L’art du théâtre et De mes propres mains, textes et mise en scène de Pascal Rambert
L’art du théâtre et De mes propres mains, textes et mise en scène de Pascal Rambert
De l’art du théâtre, on peut parler beaucoup sans toucher jamais au cœur de l’affaire, ou plutôt sans l’élucider. Il y a là un mystère que certains appellent foi, saut dans le vide, et d’autres : instinct. Oui, avec un partenaire, il faut se laisser faire sans rien lâcher pourtant de sa propre persévérance. C’est compliqué, mais il faut y aller. Au risque d’hésiter et d’avoir à recommencer… Pour en parler, Pascal Rambert a inventé un texte qui n’est pas un monologue; ici l’acteur (Arthur Nauzyciel) dialogue avec un chien: Elboy, un puissant saint-bernard noir, sorte d’ours très lourd et très doux -et aussi très odorant- mais qui n’a rien de cabot. Attentif à la parole de l’acteur à ses injonctions, quoiqu’il mette parfois un peu de mauvaise volonté quand il lui dit: «assis». Acteur sobre par excellence, le chien fait don de sa seule présence et contraint son partenaire à une égale simplicité. On assiste ainsi à l’expérience avec intérêt et empathie car sa présence rend l’homme à sa fragilité.
On apprend aussi qu’il n’y a rien à apprendre de l’Art du Théâtre, sinon qu’on ne sait pas pourquoi ni comment ça marche, instinct mis à part. Et que le monde est plein de jeunes filles désirant monter sur scène. L’auteur proclame en retour son appétence exclusive pour celles-ci (à l’exception de quelques garçons, jeunes aussi), avec les mêmes yeux qu’au temps, plus si proche, où il s’est lancé dans le théâtre, précisément pour rencontrer des filles. Secret de jouvence dont certains hommes ne peuvent se passer : on a déjà entendu ça du côté d’un certain Y.M…, écrivain mondain dont l’addiction a fait le tour des réseaux sociaux. Bon, mais ici rien de grave : Pascal Rambert qualifie ce texte de bouffon.
De mes propres mains, un monologue plus ancien et incontestablement noir, est un brillant exercice sur la folie, et sur le destin d’une arme à feu qui doit être déposée ou non chez la crémière pour qu’un cousin vienne la prendre: une sombre affaire entremêlée de terribles fantasmes de guerres et génocides. Arthur Nauzyciel le dit avec une concentration et une précision parfaites, mettant en pratique les propos du premier texte pour n’être pas un acteur ordinaire. On ne perd pas un mot, pas un souffle de cette voix. Pascal Rambert a eu la bonne idée de faire traverser le plateau par un homme de ménage qui efface, d’un geste régulier et absent, des traces que nous ne voyons pas. C’est dire la solitude de chacun, de celui qui parle et son enfermement dans une folie envahissante. De fait, l’acteur ne s’adresse pas à nous mais il travaille sous nos yeux le rythme et la clarté de ce sombre texte. Il ne s’agit ni des tréfonds humains ni de psychologie mais de la sauvagerie et de la logique des mots. Mais au bout d’un certain temps, on se dit que, décidément, cela ne nous regarde pas…
Christine Friedel
Théâtre du Rond-Point 2 bis avenue Franklin-Roosevelt, Paris VIII èùme jusqu’au 3 mars. T. : 01 44 95 98 21