il fut arrêté. » Soit le scandale d’une injustice, un mystère que le récit ne résoudra pas. Innocent, K. a donc été victime d’une erreur judiciaire ou d’une machination. Les premières réactions de K. sûr de son innocence, alternent entre surprise, malaise et indignation, suivies d’angoisses et de découragement. Mais il sera exécuté aussi arbitrairement qu’il a été arrêté. Est-ce la satire d’une justice corrompue ou une réflexion théologique sur la Loi, la faute, le sens de la vie ? Le pouvoir social de mort – cauchemar, fantasme, délire de persécution ? S’impose aussi l’éventualité du rêve avec ses figures du désir et de conquête érotique, via Mademoiselle Bürstner, une figure à la fois attirante et redoutée.
Pierre-Yves Chapalain, s’est inspiré du célèbre Procès, du Journal et de passages du Terrier (1923), un texte inachevé sur les démarches désespérées qu’entreprend un narrateur mi-animal, mi-humain pour se construire une demeure protégée d’ennemis invisibles. Pierre-Yves Chapalain incarne K., un fondé de pouvoir dans une grande banque, disposant d’un secrétaire et de deux téléphones, vêtu d’un costume de bureaucrate mais sans cravate et au col de chemise ouvert. Le personnage livre ses pensées et dialogue avec lui-même, puisque toux ceux qu’il peut interpeller, ne le comprennent pas. Comme ce juge d’instruction en haut dans la salle qui l’accuse d’avoir nui à l’instruction de son dossier, alors que l’intéressé n’a pu s’exprimer. Personne ne semble l’écouter quand il voit que les deux officiers de justice qui l’ont arrêté, seraient plutôt des fonctionnaires douteux. Et l’inspecteur de police qui s’est installé pour l’interroger dans le fauteuil de Mademoiselle Bürstner, ne lui a pas accordé non plus la moindre attention. L’accusé incarne l’impossibilité de se justifier, entre cauchemar et théâtre burlesque.
La scénographie fait penser au souterrain d’un parking avec ses tours intérieures de béton pour escaliers de sortie, aux murs arrondis et lisses où sont ici projetés palimpsestes ou lignes végétales et arborescentes. La tour devient aussi l’intérieur de la geôle de K. auquel son oncle vient rendre visite, informé de son arrestation par sa fille, cousine du prisonnier. Pierre-Chapalain incarne cet oncle étonné avec lunettes, et à la casquette rustique. Le neveu ne répondra pas, n’éclaircira rien, préférant le silence énigmatique. Pourtant, dans sont terrier, K. parle de soulever le couvercle de terre herbeuse…
La création sonore de Géraldine Foucault est précise : les pas sur le sol labyrinthique de l’univers absurde où évolue K. résonnent fort. Et naît alors un sentiment de solitude extrême, nul autre bruit ni personne ne surgissent dans ce silence impressionnant. Et Daniel Dubois (le Juge d’Instruction), resurgit en aumônier des prisons qui raconte à K. une parabole, Devant la Loi : « Devant la porte de la Loi, se tient un gardien. Ce gardien voit arriver un homme de la campagne qui sollicite l’accès à la Loi. Mais le gardien dit qu’il ne peut le laisser entrer maintenant, jusqu’à ce que l’homme soit arrivé au terme de son existence. Le gardien ferme désormais la porte lui était destinée : Dieu reste inaccessible. »
A la fois plein d’une humilité et d’une ténacité redoutable, Pierre-Yves Chapalain, un dossier de feuilles à la main qu’il éparpillera et sur lesquelles il glissera, crée avec talent un personnage en quête de sens existentiel, résistant aux mécanismes du pouvoir et qui explore un système indéchiffrable.
Véronique Hotte
Théâtre de l’Échangeur, 59 avenue du Général de Gaulle, Bagnolet (Seine-Saint-Denis), jusqu’au 2 février. T. : 01 43 62 71 20.