Frontière Nord de Suzanne Lebeau, mise en scène de Cécile Atlan
Frontière Nord de Suzanne Lebeau, mise en scène de Cécile Atlan
L’auteure, comme on l’écrit depuis vingt-cinq ans au Québec, l’autrice comme on se plaît à le dire en France désormais, est Suzanne Lebeau. Personnalité d’une exigence rare quant à ce qui peut et doit se dire à l’enfance, elle a réussi à aborder les thèmes les plus durs, en trouvant les formes les plus appropriées pour un public qu’elle sait exigeant. Comme l’abandon, la pauvreté, les violences familiales l’apanage de toutes les sociétés envers les plus petits mais aussi plus récemment dans une famille aimante, la mort d’un enfant … Elle les aborde avec précision, distance, affection et ne passe rien au réel, mais fait en sorte de nommer les choses, aussi dures soient-elles, car elle sait que les mots sont les alliés des enfants.
Frontière Nord fait partie des textes issus de l’expérience mexicaine de Suzanne Lebeau. Depuis presque vingt ans, la compagnie qu’elle anime avec Gervais Gaudrault, a présenté L’Ogrelet, Une Lune entre deux maisons, etc. et l’autrice a vu plusieurs de ses textes créés par des compagnies locales. Au Mexique, Suzanne Lebeau a connu l’exploitation sauvage de femmes dont beaucoup disparaissent et a fait l’expérience de ce qui se passe à la frontière avec les Etats-Unis. Cette pièce est donc marquée par ce pays et tout particulièrement par le sort des classes les plus pauvres dont les hommes sont partis au Nord pour travailler, envoyer de l’argent mais qui, la plupart du temps, n’en reviennent pas. Ou alors brisés.
La pièce -peut-être prémonitoire? – commence avec la construction d’un mur. Les enfants croient qu’il s’agit d’un stade de football qu’on leur offre enfin. Les mères, elles, savent de quoi il retourne : les hommes ne pourront alors plus jamais revenir ! Cécile Atlan a choisi de monter ce texte, écrit comme un oratorio dont les voix devraient fuser vers nous en un chœur collectif et en a fait une tragi-comédie portée par un groupe de jeunes acteurs qu’elle fait s’agiter en tous sens, crier, pleurer, cavaler, sans doute pour figurer des adolescents… Mais doit-elle le signifier de cette manière? Pour établir une sorte d’universalisme mou, elle les attifés de costumes évoquant à la fois tous les pays et toutes les époques. Et le groupe des mères sommées d’évoquer l’éternelle maternité, portent, robe longue, dentelles et fichu sur la tête…
Quant à la musique du trio à cordes Zéphyr qu’on écoute avec plaisir, elle n’assume aucun rôle: totalement occidentale, elle contribue à noyer un peu plus le poisson. Où sommes-nous ? De quoi parle-t-on ? Pourquoi cette agitation habillée en chorégraphie hasardeuse ? Cécile Atlan, en fait, n’a pas de point de vue, et n’a même pas déplacé la pièce dans son propre univers. Elle a pris soin d’éviter toute forme de radicalité, pourtant empreinte à chaque ligne du texte, pour faire un travail à visée compassionnelle, à l’opposé du projet artistique et politique de l’autrice.
Nous assistons donc médusés, à une série de tableaux agités dans un espace scénique sans poésie aucune, la metteuse en scène s’étant fait vaguement chorégraphe. Il est assez rare qu’un spectacle passe autant à côté de son sujet, au point d’en dénaturer le style et le propos, et même d’une certaine façon, la morale. Il n’y aura pas lieu de s’étendre et un critique peut s’abstenir d’enfoncer une réalisation médiocre mais il ne peut se taire face à la trahison pure et simple d’une autrice. On peut aussi éprouver aussi une certaine incompréhension devant cette réalisation programmée par le Théâtre du Soleil. Suffit-il qu’un groupe d’acteurs se présente comme une «troupe», appellation si chère à Ariane Mnouchkine, pour se voir accueillir dans ce lieu si amical et si recherché ?
Marie-Agnès Sevestre
Théâtre du Soleil, Cartoucherie de Vincennes, route du Champ de manœuvre, Vincennes (Val-de-Marne) jusqu’au 24 février.
Le texte de la pièce est publié aux Éditions Théâtrales Jeunesse