Comme disait mon père et ma mère ne disait rien de Jean Lambert-wild, mise en scène de Michel Bruzat
Comme disait mon père & ma mère ne disait rien de Jean Lambert-wild, mise en scène de Michel Bruzat
Pour Jean-Lambert-wild, directeur du Théâtre de l’Union à Limoges, où le spectacle a été créé l’automne dernier au Théâtre de la Passerelle de Michel Bruzat: «Le théâtre est cette ligne de vie qui nous donne la force de transporter en riant, notre cargaison de misère, de souffrance et de mort et « l’acteur est la mâchoire de notre solitude sans qui rien ne serait possible ».
Ces calentures comme il les nomme, un délire violent qui frappe les marins à la suite d’une insolation (d’où calenture étymologiquement chauffer) n’ont jamais créés en France par un autre que lui. Et c’est sans doute mieux ainsi, dans la mesure où il y a sans doute une part d’autobiographie et il lui aurait fallu user d’une certaine distance: à l’impossible, nul n’est tenu… Comme disait mon père est seulement constitué d’une suite d’aphorismes : autant de sentences et conseils de vie dont certains très philosophiques, et la plupart du temps nimbés d’humour et de poésie. Avec, à chaque fois, en accompagnement, ces seuls et mêmes mots qui reviennent comme un mantra: comme disait mon père… Bref, il y a de l’exorcisme dans l’air. Sur le Temps, la vie, la naissance, la mort, la famille, le travail, l’enfance, le corps… Et qui font aussi penser parfois aux haïkus du Japon, pays cher au cœur de Jean Lambert-wild où il répétait justement un nouveau spectacle en ce soir de première. Sans doute certains aphorismes sont-ils de son père mais pas tous bien entendu, et rappellent ceux d’écrivains de la Grèce antique comme entre autres le célèbre : « Jouissez chaque jour des joies que la vie vous apporte car l’argent ne sert à rien chez les morts » d’Eschyle.
« Généalogie n’est qu’enfantement sanglant.» « Il n’y aucune recours contre la vie » «La folie rampe dans les tuyaux de la raison. «Le progrès d’hier est le pain de demain. Ne sois pas ce que tu sais. » «Le temps salit les murs » « Il y a le temps de l’impatience et l’impatience du temps. » On pense aussi certaines belles phrases de Cioran quand il écrivait : « Si l’on pouvait se voir avec les yeux des autres, on disparaîtrait sur-le-champ. » ou «Désunis, nous courrons à la catastrophe. Unis, nous y parviendrons. » Prononcer vingt-cinq aphorismes par jour et ajouter à chacun d’eux: tout est là, disait Jules Renard. Ce « tout est là » de l’auteur du célèbre Journal est ici remplacé par ce lancinant : Comme disait mon père… Lancinant, voire à la limite du parfois exaspérant, mais d’une réelle efficacité : cela fait partie du jeu.
Nathalie Royer entre en scène calme, déterminée, prend un temps de concentration puis se jette à corps perdu dans ce torrent verbal qui rappelle le célèbre Je me souviens de Georges Pérec par Samy Frey pédalant sur son vélo. Un texte injouable au sens traditionnel sans doute mais tout à fait “dicible” à la seule condition de trouver un acteur ayant envie de s’y colleter et capable de le mémoriser. Il n’y a ici en effet aucune articulation sémantique et on entre aussitôt dans la performance d’acteur, avec un travail sans filet, c’est dire sans oreillette bienveillante, et qui exige une diction des plus impeccables, sinon toute la magie du texte fout le camp. Dans ce véritable exercice de style, Nathalie Royer, brillantissime et à la forte présence, reste très concentrée et lance les phrases-mantras de ce texte avec une grande élégance. Elle s’offre même le luxe de faire deviner la fin de quelques phrases au public. Histoire d’aérer un peu les choses…
Quant Ma mère ne disait rien, une autre calenture sur le silence de la mère de Jean Lambert-wild sûrement mais pas vraiment, ou du moins pas sous cette forme là, elle est ponctuée par une autre phrase-mantra du fils : «Je le savais». Comme une conclusion et une ouverture à la fois. Moins convaincant sans doute que le premier opus, avec des longueurs même s’il est interprété avec la même virulence par Natalie Royer.
Un spectacle, bien dirigé, dur et exigeant mais on oubliera l’espèce de praticable peint en noir et qui encombre cette petite scène- une erreur- qui ne facilite en rien le jeu de l’actrice, ce qui est pourtant le but de toute scénographie. Sinon, pas la moindre concession, pas la moindre virgule musicale sauf à la toute fin un air classique. Il faut donc un minimum d’empathie. Donc à ne pas mettre entre toutes les oreilles mais ce solo de cinquante-cinq minutes fait entendre un texte d’une grande qualité servi par une actrice exceptionnelle qui mériterait bien une récompense aux Molières et/ou du Syndicat de la Critique…
Philippe du Vignal
Jusqu’au 31 janvier. Théâtre des Déchargeurs 3 rue des Déchargeurs, Paris I er. T. : 01 42 36 00 50