Le Lien de François Bégaudeau, mise en scène de Panchika Velez
Le Lien de François Bégaudeau, mise en scène de Panchika Velez
« Familles, je vous hais! Foyers clos, portes refermées, possessions jalouses du bonheur. » La célèbre phrase des Nourritures terrestres (1897) d’André Gide est éternelle. Depuis que l’humanité existe, la tribu et la famille demeurent un lieu de bonheur mais parfois aussi de conflit. Et l’on sait que la majorité des actes de violence se passe au sein du foyer. Les tragédies grecques ou romaines, ou encore élisabéthaines et autres drames jusqu’à nos jours, en sont de bons exemples. Dans cette pièce, il s’agit plus précisément du rapport mère/fils. Ici, une relation entre une mère aimante, mais gauche et attaquée par un fils dur, mais sensible. Dans les théâtres moderne et contemporain, la liste est longue de ces relations: entre autres, La Ménagerie de verre, une des œuvres les plus émouvantes de Tennessee Williams, avec la figure d’une mère autoritaire et protectrice, ou dans La Mère de Florian Zeller avec Catherine Hiegel en 2.010 et mise en scène par Martial Di Fonzo Bo…
La pièce de François Bégaudeau n’est pas une tragédie et se rapproche plutôt d’une comédie dramatique. Christiane, la soixantaine, une retraitée d’origine modeste, vit dans une ville de province. Elle a su cependant transmettre à son fils, Stéphane (Pierre Palmade) devenu écrivain, le goût de la lecture et des livres. Au début, le ton est celui de la légèreté, de l’humour grinçant, avec une écriture précise et sobre. Mais «le lien» va petit à petit vite prendre un caractère plus tendu. Vont alors s’affirmer toutes les contradictions et la frustration sentimentale de la mère comme du fils, des êtres tout simplement humains, seuls, et en recherche de l’amour.
Il est venu lui rendre visite et elle a préparé un déjeuner. L’unique décor (Claude Plet) représente un intérieur modeste mais soigné: une pièce à vivre assez grande avec une table, un banc, une chaise avec, en arrière-plan, un coin cuisine. Côté jardin, une fenêtre et une petite entrée. Au début, nous découvrons la mère et le fils attablés pour un repas, au moment du fromage. Il y a un long soliloque de Christiane. Thème principal de ce flot continu de paroles: le fromage de chèvre : «C’est pas le chèvre que t’aimes, celui-là. Je voulais en prendre comme tu préfères, avec la croûte dure mais la fromagerie du Carrefour City est fermée. » (…) « En fait, ils ont un problème de j’ai pas bien compris quoi, des histoires de … Tiens. (Elle prend l’assiette de Stéphane, y pose un morceau de fromage mais il n’y touchera pas)… des problèmes avec le lait, il m’a expliqué.»
Ce long texte, magistralement interprété par Catherine Hiegel, ouvre cette comédie dramatique dont la suite devient vite moins anodine. Sans elle, l’écriture simple et si juste de François Bégaudeau aux répliques fines et violentes, admirablement agencées dans une langue populaire, charnelle et imagée, n’aurait sans doute pas rayonné avec autant de subtilité et d’intelligence. Le texte chargé de non-dits lourds de sens, du genre: «je t’aime, moi non plus », mais aussi de reproches brutaux à la limite de l’humiliation résonne dans toute sa théâtralité. «Enlève ce blouson, par cette chaleur.» Stéphane lui répond: «Non, puisque je pars. Si j’arrive, j’enlève le blouson, si je pars, je remets le blouson, c’est logique. » (…) « Qu’est-ce que ça change, si je pars ?» Christiane: «Ça change que t’es plus là, tiens. T’es drôle, toi. » Stéphane: «Qu’est-ce que ça change concrètement. Quand tu parles à table, qu’est-ce que ça change, que je sois là ou pas ? (Christiane attend qu’il réponde lui-même à sa question.) « On peut se lever, tu continues à parler tout pareil, t’as pas vu ? Non, t’as pas vu. Justement, t’as pas vu.»
Le public est vite touché par la violence qui s’empare de ces personnages déchirés par l’incompréhension et le manque d’empathie. Stéphane est devenu célèbre et bourgeois et les chemins existentiels de la mère et de son fils se sont donc écartés. Mais la tendresse, malgré tout et à jamais, finit par s’infiltrer dans ce «lien» qui existe entre eux. Avec ici, l’incommunicabilité, le renfermement sur soi, l’amour-propre et l’amour impossible mais tant désiré, et une blessure. Stéphane: «Je ne réponds jamais à tes questions pour l’unique et simple raison que tu ne m’en poses aucune !» Christiane: «C’est la meilleure celle-là !» Stéphane: « Oui, c’est la meilleure, là, on est d’accord. La meilleure de toutes. Plus j’y pense, plus ça me scie, je suis estomaqué, estomaqué que ma mère se branle complètement de ma vie.» Au cours de ce face-à-face, Françoise, une vieille amie de Christiane, arrive et va alléger la tension. Là aussi, Marie-Christine Danède, réussit avec franchise et finesse, à donner une puissance dramatique et une poésie à cette femme sans histoires, ordinaire mais gaie, et encore curieuse de l’existence.
Le jeu de Pierre Palmade est un peu décevant. Très présent, émouvant ou presque épouvantable, le personnage, dans toute sa splendeur, nous ravit. Puis, on ne sait pourquoi, reviennent ça et là, certaines expressions dont il a le génie mais qui n’ont pas leur place ici. Dommage: cela étouffe parfois les espaces inarticulés et fugaces enfouis dans la pièce et que seule, la magie de l’interprétation peut faire surgir… Mais il ne faut pas se tromper de baguette magique!
Elisabeth Naud
Théâtre Montparnasse, 31 rue de la Gaîté, Paris XIV ème. Jusqu’au 29 mars. T. : 01 43 22 77 74.