Eins Zwei Drei de Martin Zimmermann, musique de Colin Vallon
Eins Zwei Drei de Martin Zimmermann, musique de Colin Vallon
C’est vue par son concepteur, une démolition en règle, parfois avec une grande saveur de l’art contemporain. Cela se passe dans un musée ou une galerie. Côté jardin, un piano à queue avec son interprète Colin Vallon. Et des murs blancs avec des cadres de tableaux suggérés par un trait noir. “A mes yeux, les visiteurs d’un musée sont tout autant des œuvres que celles qu’ils viennent y observer. Dans mon travail, les corps ont une qualité matérielle et les objets une dimension humaine. J’aime la collision des deux et les multiples possibles dramatiques que cette rencontre génère.”
Dans le mur blanc face public, une fenêtre et quelques portes étroites par lesquelles Tarek Halaby, Dimitri Jourde et Romeu Runa entrent et sortent sans raison apparente, puis balbutient quelques mots en anglais ou parfois aussi en français. Il y a ainsi une sorte de clown blanc revisité, en veste et pantalon blanc déchiré au genoux, avec des gants noirs à pois blancs, sans cesse en colère. Et un curieux et vieil Auguste courbé en deux, qui a bien du mal à s’imposer aux autres dans cet univers de folie. Bossu à la barbe noire, vêtu d’une longue robe aussi noire. Puis un remarquable contorsionniste immobile, en slip rouge, est recroquevillé dans un cube en plastique transparent installé sur un socle blanc. C’est, bien entendu, une caricature féroce d’une œuvre de body-art. Il y aussi un tableau accroché au mur avec, à l’intérieur, le même homme replié sur lui-même ou encore une sculpture, issue d’un amas de cordes noires d’abord soigneusement tassé dans un bac rond en plastique puis démoulé et posé tel quel sur le même socle. Cette fois c’est lart minimla qui en prend un coup et c’est d’une belle vérité: manquent ici seulement les invités au vernissage d’une exposition d’art contemporain…
Mais il y a aussi toute une chorégraphie comme ces admirables glissades sur le sol de l’Auguste et, au début, un remarquable moment tout à fait dans la veine surréaliste, avec des mains puis des bras, et enfin de longues jambes en équerre qui émergent du sol. Puis un des clowns grimpe sur une sorte d’escabeau en bois qu’il va poser après bien des difficulté sur le piano, lui-même installé sur un plateau tournant. Il veut à tout prix récupérer une barre fluo qui s’est détachée et qui pend. Sans jamais y arriver… Il réussira enfin à s’accrocher tant bien que mal sur le haut du mur, dont il descendra par derrière sans difficulté mais ce maudit mur va se mettre lui aussi à tourner puis à se mettre en angle en le coinçant presque! Mais miracle, une porte étroite dans le fond lui sauvera la vie. Quel métier d’acrobate, quelle grâce aussi dans cette série d’escalades sans succès mais scéniquement très réussies…
Ces moments sont d’une grande beauté plastique, grâce à ses interprètes qui ont une gestuelle magistrale, et ils rappellent ceux des spectacles précédents de Martin Zimmermann où il était seul en scène. «Pour cette nouvelle création, dit le metteur en scène, j’articule à travers trois personnages des enjeux forts, tels que l’autorité, la soumission et la liberté, qu’elle soit celle de l’enfance ou celle de la folie. » (…) « Depuis longtemps, dit-il, je suis intéressé par la compréhension et la mise en scène de la figure du clown dans le théâtre contemporain. Un clown n’est pas un acteur, n’a pas de genre ; il est là, entièrement, à l’intérieur comme à l’extérieur. Sa figure tourne toujours autour de la question de l’existence. »
Ce spectacle qui a été créé il y a plus d’un an, est parfaitement rodé ; sans paroles ou presque, il bénéficie de la chorégraphie et des costumes signés Martin Zimmermann qui, malheureusement, ne l’a pas très bien mis en scène, comme s’il avait eu quelque mal à marier théâtre et univers circassien. Le début est déjà lent et ensuite, il y a de nombreuses longueurs et répétitions de gags. Et la musique sonorisée du piano et ensuite de la batterie, beaucoup trop forte, devient envahissante. Et il y a une demi-heure en trop. Martin Zimmermann gère admirablement l’espace mais sans doute moins bien le temps. Le public semblait partagé: certains spectateurs riaient de bon cœur aux gags et d’autres pas du tout. Une vingtaine a abandonné la partie en route. Circonstance atténuante: le rapport vaste scène/salle en gradins trop grande n’est pas bon et il n’y avait pas la proximité nécessaire avec les trois complices. La précédente pièce de Martin Zimmermann où il était seul en scène dans un lieu plus petit (voir Le Théâtre du Blog) était plus convaincante.
Philippe du Vignal
Le spectacle a été joué du 20 au 24 février au Cent Quatre, 5 rue Curial, Paris XIX ème.