Braise et cendres, textes de Blaise Cendrars, adaptation et mise en scène de Jacques Nichet
Braise et cendres, textes de Blaise Cendrars, adaptation et mise en scène de Jacques Nichet
Le poète, grand reporter et romancier suisse a d’abord porté le nom de Louis Sauser mais peu importe. Il s’est fait un nom de braise et de cendres et a écrit une œuvre qui n’a cessé de brûler. Ce qu’a cherché Jacques Nichet, dans sa relecture de Blaise Cendrars et la première image qu’il a choisie, est justement de cendres et de boue. Après la seconde guerre mondiale, le poète a retrouvé sa petite maison de campagne pillée et saccagée, sa bibliothèque détruite, ses textes et documents transformés en une sorte de fumier et la dernière photo de sa mère enfouie dans la boue. Et, dans cet enfouissement, il va trouver une renaissance et même se souvenir de sa vie intra-utérine, déjà mouvementée, déjà violente et impatiente. «Si j’avais pu ouvrir la bouche Je t’aurais mordu J’aurais dit : Merde, je ne veux pas vivre ! » Son enfance ? «J’avais à peine seize ans et je ne me souvenais déjà plus de mon enfance» (Prose du Transsibérien). Très tôt pour lui, c’est la fugue, la fuite en avant et la passion de bourlinguer : le titre de son troisième roman (1948), de source autobiographique.
Jacques Nichet s’est plongé dans ces textes toujours en mouvement et dans cette magnifique langue de marins et d’aventuriers, avec la caution de Claude Leroy, l’éditeur de Blaise Cendrars. Il a en a gardé les passages les plus vifs à ses yeux, ceux qui l’ont touché le plus et en suivant une heure quinze, le fil de cette vie de poésie et d’aventures. Elle passe par Moscou : «la ville des mille et trois clochers et des sept gares» et par New York, «sale pays»: «Une Suisse encore plus inhumaine, plus mercantile, plus mécanique, sans bonhomie, rigide, protestante, anglicane, puritaine, poussée à la hauteur d’une hérésie!» où il harangue ce Dieu qui oublie les pauvres. Et il passe aussi par les îles réelles et rêvées, par la guerre où une Main coupée (1946) tombe du ciel, prophétie de l’amputation d’un bras en 1915, après s’être engagé au service de la France.
Dans Du monde entier, la poésie de Cendrars voyage, chemine, chevauche et Braise et Cendres est un théâtre de la parole et de l’aventure dans les mots. Que porte Charlie Nelson, et pas seulement «sur ses épaules», comme on dit, mais dans tout son corps, dans sa puissance singulière sans jamais les délivrer complètement, ce qui garde au récit une réserve de force et lui donne un élan particulier. Il peut être grave, drôle, comme dans le dialogue avec le père, par exemple, et il y a dans son jeu une sorte d’inquiétude où il entraîne le spectateur. Le metteur en scène ne s’interdit pas pour autant de jouer -non sans une certaine malice où on reconnaît la patte de Jacques Nichet- sur les rencontres entre les très rares objets : une chaise, une bougie, des allumettes et un manteau aux multiples plis et ressources. Le récit prend alors une dimension épique, comme au grand théâtre d’Albi devant l’immense peinture de Jean-Paul Dewynter, ou se replier en une sorte de tête-à-tête dans cette petite salle du Paradis.
Voilà: chacun peut découvrir son Cendrars en le lisant mais on peut aussi se faire un peu bousculer et aller l’écouter par la voix d’un comédien sur une scène, pour n’avoir plus qu’une envie, au sortir du théâtre: l’écouter encore et encore. Il nous dira avec emportement dans Iles, comment l’amour le jette sur les routes maritimes. «Quand tu aimes il faut partir Ne larmoie pas en souriant Ne te niche pas entre deux seins Respire, marche, pars, va-t’en Iles où l’on ne prendra jamais terre Iles où l’on ne descendra jamais Iles couvertes de végétation Iles tapies comme des jaguars Iles muettes Iles inoubliables et sans nom Je lance mes chaussures par-dessus bord car je voudrais bien aller jusqu’à vous. »
Christine Friedel
Théâtre du Lucernaire, 53 rue Notre-Dame-des-Champs, Paris VI ème, jusqu’au 9 mars. T. : 01 45 44 57 34.