La Fin de l’homme rouge, d’après Svetlana Alexievitch, mise en scène d’Emmanuel Meirieu
La Fin de l’homme rouge, d’après le livre de Svetlana Alexievitch, mise en scène d’Emmanuel Meirieu
Emmanuel Meirieu avait fait merveille en adaptant Mon traître de Sorj Chalandon (voir Le Théâtre du Blog). Ici, on le trouve un peu moins inspiré malgré des comédiens exceptionnels qu’il a bien dirigés et un texte poignant. Pendant quarante ans, armée d’un magnétophone et d’un stylo, la journaliste, prix Nobel de littérature 2015, a parcouru les républiques soviétiques à l’écoute des populations. Après La Supplication et Tchernobyl, chronique du monde après l’apocalypse, et suite au démantèlement de l’U.R.S.S., elle publie La Fin de l’homme rouge ou Le Temps du désenchantement. Un épais recueil, fruit de rencontres avec des hommes et des femmes qui racontent la petite histoire de cette grande utopie puis de son naufrage. Sa méthode : «Je pose des questions non sur le socialisme mais sur l’amour, la jalousie, l’enfance, la vieillesse… Sur des milliers de détails d’une vie qui a disparu. C’est la seule façon d’insérer la catastrophe dans un cadre familier. » (…) «L’histoire ne s’intéresse qu’aux faits, pas aux émotions. Moi, je regarde le monde avec les yeux d’une littéraire, et non d’une historienne.»
C’est ce regard et ces paroles émouvantes que les comédiens viennent partager avec le public pendant deux heures. Emmanuel Meirieu a choisi sept récits de vie: «A chacun de mes spectacles, des êtres viennent se raconter, seuls en scène, dans une adresse au public assumée. » Dans un décor déglingué, post-cataclysme, des personnages témoignent, à tour de rôle. Anouk Grinberg interprète, avec subtilité et sans pathos, une femme qui ne se remet pas du suicide d’Igor, son fils de quatorze ans. Que s’est-il passé ? Il ne comprenait plus son pays ; ce n’est pas ce qu’il avait appris à l’école…
Anna, non plus (Evelyne Didi). Née dans un goulag et élevée dans un orphelinat, elle n’a vu sa mère que de loin et se souvient des mauvais traitements infligés au pensionnat. Mais elle vénère encore le drapeau rouge, sa boussole et son étendard, quoiqu’il arrive. Son fils, lui, a pris du galon comme aviateur militaire. Maintenant, il fait des affaires et est fortuné, comme ses camarades mais constate qu’il y a des pauvres et des riches… On entend aussi Valentina, (Maud Wyler) qui raconte l’horrible agonie de son mari, pompier à Tchernobyl. Un vieux militant (André Wilms) clôt le spectacle, avec une grande humanité et on est au bord des larmes à l’entendre évoquer le Parti Communiste qu’il a intégré tout gamin. Il garde dans son cœur cet idéal, malgré les vexations qu’il a subies et les erreurs du Régime. Morte, l’utopie ? Il la défend encore, dur comme fer…
A travers ces mots, se dessine le portrait d’un pays qui s’écroule et qui n’a pas encore trouvé ses nouveaux repères. Il fallait des comédiens de grand talent pour gommer cette impression de “défilé“, de passage en revue. On a encore en mémoire le travail choral et stylisé de Stéphanie Loïk dont la mise en scène, à partir de ce même livre, démultipliait les voix (Voir Le Théâtre du Blog). Cette version, très différente, repose sur la performance remarquable de chaque acteur. Un travail sonore accompagne avec subtilité tous les registres de l’émotion. Mais était-il bien nécessaire d’illustrer les paroles avec des projections vidéo redondantes, avec sur le plateau, un amas de décombres ?
Mais on ne regrette pas d’avoir entendu ces «hommes et femmes rouges », de la couleur douloureuse de leur drapeau: «Notre superbe drapeau rouge/ Rouge du sang de l’ouvrier (bis)». Et d’avoir partagé leur souffrance et leur nostalgie. Il faut aussi lire Svetlana Alexievitch qui nous parle de l’Union Soviétique telle qu’elle a été vécue par des millions de gens, loin de la vitrine frelatée et prétentieuse que Dau nous en proposait dernièrement (voir Le Théâtre du Blog).
Mireille Davidovici
Spectacle créé du 8 au 17 février, aux Gémeaux, 49 avenue Georges Clémenceau, Sceaux (Hauts-de-Seine). T. :01 46 61 36 67.
Le 26 février, L’Olivier, Scène conventionnée, Istres (Bouches-du-Rhône).
Le 8 mars Le Rayon vert, scène conventionnée, Saint Valéry-en-Caux (Somme) ; le 15 mars, L’Arc-Scène nationale, Le Creusot (Saône-et-Loire ); le 19 mars Espace Diamant, Ajaccio (Corse).
Du 12 septembre au 2 octobre, Théâtre des Bouffes du Nord, Paris Xème, avec deux spectacles d’Emmanuel Meirieu. A 19h, Les Naufragés et à 21h, La Fin de l’homme rouge.
Le livre est publié chez Actes-Sud, dans la traduction de Sophie Benech.