Le Quatrième Mur d’après le roman de Sorj Chalandon, mise en scène de Julien Bleitrach et Cyril Manetta

Le Quatrième Mur, d’après le roman de Sorj Chalandon, adaptation de Marc Beaudin et Julien Bleitrach, mise en scène de Julien Bleitrach et Cyril Manetta

353_4eme_murLe roman paru il y a cinq ans est celui d’un correspondant de guerre pendant quarante ans, notamment avec des reportages en Irlande du Nord. Il avait aussi rendu compte du procès de Klaus Barbie, ce qui lui a valu le fameux prix Albert-Londres en 88. Il a couvert la guerre du Liban de 81 à 87 et avait pu voir les camps de Sabra et Chatila, après les massacres de 1982. Puis il a écrit cette fiction qui a déjà fait l’objet de plusieurs adaptations théâtrales où Georges devient lui-même le héros d’une tragédie. Entre autres, en 2017 dans une mise en scène de Julien Bouffier et avec Antigone 82 de Jean-Paul Wenzel. La même année, Julien Bleitrach crée aussi cette adaptation mais avec le seul récit de Georges.

Il revoie son grand ami metteur en scène Samuel Akounis, un Juif grec de Salonique dont la famille a été exterminée à Birkenau. Sam s’est exilé à Paris quand les colonels ont pris le pouvoir mais atteint d’un cancer en phase terminale, il a demandé à Georges de réaliser à sa place son dernier projet, absolument insensé : monter Antigone de Jean Anouilh à Beyrouth en guerre. Ce qu’il fera avec des acteurs de populations ennemies impliquées dans cette guerre civile. A son retour du Liban, Georges voit Sam et rejoue les scènes qu’il y a vécues et interprète les différents protagonistes d’Antigone. Le public est Sam. Il arrive avec son sac à dos et un magnétophone portatif où il a enregistré les enregistrements des répétitions d’Antigone dont il nous fait écouter des extraits. Une belle idée de mise en scène.

C’est à Sam que Georges parle mais aussi à lui-même, comme dans une sorte d’exorcisme où il évoque la guerre mais aussi les situations auxquelles il a été confronté. Soit l’aventure de Georges, une sorte de double de l’auteur-metteur en scène, étudiant en Sorbonne, militant d’extrême gauche et défenseur de la cause palestinienne. La pièce sera jouée une seule fois sur une petite scène vite installée dans cette ville en guerre… Antigone est une Palestinienne de confession sunnite comme son fiancé Hémon dont le père Créon, roi de Thèbes, est joué par un Maronite. Il y a aussi dans la distribution des Chiites, une Chaldéenne et une catholique arménienne. Et Georges, coiffé d’une kippa, figurera le Chœur. Tous ennemis mais d’accord pour travailler malgré tout quelques heures ensemble.

Le titre de la pièce fait référence au mur invisible mais protecteur qui, entre scène et public, est construit inconsciemment par l’acteur qui le détruit, en même temps qu une possible illusion quand il s’adresse au public. Seule possibilité ici pour échapper aux horreurs de la guerre et s’exprimer en tant qu’homme libre. Face à la mort au Liban, face aussi à la mort imminente de son ami hospitalisé dans une chambre blanche. Julien Bleitrach s’impose vite et, comme il a une excellente diction et une belle présence, on l’écoute attentivement. Seul bémol, la scénographie: une petite pièce blanche réduit encore l’espace déjà limité de cette toute petite scène et cela gêne la gestualité de l’acteur qui aurait aussi intérêt à parler moins fort. Mais cette heure quinze passe très vite et le spectacle a les mêmes qualités exemplaires que Clouée au sol, une autre histoire de guerre dronesque,  jouée aussi en solo par Pauline Bayle, l’an passé sur ce même plateau. Ces deux anciens élèves de l’Ecole du Théâtre National de Chaillot n’auront pas démérité…

Philippe du Vignal

Théâtre des Déchargeurs, 3 rue des Déchargeurs, Paris I er. T. : 01 42 36 00 50.


Archive pour février, 2019

Je pars deux fois de Nicolas Doutey, mise en scène de Sébastien Derrey

Je pars deux fois de Nicolas Doutey, mise en scène de Sébastien Derrey

 DOUTEY_ptitÀ première vue, il suffit de dire son nom pour que la personne existe : Paul, Pauline.  Mais cette existence ou plutôt cette présence, est aussitôt mise en doute: Pauline? Simultanément, un adverbe que Paul emploie volontiers au début de la pièce dont les protagonistes sont assurés de leur présence mutuelle mais ébranlés par le doute. Voilà donc un couple qui se retrouve et se perd dans un labyrinthe de projets comme aller chercher à la gare un Ami européen, s’occuper du Chien, acheter un billet pour prendre le bateau. Et si ça se trouve, comme on dit, ces projets sont du passé.

Nicolas Doutey, le bien nommé, jongle simultanément avec la présence réelle des acteurs, leurs interactions, leur dialogue, bien réels, et une fiction vacillante, avec des incidents de récits qui viennent parfois percer la brume ou qui s’y abîment. La mise en scène de Sébastien Derrey est d’une loyauté et d’une délicatesse parfaites envers le texte : «C’est, dit-il, comme si l’indécision et l’égarement des personnages avaient contaminé la dramaturgie de l’auteur. La sensation vive du présent l’emporte sur la logique de la chronologie et de l’espace».

L’effet produit sur le spectateur est celui d’une comédie philosophique à l’humour métaphysique. À l’interrogation de Paul (Paul étant pris comme Pierre,Paul, Jacques, autrement dit n’importe qui) et il faut bien deux Pauline(s) pour l’assurer de sa réalité multiple. Rodolphe Congé, est le complice et partenaire de Nicolas Doutey dans les spectacles qu’ils ont réalisés ensemble à Théâtre Ouvert : L’Incroyable matin et Jour, Faust. Avec Catherine Jabot et Nathalie Pivain, présentes dans presque toutes les mises en scène de Sébastien Derrey, ils se comprennent et travaillent tranquillement au présent, attentifs au moment qui fait émerger ou non, une fiction, une histoire. Comme si la pièce était, dit le metteur en scène, «un documentaire sur un spectacle en train de se faire». Le public et les acteurs dans un dispositif quadri-frontal, partagent le même espace sous la belle lumière de Rémi Godfroy et le même “suspense“. Incertitude bienveillante: Je pars deux fois emmène le spectateur en zone peu connue, en terrain instable et pour un plaisir inédit. Nous  aurions  bien aimé trouver elle-même cette formulation mais comment mieux dire que le metteur en scène lui-même: « C’est une marche de la pensée, chaotique et comique qui avance dans un décalage burlesque permanent, avec ses précipitations et ses suspens. Et en même temps, il y a une délicatesse qui fait que tout est léger, que tout reste à la surface.»

Être ou ne pas être, est-ce la bonne question ? Exister, c’est sans doute appeler quelqu’un, si l’on n’ose pas employer un mot trop lourd: aimer. On ne saura jamais si le dernier «Pauline» prononcé par Paul dans le silence du noir qui se fait, est le salut d’un retour ou un adieu. Et c’est très bien comme ça.

Christine Friedel

Théâtre de l’Échangeur, 59 avenue du Général de Gaulle, Bagnolet (Seine-Saint-Denis), jusqu’au 20 février. T. : 01 43 62 71 20.

Fanny et Alexandre d’Ingmar Bergman,mise en scène de Julie Deliquet


Fanny et Alexandre d’Ingmar Bergman, traduction de Lucie Albertini et Carl Gustaf Bjurström, version scénique de Florence Seyvos, Julie Deliquet et Julie André, mise en scène de Julie Deliquet

©PASCAL VICTOR / ARTCOMPRESS

©PASCAL VICTOR / ARTCOMPRESS

Ingmar Bergman considérait Fanny et Alexandre comme son œuvre testamentaire. A l’origine, un roman  qu’il adapta pour une série télévisée et dont il tira un film qui reçut quatre Oscars en 1984! Julie Deliquet dans la première partie du spectacle fait revivre sur le plateau la vie réelle d’une compagnie théâtrale. A la fin d’une représentation, Oscar, le fils d’Helena Ekdhal (Denis Podalydès) a pris la succession de sa mère à la direction du théâtre. Et il offre au public et à toute son équipe, ses meilleurs vœux de Noël et annonce aussi qu’il va faire une mise en scène d’Hamlet. Derrière un rideau de tulle, on voit la joie de cette grande famille de comédiens réunis pour fêter Noël. Buffet largement garni, on boit du champagne et on chante. La fête finie, on mettra une servante pour la sécurité sur la scène quant tout est éteint dans le théâtre. Oskar va commencer les répétitions d’Hamlet et on le voit en fantôme du Roi apparaissant soudain à son fils Hamlet. Il lui dit qu’il a été la victime d’un crime perpétré par Claudius, mais Oskar va mourir subitement en scène… comme Molière! Fin de la première partie.

Après l’entracte, son épouse Émilie Ekdhal (Elsa Lepoivre) qui est aussi une actrice, vient sur le devant de la scène et s’adresse au public pour lui dire qu’après la mort d’Oscar, elle a abandonné la direction de la troupe et qu’elle va épouser un évêque: Edvard Vergerus (Thierry Hancisse) et ira vivre chez lui avec ses enfants, Fanny (Rebecca Marder)et Alexandre (Jean Chevalier) pour essayer de retrouver un sens à son existence.

Et là, Julie Deliquet nous conte une histoire, celle d’une famille mal recomposée avec catastrophe annoncée et que la troupe des Ekdal- ce sont ici les mêmes acteurs- aurait pu jouer sur son plateau… Dans une haute chambre aux murs carrelés aussi sinistres que lui et évoquant une ancienne boucherie, cet évêque luthérien, un triste pervers très violent, ne supporte pas Fanny et Alexandre. L’adolescent lui résiste mais il va durement le fouetter sur son lit jusqu’au sang. On n’est pas loin de l’univers de Charles Dickens et d’August Strindberg.

« Il n’ était pas question, dit Julie Deliquet, de rivaliser avec la beauté des images de cinéma ou des descriptions du roman, en signant une transposition de plus ; il nous fallait donc trouver un autre biais, un autre abri pour notre adaptation. Or, il y a ce théâtre des Ekdahl et la Comédie-Française avec, dans un cas comme dans l’autre, une troupe permanente; c ’est donc ce fil que nous avons choisi.” Julie Deliquet a sans doute flairé le danger qu’il y a adapter pour la scène ce qui était à l’origine un roman (une véritable manie actuellement!) et  a renoncé à certaines scènes mais en a gardé d’autres de la série télévisée qu’Ingmar Bergman avait ensuite coupées pour le film.

Pour la metteuse en scène, «La matière de Bergman -par sa dimension psychanalytique et surréaliste parfois- autorise à aller jusqu’au bout d’une telle démarche artistique. » Pourquoi pas mais cela donne quoi ? De l’excellent et aussi du pas très bon. Julie Deliquet a eu la grande chance d’avoir avec elle une troupe exceptionnelle: avec en plus de ceux déjà cités: Dominique Blanc, Hervé Pierre, Noan Morgenstern, Gilles David, Anne Kessler que l’on reconnaît à peine en vieille dame, Véronique Vella, Cécile Brune, Laurent Stocker, Julie Sicard, Anne Cervinka, Gaël Kamindi… Brillants et tous impeccables, que ce soit dans les grands ou petits rôles, dans la première ou la seconde partie. Eric Ruf, l’administrateur de la Comédie-Française a donné toutes ses chances à Julie Deliquet, en lui offrant une distribution aussi exceptionnelle. Pour dire le vrai faux comme le faux vrai, dans la réalité comme dans la fiction. «L’art du théâtre se situe dans un espace entre une vérité qui n’est pas la vérité et un mensonge qui n’est pas un mensonge, écrivait le grand dramaturge japonais Chikamatsu Monzeamon. Direction d’acteurs, unité de jeu, scénographie, lumières… Tout est dans l’axe et les comédiens du Français réunis se font visiblement plaisir. Un plaisir que le public le soir de  cette première semblait partager…

Cela dit, on n’est pas obligé d’entrer dans toutes considérations esthético-philosophiques de Julie Deliquet et à vrai dire un peu prétentieuses. Elle semble une fois de plus découvrir la mise en abyme, le théâtre dans le théâtre, le thème de la fausse vie et de la vraie fiction: Denis Podalydès, spectre d’Hamlet revenant dans la seconde partie en fantôme du père avec allées et venues des comédiens dans la salle,  adresses au public… Bref, il y a ici comme une sorte d’anthologie des procédés que l’on voit un peu partout depuis quelque trente ans sur les scènes. « Et puisqu’ on a dévoilé toutes les ficelles, tous les rouages, tous les artifices du théâtre dans la première partie, je n’ai pas l’impression de passer dans la deuxième, à un mode de représentation «classique» mais plutôt à l’exploration d’un théâtre inédit pour moi.»

Oui, mais voilà, les improvisations, ou pour faire actuel: la trop fameuse « écriture de plateau» dans la première partie ne font pas naître grand chose d’intéressant sur le plan textuel.  Si, au début, on est ébloui par la générosité et la justesse du jeu, la suite de ces soixante-dix minutes nous a paru longuette. Et dans la seconde, le texte d’Ingmar Bergman, même visiblement remanié, a bien du mal à s’imposer. Heureusement, Thierry Hancisse, tout à fait remarquable, est un inquiétant évêque. Mais le court moment où il fouette jusqu’au sang le pauvre Alexandre, n’est pas très bien mis en scène et il faut se pincer pour y croire. Au théâtre, le réalisme passe souvent mieux par la suggestion.

Et on ne retrouve pas ici les qualités du film. Ingmar Bergman, très grand réalisateur de cinéma,  n’était sans doute pas un aussi bon auteur de théâtre… Nous ne croyons pas du tout comme Julie Deliquet que «l’hyper-matière du texte né des improvisations, nous sert à aller vers Bergman. » Et elle dit avoir voulu «voir comment Bergman et la troupe de la Comédie-Française se rejoignent. » Quant aux parties improvisées où elle « essaie de dégager certains parallèles, certaines provenances, certaines similitudes dans les doutes et les questionnements que peuvent avoir des acteurs du Français sur leur propre carrière »: cette thématique l’intéresse sans doute, mais nous? Pas vraiment…

Un spectacle bien dirigé avec une bande d’acteurs, des plus jeunes aux plus âgés tous exceptionnels et au jeu sobre et rigoureux, mais dont la matière textuelle assez conformiste n’a encore une fois rien de très convaincant. Surtout en deux heures quarante-cinq avec entracte. Dommage. A vous de voir si cela vaut le coup d’aller passer une soirée salle Richelieu…

 Philippe du Vignal

Comédie-Française, salle Richelieu, Paris (Ier), en alternance.

La Conférence des oiseaux, d’après le récit théâtral de Jean-Claude Carrière, mise en scène de Guy-Pierre Couleau

La Conférence des oiseaux, d’après le récit théâtral de Jean-Claude Carrière, inspiré par Manteq Ol-Teyr, poème de Farid Uddin Attar, mise en scène de Guy-Pierre Couleau

© Laurent Schneegans

© Laurent Schneegans

Un des plus célèbres contes soufis à partir duquel l’auteur persan (1.142-1.220) imagine à son tour un poème fameux et subtil où les oiseaux se mettent en quête du mythique Simorg pour le reconnaître comme leur roi. Au terme d’une épopée mystique et existentielle, ils découvrent que ce Simorg n’est autre qu’eux-mêmes : «Le soleil de sa majesté est un miroir. Celui qui se voit dans ce miroir, y voit son âme et son corps.» L’oiseau, ici, est le symbole de l’homme apte à quitter la terre pour le ciel et à y revenir. Une allégorie entre l’âme et son vrai roi que mit en scène Peter Brook au festival d’Avignon 79.

 Depuis sa création, le texte n’avait plus été monté en France : Guy-Pierre Couleau l’a repris l’an passé. Une bande de trente mille oiseaux pèlerins partent sous la conduite d’une huppe fasciée, à la recherche du Simorg, leur roi. Ils doivent traverser sept vallées dangereuses pour trouver le roi tant recherché, comme les étapes par lesquelles les soufis peuvent atteindre la vraie nature de Dieu. Un à un, les oiseaux refusent le voyage et chacun a une excuse pour ne pas supporter autant d’épreuves. Chaque oiseau symbolise un comportement caractéristique, une erreur d’être. Dans la mise en scène colorée et poétique de Guy-Pierre Couleau, la tête de file: la Huppe, petit oiseau léger, est incarnée par le facétieux Luc-Antoine Diquéro. Mais tous les comédiens sont talentueux et inventifs : Manon Allouch, Nathalie Duong, Cécile Fontaine, Carolina Pencheny, Jessica Vedel, Emil Abossolo M’Bo, François Kergourlay et Nils Ôhlund. Shabrokh Moshkin Ghalam danse avec grâce en tournoyant  comme un derviche.

Les masques d’oiseaux de Kuno Schlegelmilch, magnifiques de légèreté, miment des élans aériens et le souffle et la vie. Et les acteurs traduisent les sautillements légers, tics et roucoulements que le public devine et reconnaît en souriant. Le Rossignol représente l’amant, le Perroquet, lui, s’enquiert de la fontaine de l’immortalité, et non pas de Dieu. Le Paon évoque les âmes perdues alliées à Satan.  Il y a  aussi le Canard, la Perdrix le Rossignol, le Héron, le Faucon et la Chouette…Tous disent bon nombre de contes, anecdotes, paroles de saints et de fous et décident de suivre la Huppe. Ils traversent sept vallées correspondant à la recherche, à l’amour, à la connaissance, au détachement, à l’unicité de Dieu, à la stupéfaction, à la pauvreté.

 L’univers onirique du conte  est ici traduit par l’élégance des déplacements et des envols, et par l’écoute de la parole de chacun… Mais, malgré toutes les précautions, le respect et la dignité même clairement mis en situation et vécus de l’intérieur pour être reconnus comme des modèles exemplaires, ne peuvent faire oublier les tensions de nos temps actuels: violences, sentiment d’urgence et crise chronique dans une cacophonie indescriptible. Un chant idéal, éloigné des dissonances de la confusion de nos voix.

Véronique Hotte

Manufacture des Œillets-Centre Dramatique National du Val-de-Marne, 1 place Pierre Gosnat, Ivry-sur-Seine (Val-de-Marne), jusqu’au 22 février. T.: 01 43 90 11 11.

Scènes Vosges-La Souris Verte, Épinal (Vosges), le 26 mars.
Le Carré-Sainte-Maxime (Var), le 5 avril.
Centre Dramatique National de l’Océan Indien, La Réunion, du 9 au 13 avril.

Le Songe d’une nuit d’été, mise en scène d’Olivier Normand

Le Songe d’une nuit d’été, traduction de Michelle Allen, mise en scène d’Olivier Normand

 

©Stephane Bourgeois

©Stephane Bourgeois

Un texte shakespearien où burlesque, onirisme et grotesque se font concurrence! Cette mise en scène est dominée par de remarquables comédiens-acrobates qui font irruption dans un paysage  aux lumières colorées  et  baigné d’une belle musique. Mais ils hurlent comme des forcenés, surtout Maud Boutin Saint-Pierre) et  il faut s’habituer à cette esthétique du cirque…  Méticuleusement orchestré, le travail  d’Olivier  Normand peut donner l’illusion de libérer les acteurs des contraintes de jeu; le metteur en scène les transforme en effet  en acrobates qui  affirment leur indépendance face à une forme de théâtre aux antipodes de la tradition française.  On ressent  souvent une grande joie devant cette œuvre immense dont la dramaturgie complexe oriente le travail des comédiens au jeu corporel intense… Mais comment ne pas se sentir gêné  par ces hurlements qui interrompent des moments d’intimité.  Et, visuellement on est frustré devant ce mélange assez chaotique, avec tout ce que cela suppose de folie collective, ruptures et transformations étranges. Le public, lui, est était ravi par cette liberté  apportée  au regard traditionnel que l’on a de Shakespeare. Ici, on est plongé dans la saleté,  la confusion  et on ressent un réel malaise devant un texte bousculé à ce point.

Cette parodie du théâtre par Hugues Frenette (Bottom)  et les acteurs qui jouent une équipe d’artisans  préparant Pyrame et Thysbé,  un  divertissement populaire pour le mariage des Athéniens: le  Duc (Jean-Sébastien Ouellette) et Hippolyte (Valérie Laroche). Le spectacle des artisans continue dans la forêt spontanément. La folie de Tatiana, la reine des fées (Valérie Laroche) est inoubliable  et ses cris de plaisir éclatent quand elle aperçoit Bottom, le rustre transformé en âne.Puck lui passe des fleurs magiques sur les yeux pour la rendre amoureuse de la première personne  aperçue à son réveil. Et voilà Bottom devant elle transformé en un âne ridicule dont le membre énorme suscite les rires étouffés du public …Mais tout est la faute de Puck, le petit  malin (Olivier Normand)  qui voulait rétablir le désir des amants et crée ainsi la plus grande confusion entre tous les invités.       

 Il y a certains moments de plaisir fou, surtout vers la fin où les jeunes Lysandre (André Robillard) et Démétrius (Jean-Michel Girouard) cherchent les femmes dont ils sont à leur tour tombés amoureux… D’une passion presque animale et inquiétante. Tous s’écroulent et s’endorment enfoncés dans la boue!  Une soirée qui renouvelle notre manière de voir Shakespeare, puisque monde féérique  et monde du réel se confondent. Une étrange dialectique entre la parole et le corps. Qui sortira gagnant de cette rencontre?  Les jeunes spectateurs, cible évidente de cette création, sont éblouis par la fantaisie explosant sur scène.  Shakespeare rajeuni?  Pourquoi pas!? Et le grand Will a magistralement survécu à ce mélange de disciplines!

Alvina Ruprecht

Spectacle joué au Centre national des Arts, Ottawa (Canada), du 13 au 16 février. Tournée dans la région de Québec.

En attendant Bojangles, d’après le roman d’Olivier Bourdeaut, adaptation et mise en scène de Victoire Berger-Perrin

©ChVootz

©ChVootz

En attendant Bojangles, d’après le roman d’Olivier Bourdeaut, adaptation et mise en scène de Victoire Berger-Perrin

 Un jackpot pour Olivier Bourdeaut…  On s’est arraché ce premier roman publié en 2016 et couvert de Prix. Cette adaptation théâtrale reçut le Molière 2018 de la mise en scène et continue ici à faire salle comble à sa reprise. Mais le jeune homme a le succès modeste : «Si je suis toujours surpris et flatté d’apprendre que les gens ont ri et pleuré en lisant mes âneries, j’ai été étourdi de les voir réellement rire et pleurer en regardant mes bêtises. » (…) «Voici Georgette, Georges et leur fils, en chair et en os, les voilà en scène et en prose.»

Nombre de critiques littéraires sont tombés sous le charme de cette écriture légère, teintée de mélancolie. Portée ici par Julie Delarme, Didier Brice et Victor Boulenger, c’est l’histoire d’une curieuse famille : le père, fortune faite dans une affaire de garages, essaye d’être écrivain. La mère, un peu fofolle, rêve sa vie. Leur petit garçon « charmant et intelligent » suit le mouvement, trop content de sécher l’école. Il y a aussi Mademoiselle Superfétatoire, une grue de Numidie qu’ils ont adoptée. La famille mène grand train, reçoit tous les soirs dans son vaste appartement : «Mes parents dansaient tout le temps, partout », raconte leur fils.

 Qui est Mr. Bojangles? Le personnage-titre d’une chanson de Nina Simone (1971) écoutée sur un vieux disque fétiche de la mère. Une histoire de clochard céleste qu’elle raconte à son enfant. «I knew a man Bojangles/Always danced with worn out shoes/The silver hair, a ragged shirt/And bare ragged paints. » (…) « I met him in a New-Orleans café/He was down and out. » (J’ai connu un homme, Bojangles/Il dansait toujours, les chaussures usées/Cheveux argentés et chemise rapiécée/Pantalon en lambeaux/L’ai rencontré dans un café de la Nouvelle Orléans/Il était au bout du rouleau.»

 L’adaptation, fidèle au roman, alterne points de vue du père et récit du gamin partagé entre deux mondes : «Je mentais à l’endroit chez moi, et à l’envers, à l’école, c’était compliqué pour moi, mais plus simple pour les autres». Il baigne en toute naïveté dans cette insouciance des “trente glorieuses“. Mais douloureuse sera la chute quand un rappel d’impôts rattrapera ce couple inconséquent et que «le déménagement du cerveau de maman  compliquera la situation». Tout cela, narré avec désinvolture et d’un optimisme résolu, malgré une fin tragique qui fera de lui, un orphelin : «Comment font les autres enfants pour vivre sans mes parents ? » conclut-il.

 Loin d’En attendant Godot, la pièce reste une charmante histoire d’amour empreinte de nostalgie et écrite d’une plume allègre, mais aussi un drame qui ne se prend jamais au sérieux. Vue par l’Enfant-narrateur, la démence de la mère qui la conduira au suicide est quand même pour lui un souvenir heureux: il se plait dans cette extravagance et communique son optimisme au public. Pour le père, entrer dans le délire de sa femme est un choix délibéré dont il assume les conséquences. Cette fausse légèreté, sous-tendue de gravité, peut séduire, ou laisser indifférent. Le décor de Caroline Mexme, simple et élégant, la mise en scène et le jeu sans surcharge donnent une juste mesure à ce récit extravagant. Par les temps qui courent, cela apporte un souffle de fraîcheur naïve et de bon aloi. Un remède à la mélancolie que le public apprécie. Mais on peut aussi lire le livre…

 Mireille Davidovici

 Théâtre de la Renaissance, 20 boulevard Saint-Martin, Paris X ème. T. : 01 42 08 18 50.

A vue, mise en scène de Roser Montilo Guberna et Brigitte Seth, texte de Jean-Luc A. d’Ascanio

A vue, mise en scène de Roser Montilo Guberna et Brigitte Seth, texte de Jean-Luc A. d’Ascanio

Photo Christophe Raynaud de Lage

Photo Christophe Raynaud de Lage

Comme à son habitude, le tandem Montilo Guberna Seth, met le corps au centre de ce spectacles. Depuis 1997, leur compagnie, Toujours après minuit enchaine les performances mêlant plusieurs technique et langage. Ici Sylvain Dufour les rejoint pour former un trio burlesque, semant le trouble sur le genre.

 L’essentiel du travail scénique explore les rapports de soumission, traduits par des attitudes corporelles entre dominant et dominé. Une scénographie minimaliste, quelques  chaises et une table, déterminent des espaces de jeu :  salle d’attente où l’on poireaute angoissé, bureau de fonctionnaires sadiques où se déroulent des interrogatoires administratifs stéréotypés… Un univers dépersonnalisé où s’activent des individus aux identités multiples :

Les comédiens changent de sexe et de rôle à vue : perruques, costumes, fausses moustaches et ventres postiches rehaussent leurs postures physiques. Un texte sommaire avec succession de dialogues répétitifs et absurdes, accompagne des scènes souvent comiques. Parfois ces personnages, interchangeables et indéterminés, viennent exprimer leur sentiments, leur doute, leur extravagance, leur souffrance ou leur révolte,  en apartés : par la parole ou avec des danses effrénées comme le solo de Sylvain Dufour. Un mal de vivre sous-jacent vite balayé par l’humour.

  »A vue ,  annoncent les metteuses en scène, est une tentative pour échapper aux appartenances prescrites. » (…) « Chambouler les repères traditionnels. »  Pari réussi: cela sème le trouble et d’étranges éclairages projetés sur les acteurs viennent parfois transformer la perception du public. Féroce mais toujours drôle, ce spectacle, en une heure dix, démonte avec efficacité les conventions et révèle les humiliations quotidiennes infligées aux petites gens. Mais ici, la fantaisie offre un remède à la mélancolie et l’on aurait tort de bouder son plaisir.

Mireille Davidovici

Jusqu’au 23 février, Théâtre de la Tempête, Cartoucherie de Vincennes, route du Champ de manœuvre, Vincennes (Val-de-Marne). T. : 01 43 28 36 36.

Notre parole, textes de Valère Novarina, mise en scène de Cédric Orain

Notre parole, textes de Valère Novarina, mise en scène de Cédric Orain

2F5018E5-AA35-4406-832A-B6CF1B1DD580«Un porteur d’ombre, un montreur d’ombre pour ceux qui trouvent la scène trop éclairée :quelqu’un qui a été doué d’un manque, quelqu’un qui a reçu quelque chose en moins. »  Valère Novarina est assez amoureux de la langue française pour être capable de l’inventer. Il collectionne les mots, les ausculte, les  prolonge dans leur logique de naissance, les pousse dans leurs retranchements… Ce qui les augmente. Il en défouraille des listes gigantesques et jouissives. Aussi, depuis que la télévision enchaîne les usagers (c’est un métier, voir Vous qui habitez le temps), n’aime-t-il pas l’essorage que les présentateurs font subir à la langue.

On ne dira pas langue de bois, ce serait faire offense au bois, ni même de papier mâché et remâché: la presse écrite garde encore un peu de dignité. C’est une langue en plastique,  en pixels: à la fois en miettes, lisse et vide. Le vide n’est pas la même chose que le manque. La parole, dit Valère Novarina, naît de ce manque, de ce pont à établir entre deux êtres séparés. Notre parole, bel et bien confisquée par les écrans, il faut l’exercer pour la reprendre. Ce qu’il fait avec ses listes, sa grammaire décalée, juste à côté de celle qu’on lui a enseignée avec les temps du passé dans Vous qui habitez le temps: « Seize temps sont quand il en est encore temps : le présent lointain, le futur avancé, l’inactif présent, le désactif passé, le plus que présent, son projectif passé, le passé postérieur, le pire que passé, le jamais possible, le futur achevé, le passé terminé, le possible antérieur, le futur postérieur, le plus que perdu, l’achevatif, l’attentatif.  » Il le fait ici avec les joies et les peines du subjonctif : «Il eût fallu que vous le sussiez… »

Le théâtre lui offre aussi bien des délectations : dans sa Lettre aux acteurs comme dans Opérette imaginaire, il décortique avec une certaine tendresse les codes du vieux théâtre pour les mener à leurs extrêmes conséquences, quasi surréalistes. Surtout, ne vous privez pas des irrésistibles apartés d’un théâtre “psychologique“ poussé ici jusqu’à l’absurde !

Cédric Orain a déjà travaillé sur les textes de Valère Novarina. À côté de Notre parole, un article toujours d’actualité sur les mauvais traitements infligés à la langue par les médias, le metteur en scène présente une sorte de cabaret, de « menu-dégustation» du corpus de son auteur. Les numéros s’enchaînent, mais sans nous livrer ou nous délivrer, une ligne de lecture unique, reliés cependant par un ange du bizarre incarné par le comédien-chanteur Olav Benestvedt, aède couronné de fleurs.

Mais le fil conducteur de ce spectacle-arlequin, c’est, bien sûr, le spectateur qui le tire lui-même ; après tout, et avant tout, il s’agit de notre parole. Les deux autres comédiens, dans leur fonction illustrative de marionnettes, peuvent s’en donner à cœur joie. Devant un rideau rouge projeté sur écran, après les fameux trois coups (signe même du théâtre pour ceux qui n’y vont jamais), ils peuvent faire leur entrée et jouer à jouer. Une réminiscence de Tchekhov, une parodie de comédie à l’anglaise, un clair de lune romantique, un tango interrompu… Tout le vocabulaire de la danse classique -un nom pour chaque pas, un pas pour chaque nom et en direct- est, comme il se doit chez Valère Novarina, étendu à quelques inventions nouvelles qui le font exploser. En un mot comme en trois : Céline Millat-Baumgartner et Rodolphe Poulain sont épatants (n’ayons pas peur des mots vieillis, chargés de la nostalgie de ce qu’on n’a pas connu), drôles, précis et d’une énergie sans faille.

Notre Parole donne une nouvelle image des textes de ce dramaturge qui ne les a jamais refusés à d’autres metteurs en scène. On n’est pas emporté par le torrent verbal que l’on trouve dans certaines de ses réalisations mais plutôt piqué au vif, interpellé, sollicité par le rire, emmené dans des variations d’un rythme parfois alangui. Cela donne un spectacle poétique et politique : un aspect important de son écriture et à ne pas oublier depuis L’Atelier Volant. La langue que l’on parle et que l’on écrit, nous définit, nous engage, nous distingue, nous marque, nous constitue ; elle donne forme à nos émotions, garde ses mystères… C.Q.F.D. : Notre parole vaut le détour : Cédric Orain et ses camarades nous ramènent en effet dans le chemin de notre propre langue que personne n’a le droit d’abimer.

Christine Friedel

Théâtre de la Cité Internationale, 17 boulevard Jourdan, Paris XIV ème, jusqu’au 2 mars. T. : 01 43 13 50 50.

Orphée de Jean Cocteau, mise en scène de César Duminil

©James Alexander Coote

©James Alexander Coote

 Orphée de Jean Cocteau, mise en scène de César Duminil

On connaît l’histoire: Eurydice ne reviendra des Enfers que, si Orphée venu la délivrer, ne la regarde pas… Et son dénouement tragique. Jean Cocteau (1923-1966) s’en empare avec bonheur et ne cessera de la décliner, jusque sur le pommeau de son épée d’académicien. : «J’ai  écrit Orphée pour amuser les frères Berthier. » (…) « Je leur lisais le soir et je me rendais pas du tout compte que la pièce était la première dite “d’avant-garde“ qui allait ouvrir la porte aux « fantômes ». » Créée au Théâtre des Arts maintenant Théâtre Hébertot, en juin 1926, avec la volonté de «recoudre la vieille peau de la tragédie grecque pour la mettre au rythme de notre époque», la pièce préfigurait le surréalisme: «J’ai suivi la légende pas à pas et j’y ai ajouté quelques personnages: l’ange Heurtebise et la mort traitée dans le style des mystères du Moyen-Âge, un commissaire et un cheval blanc. »

Cette désinvolture affichée du “prince frivole“, la mise en scène la transmet avec légèreté et respecte l’esprit de l’écriture comme l’univers de la pièce. Car ce n’est pas l’histoire d’amour qui intéresse  le poète -ici les amants ne font pas très bon ménage- mais le voyage d’Orphée (son alter ego ?) aux Enfers, en forme de rêveries hallucinées. Comme ensuite dans ses films (Orphée 1950, Le Testament d’Orphée, 1959), le poète tutoie la mort et tourne cette tragédie en dérision. L’auteur se remet à peine de la disparition brutale de son jeune ami Raymond Radiguet emporté en 1923 par la typhoïde et trouve une consolation dans l’opium.

 L’ange gardien Heurtebise (évocation de Raymond Radiguet), déguisé en vitrier, lui donne les clefs de ce royaume : «  Je vous livre le secret des secrets. Les miroirs sont les portes par lesquelles la mort vient et va. Du reste, regardez-vous toute votre vie dans un miroir, et vous verrez la mort travailler, comme des abeilles dans une ruche de verre. »  Ainsi, passant et repassant à travers le miroir Orphée et Eurydice naviguent entre vie et mort, veille et sommeil…

 Un décor blanc, conçu par César Duminil, habille la petite scène : sur les parois, des dessins en trompe-l’œil stylisés à gros traits noirs figurent portes, fenêtres, bibliothèque. Les costumes,  un rien sophistiqués, se déclinent aussi dans les blancs. La mort ,princesse élégante aux  gants de caoutchouc magiques,  est suivie par deux anges habillés en infirmiers. Le spectacle prend en compte les effets spéciaux prévus par Jean Cocteau. Le cheval intervient ici derrière un écran et délivre un message codé à coups de sabot : M.E.R.D.E. :  traduction « Madame Eurydice Reviendra Des Enfers ».  L’ange reste suspendu dans les airs et la tête coupée d’Orphée, déchiqueté par les Bacchantes vengeresses, se met à parler…

Pour sa première mise en scène, César Duminil a rassemblé autour de lui de jeunes comédiens issus comme lui de l’école Raymond Acquaviva et nous entraîne en toute simplicité dans l’univers onirique du poète.

 Mireille Davidovici

 Jusqu’au 24 mars, Théâtre du Lucernaire, 53 rue Notre-Dame des Champs, Paris VI ème T. 01 45 44 52 34.

L’art du théâtre et De mes propres mains, textes et mise en scène de Pascal Rambert

©Giovanni Cittadini Cesi

©Giovanni Cittadini Cesi

L’art du théâtre et De mes propres mains, textes et mise en scène de Pascal Rambert

 De l’art du théâtre, on peut parler beaucoup sans toucher jamais au cœur de l’affaire, ou plutôt sans l’élucider. Il y a là un mystère que certains appellent foi, saut dans le vide, et d’autres : instinct. Oui, avec un partenaire, il faut se laisser faire sans rien lâcher pourtant de sa propre persévérance. C’est compliqué, mais il faut y aller. Au risque d’hésiter et d’avoir à recommencer… Pour en parler, Pascal Rambert a inventé un texte qui n’est pas un monologue; ici l’acteur (Arthur Nauzyciel) dialogue avec un chien: Elboy, un puissant saint-bernard noir, sorte d’ours très lourd et très doux -et aussi très odorant- mais qui n’a rien de cabot. Attentif à la parole de l’acteur à ses injonctions, quoiqu’il mette parfois un peu de mauvaise volonté quand il lui dit: «assis». Acteur sobre par excellence, le chien fait don de sa seule présence et contraint son partenaire à une égale simplicité. On assiste ainsi à l’expérience avec intérêt et empathie car sa présence rend l’homme à sa fragilité.

On apprend aussi qu’il n’y a rien à apprendre de l’Art du Théâtre, sinon qu’on ne sait pas pourquoi ni comment ça marche, instinct mis à part. Et que le monde est plein de jeunes filles désirant monter sur scène. L’auteur proclame en retour son appétence exclusive pour celles-ci (à l’exception de quelques garçons, jeunes aussi), avec les mêmes yeux qu’au temps, plus si proche, où il s’est lancé dans le théâtre, précisément pour rencontrer des filles. Secret de jouvence dont certains hommes ne peuvent se passer : on a déjà entendu ça du côté d’un certain Y.M…, écrivain mondain dont l’addiction a fait le tour des réseaux sociaux. Bon, mais ici rien de grave : Pascal Rambert qualifie ce texte de bouffon.

De mes propres mains, un monologue plus ancien et incontestablement noir, est un brillant exercice sur la folie, et sur le destin d’une arme à feu qui doit être déposée ou non chez la crémière pour qu’un cousin vienne la prendre: une sombre affaire entremêlée de terribles fantasmes de guerres et génocides. Arthur Nauzyciel  le dit avec une concentration et une précision parfaites, mettant en pratique les propos du premier texte pour n’être pas un acteur ordinaire. On ne perd pas un mot, pas un souffle de cette voix. Pascal Rambert a eu la bonne idée de faire traverser le plateau par un homme de ménage qui efface, d’un geste régulier et absent, des traces que nous ne voyons pas. C’est dire la solitude de chacun, de celui qui parle et son enfermement dans une folie envahissante. De fait, l’acteur ne s’adresse pas à nous mais il travaille sous nos yeux le rythme et la clarté de ce sombre texte. Il ne s’agit ni des tréfonds humains ni de psychologie mais de la sauvagerie et de la logique des mots. Mais au bout d’un certain temps, on se dit que, décidément, cela ne nous regarde pas…

Christine Friedel

Théâtre du Rond-Point 2 bis avenue Franklin-Roosevelt, Paris VIII èùme jusqu’au 3 mars. T. : 01 44 95 98 21

123456

DAROU L ISLAM |
ENSEMBLE ET DROIT |
Faut-il considérer internet... |
Unblog.fr | Annuaire | Signaler un abus | Le blogue a Voliere
| Cévennes : Chantiers 2013
| Centenaire de l'Ecole Privé...