Orphée de Jean Cocteau, mise en scène de César Duminil
Orphée de Jean Cocteau, mise en scène de César Duminil
On connaît l’histoire: Eurydice ne reviendra des Enfers que, si Orphée venu la délivrer, ne la regarde pas… Et son dénouement tragique. Jean Cocteau (1923-1966) s’en empare avec bonheur et ne cessera de la décliner, jusque sur le pommeau de son épée d’académicien. : «J’ai écrit Orphée pour amuser les frères Berthier. » (…) « Je leur lisais le soir et je me rendais pas du tout compte que la pièce était la première dite “d’avant-garde“ qui allait ouvrir la porte aux « fantômes ». » Créée au Théâtre des Arts maintenant Théâtre Hébertot, en juin 1926, avec la volonté de «recoudre la vieille peau de la tragédie grecque pour la mettre au rythme de notre époque», la pièce préfigurait le surréalisme: «J’ai suivi la légende pas à pas et j’y ai ajouté quelques personnages: l’ange Heurtebise et la mort traitée dans le style des mystères du Moyen-Âge, un commissaire et un cheval blanc. »
Cette désinvolture affichée du “prince frivole“, la mise en scène la transmet avec légèreté et respecte l’esprit de l’écriture comme l’univers de la pièce. Car ce n’est pas l’histoire d’amour qui intéresse le poète -ici les amants ne font pas très bon ménage- mais le voyage d’Orphée (son alter ego ?) aux Enfers, en forme de rêveries hallucinées. Comme ensuite dans ses films (Orphée 1950, Le Testament d’Orphée, 1959), le poète tutoie la mort et tourne cette tragédie en dérision. L’auteur se remet à peine de la disparition brutale de son jeune ami Raymond Radiguet emporté en 1923 par la typhoïde et trouve une consolation dans l’opium.
L’ange gardien Heurtebise (évocation de Raymond Radiguet), déguisé en vitrier, lui donne les clefs de ce royaume : « Je vous livre le secret des secrets. Les miroirs sont les portes par lesquelles la mort vient et va. Du reste, regardez-vous toute votre vie dans un miroir, et vous verrez la mort travailler, comme des abeilles dans une ruche de verre. » Ainsi, passant et repassant à travers le miroir Orphée et Eurydice naviguent entre vie et mort, veille et sommeil…
Un décor blanc, conçu par César Duminil, habille la petite scène : sur les parois, des dessins en trompe-l’œil stylisés à gros traits noirs figurent portes, fenêtres, bibliothèque. Les costumes, un rien sophistiqués, se déclinent aussi dans les blancs. La mort ,princesse élégante aux gants de caoutchouc magiques, est suivie par deux anges habillés en infirmiers. Le spectacle prend en compte les effets spéciaux prévus par Jean Cocteau. Le cheval intervient ici derrière un écran et délivre un message codé à coups de sabot : M.E.R.D.E. : traduction « Madame Eurydice Reviendra Des Enfers ». L’ange reste suspendu dans les airs et la tête coupée d’Orphée, déchiqueté par les Bacchantes vengeresses, se met à parler…
Pour sa première mise en scène, César Duminil a rassemblé autour de lui de jeunes comédiens issus comme lui de l’école Raymond Acquaviva et nous entraîne en toute simplicité dans l’univers onirique du poète.
Mireille Davidovici
Jusqu’au 24 mars, Théâtre du Lucernaire, 53 rue Notre-Dame des Champs, Paris VI ème T. 01 45 44 52 34.