Am Königsweg (Sur la voie royale) d’Elfriede Jelinek, mise en scène de Falk Richter
Falk Richter, quarante neuf ans, a créé à partir de 1996, des spectacles en Allemagne mais aussi à Amsterdam, Strasbourg, Bruxelles, Venise, Paris (voir Le Théâtre du Blog). De 1.999 à 2.017, il a été auteur et metteur en scène associé à la Schaubühne de Berlin et est depuis deux ans, artiste associé au Deutsches Schauspielhaus de Hambourg. Falk Richter a été nommé pour ce spectacle par les critiques de la revue Theater Heute, le metteur en scène de l’année, Benny Claessens, l’acteur de l’année, le créateur des costumes Andy Besuch le costumier de l’année, et le texte d’Elfriede Jelinek, la pièce de l’année. « Il n’y a jamais eu, dit-il, autant de distinctions pour un seul spectacle dans l’histoire du théâtre allemand !”
L’écrivaine autrichienne Elfriede Jelinek, prix Nobel de la paix 2.004, a commencé à écrire cette pièce le soir où Donald Trump était élu. Elle y parle du pouvoir politique similaire à toutes les époques et marqué quoiqu’il arrive, par l’autoritarisme, les violences et les discours agressifs. En quelque trois heure trente, sont évoqués ici et entre autres méfaits, ceux de la mondialisation, des trop fameuses «subprimes», ces prêts hypothécaires surtout dans l’immobilier à des acheteurs au pouvoir de remboursement insuffisant. Tant que l’immobilier augmentait, la maison acquise était hypothéquée et en cas de défaillance, la banque remboursait le crédit en vendant la maison. A une condition: que les prix de l’immobilier ne baisseraient pas… Mais le contraire s’est produit et ,il y a déjà onze ans, ce fut un immense désastre boursier aux Etats-Unis puis un peu partout dans le monde. Avec à la clé, la perte pour de nombreux petits propriétaires américains de leur logement, la destruction d’emplois et la délocalisation d’industries nationales, des accords financiers plus que douteux entre représentants de l’oligarchie internationale, et bien entendu, de sérieux dégâts politiques…
Elfriede Gelinek traite aussi des affaires tout aussi douteuses de Donald Trump et de ses liens présumés avec des criminels de haute volée, et de ses fausses déclarations d’impôt. «Être aveugle : très pratique aussi. Renoncez à moi, vous le faites de toute façon, renoncez à moi, car je suis malade et ne comprends rien, je n’y vois rien, si, je vois, non, en fait non, allez les yeux, allez les Bleus ! Moi pauvre aveugle je ne comprends pas ce que j’ai commandé. » (…) « Je ne sais pas ce qui va se passer. » (…) « Si j’ai involontairement une dette envers vous ? (…) Attention, voilà le nouveau roi, mettez vite l’appareil en marche ! (…) Il est là, et moi, je n’ai plus de lumière. Quelle misère. »
Malgré le plaisir d’avoir ce prix, pour Falk Richter: «Demeure pour moi cependant la terreur de voir combien la pièce et la mise en scène collent à l’époque: elles parlent de l’homme blanc, agressif qui revient aujourd’hui sur la scène du monde et, comme récemment à Chemnitz, y déverse sa colère et sa haine, poursuit à travers la ville ceux qui ne sont pas blancs, braille Heil Hitler et rêve d’une révolution nationaliste de droite… et elles parlent de la gauche pétrifiée, choquée, qui sent qu’elle ne domine plus le débat et ne sait pas comment se défendre contre cette fascisation croissante de la politique, ni comment arrêter ce tremblement de terre. Les temps deviennent difficiles, nous devons être solidaires, nous défendre haut et fort, nous soutenir mutuellement et nous battre ensemble contre ce nouveau fascisme ! »
Sur scène, un remarquable décor d’inspiration surréaliste et qui se revendique comme tel, avec de fausses loges de théâtre, un grand cheval doré, quelques fauteuils rouges style Louis XV, de gros coussins, et dans le mur de fond, une fenêtre où une grenouille verte jouée par un acteur va fasciner le public. Il y a une prophétesse aveugle, saignant de la bouche et des yeux, et un roi fou et délirant (Benny Claessens), coiffé d’une couronne en carton. Le spectacle participe d’un jeu de massacre mais on a quelque mal à s’y repérer (les écrans de sur-titrage sont petits et posés sur la scène côté cour et jardin ou au dessus de la scène, donc difficiles à lire). Mais aussi d’une sorte de revue de music-hall et spectacle de marionnettes avec projection d’images d’actualités (guerres, incendies, inondations meurtrières, etc. passées en boucle et à grande vitesse. Les acteurs sont tous d’une qualité exceptionnelle, en particulier Benny Claessens en roi-père Ubu délirant et Falk Richter sait créer comme personne, un univers aussi poétique et burlesque que terrifiant.
Mise en scène et direction d’acteurs impeccables, comme les décors de Katrin Hoffman et les costumes d’Andy Besuch. Mais bon, quand on n’est pas germanophone et qu’il faut se référer au texte français affiché en surtitrage qui semble intégral, il est difficile de suivre la prose poétique exceptionnelle d’Elfriede Jelinek. Et, comme on a envie de voir jouer les acteurs allemands mais aussi la remarquable vidéo de Michel Auder et Meika Dresenkamp projetée directement sur le décor, cela fait beaucoup d’informations à absorber pendant quelque trois heures, même avec entracte… Surtout quand il y a aussi des parties improvisées bien entendu sans titrage. Mais cela dit, c’est toujours un grand plaisir de voir d’aussi bons acteurs allemands, ici très bien dirigés par Falk Richter. Stéphane Braunschweig a eu raison d’inviter ce très beau spectacle, même s’il n’a été joué que quelques jours…
Philippe du Vignal
Spectacle présenté à l’Odéon-Théâtre de l’Europe, place de l’Odéon, Paris VI ème, du 20 au 24 février.
La pièce est publiée dans la traduction de Mathilde Sobottke et Magali Jourdan, est parue aux éditions de l’Arche.