Je pars deux fois de Nicolas Doutey, mise en scène de Sébastien Derrey
Je pars deux fois de Nicolas Doutey, mise en scène de Sébastien Derrey
À première vue, il suffit de dire son nom pour que la personne existe : Paul, Pauline. Mais cette existence ou plutôt cette présence, est aussitôt mise en doute: Pauline? Simultanément, un adverbe que Paul emploie volontiers au début de la pièce dont les protagonistes sont assurés de leur présence mutuelle mais ébranlés par le doute. Voilà donc un couple qui se retrouve et se perd dans un labyrinthe de projets comme aller chercher à la gare un Ami européen, s’occuper du Chien, acheter un billet pour prendre le bateau. Et si ça se trouve, comme on dit, ces projets sont du passé.
Nicolas Doutey, le bien nommé, jongle simultanément avec la présence réelle des acteurs, leurs interactions, leur dialogue, bien réels, et une fiction vacillante, avec des incidents de récits qui viennent parfois percer la brume ou qui s’y abîment. La mise en scène de Sébastien Derrey est d’une loyauté et d’une délicatesse parfaites envers le texte : «C’est, dit-il, comme si l’indécision et l’égarement des personnages avaient contaminé la dramaturgie de l’auteur. La sensation vive du présent l’emporte sur la logique de la chronologie et de l’espace».
L’effet produit sur le spectateur est celui d’une comédie philosophique à l’humour métaphysique. À l’interrogation de Paul (Paul étant pris comme Pierre,Paul, Jacques, autrement dit n’importe qui) et il faut bien deux Pauline(s) pour l’assurer de sa réalité multiple. Rodolphe Congé, est le complice et partenaire de Nicolas Doutey dans les spectacles qu’ils ont réalisés ensemble à Théâtre Ouvert : L’Incroyable matin et Jour, Faust. Avec Catherine Jabot et Nathalie Pivain, présentes dans presque toutes les mises en scène de Sébastien Derrey, ils se comprennent et travaillent tranquillement au présent, attentifs au moment qui fait émerger ou non, une fiction, une histoire. Comme si la pièce était, dit le metteur en scène, «un documentaire sur un spectacle en train de se faire». Le public et les acteurs dans un dispositif quadri-frontal, partagent le même espace sous la belle lumière de Rémi Godfroy et le même “suspense“. Incertitude bienveillante: Je pars deux fois emmène le spectateur en zone peu connue, en terrain instable et pour un plaisir inédit. Nous aurions bien aimé trouver elle-même cette formulation mais comment mieux dire que le metteur en scène lui-même: « C’est une marche de la pensée, chaotique et comique qui avance dans un décalage burlesque permanent, avec ses précipitations et ses suspens. Et en même temps, il y a une délicatesse qui fait que tout est léger, que tout reste à la surface.»
Être ou ne pas être, est-ce la bonne question ? Exister, c’est sans doute appeler quelqu’un, si l’on n’ose pas employer un mot trop lourd: aimer. On ne saura jamais si le dernier «Pauline» prononcé par Paul dans le silence du noir qui se fait, est le salut d’un retour ou un adieu. Et c’est très bien comme ça.
Christine Friedel
Théâtre de l’Échangeur, 59 avenue du Général de Gaulle, Bagnolet (Seine-Saint-Denis), jusqu’au 20 février. T. : 01 43 62 71 20.