The End of reality de Richard Maxwell, mise en scène de Marie-José Malis
The End of reality de Richard Maxwell, mise en scène de Marie-José Malis
L’affaire se joue dans une agence de sécurité : mot inscrit sur les vestes et les casquettes. Des écrans palpitent vaguement, un jeune homme fasse des pompes et travaille ses abdominaux, il se passe peu de choses entre les deux hommes présents mais il y a ici en effet, une sorte d’insécurité permanente. Une candidate au métier se fait plier au premier combat et dit sa peur, une autre viendra plus tard nous offrir un beau discours d’amour : « C’est beau », dira-t-elle, en direction du public… Peu d’événements ou plutôt ce qui serait central dans un autre type de théâtre : l’enlèvement d’un homme dans l’agence de sécurité, le départ tranquille d’un prisonnier après un long moment de patience sont ici presque «passés à l’as». Au milieu d’autres événements purement théâtraux tels que le passage d’un rideau, ou aléatoires comme le vol de deux pigeons dans la cage de scène, venant boire au lavabo, et rejouant les colombes d’une célèbre mosaïque ancienne. Il est question d’un quartier qui change, de Dieu (beaucoup), et d’un rêve de cinéma : une occasion de mettre le théâtre dans le théâtre (conseil pour un casting : «Ne jouez pas») dans l’Amérique de Richard Maxwell.
« Il semble, dit Marie-José Malis, qu’il ne se passe rien d’autre que le cours plat des conversations non filtrées, dans la matière du monde réel, de la culture populaire globalisée etc. et là-dedans se manifestent en continu des micro événements, des levées de la grâce : telle justesse d’énonciation, telle délicatesse de pensée, telle immensité du sentiment. »
On ne saurait mieux dire. Le dossier remis au spectateur de The End of reality est réellement un programme, annoncé et tenu. Marie-José Malis donne toutes les clés de son travail sur le texte et dans son théâtre, avec une scène soutenue par des étais de bois pour en montrer la fragilité, et des chaises en plastique pour le public, signe de précarité et de modestie. Sans doute sont-elles là aussi pour notre inconfort: le théâtre se doit d’être émotionnellement, intellectuellement inconfortable. Il l’est ici.
On recevra avec le sourire, ce discours bien senti contre la bourgeoisie de gauche, très «dame d’œuvres» qui se pince le nez et appelle la police quand il y a un clochard devant sa porte. On sera attentif et en attente, devinant, même avant d’avoir lu le programme, que quelque chose d’important est en jeu. On aimera qu’à un moment, un acteur vienne rompre la fiction en apportant un coussin au «prisonnier» assis depuis trop longtemps sur une marche en bois. On espérera que ce soit la fin, quand s’ébauche, après des allusions à différents genres de divertissement dont le film noir, une petite « chorus line » de cabaret. Et puis on se sentira coupable de ne pas entendre dans ce spectacle la voix des sans-voix, ni une «écriture aux opérations secrètes : oralité, minimalisme et en même temps fidélité au symbolisme américain, légers décrochés surréalistes ou oniriques, humour, etc. »
La troupe du Théâtre de la Commune et les garçons de l’École des actes font exactement ce qu’ils ont à faire : remplir le cahier des charges mentionné dans le programme, c’est-à-dire déblayer le théâtre de ce qui ne serait pas une parole «commune», au double sens du terme. Ils prennent le temps de réfléchir entre les mots, de les faire résonner, ce qui fonctionnait très bien avec Pirandello, mais qui, ici, ne leste pas le langage, au contraire. Il s’émiette, se défait : the end of the reality? Le public est patient (le spectacle dure trois heures!) et prend acte de la présence des acteurs, même quand cela n’y arrive pas. Et voilà.
Globalement, la rencontre n’a donc pas lieu. Quand on étudie les signes, on s’amuse à voir avec quel écart, deux points et un trait sont lus comme un visage humain, et, avec quel autre écart, ils ne forment plus alors aucune figure lisible. On se trouve sans doute de ce côté-là. Un théâtre mini-MALISTE…. Est-ce illégitime de demander que le spectacle lui-même nous en dise plus que le programme ? Quand même ! (c’était aussi la devise de Sarah Bernhardt, reine d’un tout autre et ancien théâtre).
Christine Friedel
Théâtre de la Commune, 2 rue Edouard Poisson, Aubervilliers (Seine-Saint-Denis) jusqu’au 22 février. T. :01 48 33 16 16.