Kyoto Forever 2, texte et mise en scène de Frédéric Ferrer

Kyoto Forever 2 , texte et mise en scène de Frédéric Ferrer

 avant-la-cop21-kyoto-forever-2-rechauffe-le-coeur,M277602La compagnie Vertical Détour a eu l’excellente idée de reprendre ce spectacle qui reste d’une actualité brûlante: la température de notre planète croît encore et toujours, depuis le Sommet de Kyoto -le premier du genre- sur le climat. Frédéric Ferrer nous convoque à une réunion dans trois ans  pour préparer la COP 28 à Shanghaï  (en anglais: Conference Of Parties). Cette réunion a lieu sur l’île Maurice qui sera bientôt submergée par la mer, si rien n’est fait ! 

 Les délégués des pays représentés (Chine, Union Européenne, Congo, Brésil, Etats-Unis, Russie, Iran) ont cinq jours, sous la houlette d’un sympathique président de séance, pour trouver un accord et sauver le monde. Malgré la cacophonie des langues et les dysfonctionnements de la traduction simultanée, ils ont au moins  décidé de s’exprimer dans une langue commune : le français. Mais cela suffira-t-il ?

 Bien entendu, les points de vue divergent. L’Iran, représentant l’O.P.E.P.  (Organisation des pays exportateurs de pétrole) veut continuer à puiser et à vendre son or noir. Le Congo réclame, lui, son droit à la croissance énergétique, l’Afrique n’étant pas responsable du réchauffement climatique entamé par l’Occident à l’orée du XX ème siècle. Le Brésil préservera ses forêts d’Amazonie, poumons de la planète, à condition qu’on le paye en contrepartie. Les représentantes de la Chine et des Etats-Unis s’engueulent.  Et celle de l’Union Européenne refuse tout compromis…

On perd beaucoup de temps en compliments et remerciements, et encore plus à éplucher les 148 pages du texte. On pinaille sur des virgules et des adverbes, et, plus grave, sur les pourcentages d’émission de C02. Plus on s’agite moins, on arrive à un accord… Heureusement, il y a des suspensions de séance : des petites récréations, ce qui n’empêche pas ce petit monde de se chamailler à propos de l’extinction du dodo,  un petit oiseau de l’île Maurice. Frédéric Ferrer, tel un monsieur Loyal, en profite pour mettre son grain de sel.

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 Comme pour ses autres spectacles, l’auteur-metteur en scène s’est beaucoup documenté. Il s’est inspiré des conférences tenues après l’échec retentissant de celle de Copenhague en 2009.  Kyoto Forever 2 date de 2015 : à l’époque, la COP 21 venait de se tenir à Paris et les résultats s’avéraient décevants. En effet, malgré le grand nombre de pays signataires, ces accords n’étaient pas contraignants. Depuis, Frédéric Ferrer a du mettre le spectacle à jour.. car les Etats-Unis de Donald Trump se sont retirés et le Brésil s’apprête à les suivre…

Pour autant, cette conférence, malgré les atermoiements et querelles enfantines, n’a rien d’ennuyeux : on assiste ici à une vraie comédie. Fréderic Ferrer joue sur les personnalités et les accents des huit comédiens venus de plusieurs continents et orchestre un ballet incessant et tendu où il se moque de la langue de bois et des postures politiques. L’humour : un outil  avec lequel on peut, sans donner de leçons, lancer l’alarme… La situation est grave et le théâtre, à défaut de changer les choses, peut toujours alerter le monde. Et quel plaisir de partager cette heure quarante d’intelligence pétillante ! Si d’autres pièces de la compagnie Vertical Détour passent près de chez vous, faites le détour. 

Mireille Davidovici

Jusqu’au 23 février, Le Monfort-Théâtre, Parc Georges Brassens, 106 rue Brancion, Paris XV ème. T. : 01 56 08 33 88.

Le 26 avril,  Le Manège, Maubeuge (Nord).


Archive pour 20 février, 2019

Les Analphabètes,d’après d’Ingmar Bergman, mise en scène de Gina Calinoiu et Lionel Gonzàlez

Les Analphabètes, librement inspiré de Scènes de la vie conjugale d’Ingmar Bergman , mise en scène de Gina Calinoiu et Lionel González

© Charlotte Corman

© Charlotte Corman

Dans cette création de la compagnie du Balagan’ retrouvé, Marianne et Johan forment un couple modèle, de ceux qu’on invite volontiers à dîner : avec eux, aucun risque de scène de ménage ou de scandale, et on reste donc en bonne compagnie. Seulement voilà, un jour Johan vient annoncer à Marianne qu’il a rencontré quelqu’un: Paula. « Elle est, dit-il, complètement folle mais je ne peux vivre sans elle et je pars demain. » Le ciel tombe sur la tête de l’épouse et mère de leurs deux filles. S’enclenche alors le processus classique vers le divorce, un parcours cahotant qui passe par la résilience, les pseudo-réconciliations, la repentance de l’époux, aussitôt démentie, la complicité retrouvée, jusqu’à la violence et aux coups.

On a reconnu le couple du film Les Analphabètes (1973) d’Ingmar Bergman joué par Liv Ullmann et Erland Josephson. Gina Calinoiu et Lionel González sont à la fois les dramaturges, metteurs en scène et acteurs. Ils pratiquent, comme beaucoup de collectifs, l’écriture de plateau mais avec une radicalité qui donne ici un résultat exceptionnel. Il y a une grande différence entre parler de soi en se servant de ce que nous dit par exemple Roland Barthes, et le fait  de se plonger dans une œuvre, de se l’incorporer, au point de la réécrire dans son esprit, dans sa vitalité. Quand on finit par parler de soi, on touche à l’universel.

La formule commode « librement inspiré de »… dit vrai: Gina Calinoiu et Lionel González ont pris la liberté de se placer à la racine de la création d’Ingmar Bergman et se sont concentrés sur les emblématiques Marianne et Johan. Ils ont mis hors-champ les autres personnages comme le couple ami qui trahit Marianne et comme surtout Paula qui finit par n’être plus qu’un énorme fantasme destructeur… Ces acteurs ont déjà travaillé ensemble, entre autres dans les ateliers d’Anatoli Vassiliev et ont tous les deux d’autres carrières, collaborent à d’autres créations. Ce qui les met dans une situation idéale pour jouer ces personnages. Ils sont différents: lui, très “à la française“ souligne légèrement le trait;  elle, de l’Ecole roumaine (elle est membre permanent du Théâtre National Marin Sorescu à Craiova, entre autres). Mais, lancés dans la même énergie, ils parlent le même langage.

Cela donne un spectacle jubilatoire, souvent drôle et touchant mais parfois glaçant quand on assiste au déclenchement de la violence masculine du genre: « Je t’ai quittée, trompée, mais tu m’appartiens. »Dans la comédie classique, tout finit par un mariage mais Ingmar Bergman et Le Balagan’ retrouvé s’occupent de ce qui suit. Et des questions qu’on oublie de se poser, en “analphabètes“ des sentiments. De quoi est fait l’amour durable ? Qu’est-ce qu’un couple ? Quel est le lien qui ne se défait pas, même quand l’un et l’autre ont refait leur vie comme on dit ?

Un troisième personnage donne au spectacle une note de fantaisie et de tendre ironie qui contribue beaucoup à son charme : Thibaud Perriard, batteur, percussionniste, bricoleur de piano et chanteur modeste. Il regarde les protagonistes avec la bienveillance un peu distante de celui qui échappe à ces guerres et tourments. Relais entre le public et la scène, il nous prend à témoin, en laissant entendre, sans un mot mais avec une musique légère, le constat navré d’Anton Tchekhov «Comme vous vivez mal, messieurs ! » Cela concerne aussi les femmes, on ne peut l’oublier…

Bref, un spectacle à voir,  d’abord pour le plaisir d’admirer un travail exceptionnel de comédiens, même si la pudeur nous interdit de nous reconnaître dans les tourments et les découvertes de Marianne et Johan…

Christine Friedel

Théâtre Gérard Philipe,  Saint-Denis, (Seine-Saint-Denis), jusqu’au 24 février. T. : 01 48 70 00.

 

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