Le Quatrième Mur d’après le roman de Sorj Chalandon, mise en scène de Julien Bleitrach et Cyril Manetta

Le Quatrième Mur, d’après le roman de Sorj Chalandon, adaptation de Marc Beaudin et Julien Bleitrach, mise en scène de Julien Bleitrach et Cyril Manetta

353_4eme_murLe roman paru il y a cinq ans est celui d’un correspondant de guerre pendant quarante ans, notamment avec des reportages en Irlande du Nord. Il avait aussi rendu compte du procès de Klaus Barbie, ce qui lui a valu le fameux prix Albert-Londres en 88. Il a couvert la guerre du Liban de 81 à 87 et avait pu voir les camps de Sabra et Chatila, après les massacres de 1982. Puis il a écrit cette fiction qui a déjà fait l’objet de plusieurs adaptations théâtrales où Georges devient lui-même le héros d’une tragédie. Entre autres, en 2017 dans une mise en scène de Julien Bouffier et avec Antigone 82 de Jean-Paul Wenzel. La même année, Julien Bleitrach crée aussi cette adaptation mais avec le seul récit de Georges.

Il revoie son grand ami metteur en scène Samuel Akounis, un Juif grec de Salonique dont la famille a été exterminée à Birkenau. Sam s’est exilé à Paris quand les colonels ont pris le pouvoir mais atteint d’un cancer en phase terminale, il a demandé à Georges de réaliser à sa place son dernier projet, absolument insensé : monter Antigone de Jean Anouilh à Beyrouth en guerre. Ce qu’il fera avec des acteurs de populations ennemies impliquées dans cette guerre civile. A son retour du Liban, Georges voit Sam et rejoue les scènes qu’il y a vécues et interprète les différents protagonistes d’Antigone. Le public est Sam. Il arrive avec son sac à dos et un magnétophone portatif où il a enregistré les enregistrements des répétitions d’Antigone dont il nous fait écouter des extraits. Une belle idée de mise en scène.

C’est à Sam que Georges parle mais aussi à lui-même, comme dans une sorte d’exorcisme où il évoque la guerre mais aussi les situations auxquelles il a été confronté. Soit l’aventure de Georges, une sorte de double de l’auteur-metteur en scène, étudiant en Sorbonne, militant d’extrême gauche et défenseur de la cause palestinienne. La pièce sera jouée une seule fois sur une petite scène vite installée dans cette ville en guerre… Antigone est une Palestinienne de confession sunnite comme son fiancé Hémon dont le père Créon, roi de Thèbes, est joué par un Maronite. Il y a aussi dans la distribution des Chiites, une Chaldéenne et une catholique arménienne. Et Georges, coiffé d’une kippa, figurera le Chœur. Tous ennemis mais d’accord pour travailler malgré tout quelques heures ensemble.

Le titre de la pièce fait référence au mur invisible mais protecteur qui, entre scène et public, est construit inconsciemment par l’acteur qui le détruit, en même temps qu une possible illusion quand il s’adresse au public. Seule possibilité ici pour échapper aux horreurs de la guerre et s’exprimer en tant qu’homme libre. Face à la mort au Liban, face aussi à la mort imminente de son ami hospitalisé dans une chambre blanche. Julien Bleitrach s’impose vite et, comme il a une excellente diction et une belle présence, on l’écoute attentivement. Seul bémol, la scénographie: une petite pièce blanche réduit encore l’espace déjà limité de cette toute petite scène et cela gêne la gestualité de l’acteur qui aurait aussi intérêt à parler moins fort. Mais cette heure quinze passe très vite et le spectacle a les mêmes qualités exemplaires que Clouée au sol, une autre histoire de guerre dronesque,  jouée aussi en solo par Pauline Bayle, l’an passé sur ce même plateau. Ces deux anciens élèves de l’Ecole du Théâtre National de Chaillot n’auront pas démérité…

Philippe du Vignal

Théâtre des Déchargeurs, 3 rue des Déchargeurs, Paris I er. T. : 01 42 36 00 50.

 

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