Orphée de Jean Cocteau, mise en scène de César Duminil

©James Alexander Coote

©James Alexander Coote

 Orphée de Jean Cocteau, mise en scène de César Duminil

On connaît l’histoire: Eurydice ne reviendra des Enfers que, si Orphée venu la délivrer, ne la regarde pas… Et son dénouement tragique. Jean Cocteau (1923-1966) s’en empare avec bonheur et ne cessera de la décliner, jusque sur le pommeau de son épée d’académicien. : «J’ai  écrit Orphée pour amuser les frères Berthier. » (…) « Je leur lisais le soir et je me rendais pas du tout compte que la pièce était la première dite “d’avant-garde“ qui allait ouvrir la porte aux « fantômes ». » Créée au Théâtre des Arts maintenant Théâtre Hébertot, en juin 1926, avec la volonté de «recoudre la vieille peau de la tragédie grecque pour la mettre au rythme de notre époque», la pièce préfigurait le surréalisme: «J’ai suivi la légende pas à pas et j’y ai ajouté quelques personnages: l’ange Heurtebise et la mort traitée dans le style des mystères du Moyen-Âge, un commissaire et un cheval blanc. »

Cette désinvolture affichée du “prince frivole“, la mise en scène la transmet avec légèreté et respecte l’esprit de l’écriture comme l’univers de la pièce. Car ce n’est pas l’histoire d’amour qui intéresse  le poète -ici les amants ne font pas très bon ménage- mais le voyage d’Orphée (son alter ego ?) aux Enfers, en forme de rêveries hallucinées. Comme ensuite dans ses films (Orphée 1950, Le Testament d’Orphée, 1959), le poète tutoie la mort et tourne cette tragédie en dérision. L’auteur se remet à peine de la disparition brutale de son jeune ami Raymond Radiguet emporté en 1923 par la typhoïde et trouve une consolation dans l’opium.

 L’ange gardien Heurtebise (évocation de Raymond Radiguet), déguisé en vitrier, lui donne les clefs de ce royaume : «  Je vous livre le secret des secrets. Les miroirs sont les portes par lesquelles la mort vient et va. Du reste, regardez-vous toute votre vie dans un miroir, et vous verrez la mort travailler, comme des abeilles dans une ruche de verre. »  Ainsi, passant et repassant à travers le miroir Orphée et Eurydice naviguent entre vie et mort, veille et sommeil…

 Un décor blanc, conçu par César Duminil, habille la petite scène : sur les parois, des dessins en trompe-l’œil stylisés à gros traits noirs figurent portes, fenêtres, bibliothèque. Les costumes,  un rien sophistiqués, se déclinent aussi dans les blancs. La mort ,princesse élégante aux  gants de caoutchouc magiques,  est suivie par deux anges habillés en infirmiers. Le spectacle prend en compte les effets spéciaux prévus par Jean Cocteau. Le cheval intervient ici derrière un écran et délivre un message codé à coups de sabot : M.E.R.D.E. :  traduction « Madame Eurydice Reviendra Des Enfers ».  L’ange reste suspendu dans les airs et la tête coupée d’Orphée, déchiqueté par les Bacchantes vengeresses, se met à parler…

Pour sa première mise en scène, César Duminil a rassemblé autour de lui de jeunes comédiens issus comme lui de l’école Raymond Acquaviva et nous entraîne en toute simplicité dans l’univers onirique du poète.

 Mireille Davidovici

 Jusqu’au 24 mars, Théâtre du Lucernaire, 53 rue Notre-Dame des Champs, Paris VI ème T. 01 45 44 52 34.


Archive pour 15 février, 2019

L’art du théâtre et De mes propres mains, textes et mise en scène de Pascal Rambert

©Giovanni Cittadini Cesi

©Giovanni Cittadini Cesi

L’art du théâtre et De mes propres mains, textes et mise en scène de Pascal Rambert

 De l’art du théâtre, on peut parler beaucoup sans toucher jamais au cœur de l’affaire, ou plutôt sans l’élucider. Il y a là un mystère que certains appellent foi, saut dans le vide, et d’autres : instinct. Oui, avec un partenaire, il faut se laisser faire sans rien lâcher pourtant de sa propre persévérance. C’est compliqué, mais il faut y aller. Au risque d’hésiter et d’avoir à recommencer… Pour en parler, Pascal Rambert a inventé un texte qui n’est pas un monologue; ici l’acteur (Arthur Nauzyciel) dialogue avec un chien: Elboy, un puissant saint-bernard noir, sorte d’ours très lourd et très doux -et aussi très odorant- mais qui n’a rien de cabot. Attentif à la parole de l’acteur à ses injonctions, quoiqu’il mette parfois un peu de mauvaise volonté quand il lui dit: «assis». Acteur sobre par excellence, le chien fait don de sa seule présence et contraint son partenaire à une égale simplicité. On assiste ainsi à l’expérience avec intérêt et empathie car sa présence rend l’homme à sa fragilité.

On apprend aussi qu’il n’y a rien à apprendre de l’Art du Théâtre, sinon qu’on ne sait pas pourquoi ni comment ça marche, instinct mis à part. Et que le monde est plein de jeunes filles désirant monter sur scène. L’auteur proclame en retour son appétence exclusive pour celles-ci (à l’exception de quelques garçons, jeunes aussi), avec les mêmes yeux qu’au temps, plus si proche, où il s’est lancé dans le théâtre, précisément pour rencontrer des filles. Secret de jouvence dont certains hommes ne peuvent se passer : on a déjà entendu ça du côté d’un certain Y.M…, écrivain mondain dont l’addiction a fait le tour des réseaux sociaux. Bon, mais ici rien de grave : Pascal Rambert qualifie ce texte de bouffon.

De mes propres mains, un monologue plus ancien et incontestablement noir, est un brillant exercice sur la folie, et sur le destin d’une arme à feu qui doit être déposée ou non chez la crémière pour qu’un cousin vienne la prendre: une sombre affaire entremêlée de terribles fantasmes de guerres et génocides. Arthur Nauzyciel  le dit avec une concentration et une précision parfaites, mettant en pratique les propos du premier texte pour n’être pas un acteur ordinaire. On ne perd pas un mot, pas un souffle de cette voix. Pascal Rambert a eu la bonne idée de faire traverser le plateau par un homme de ménage qui efface, d’un geste régulier et absent, des traces que nous ne voyons pas. C’est dire la solitude de chacun, de celui qui parle et son enfermement dans une folie envahissante. De fait, l’acteur ne s’adresse pas à nous mais il travaille sous nos yeux le rythme et la clarté de ce sombre texte. Il ne s’agit ni des tréfonds humains ni de psychologie mais de la sauvagerie et de la logique des mots. Mais au bout d’un certain temps, on se dit que, décidément, cela ne nous regarde pas…

Christine Friedel

Théâtre du Rond-Point 2 bis avenue Franklin-Roosevelt, Paris VIII èùme jusqu’au 3 mars. T. : 01 44 95 98 21

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