Après la fin de Dennis Kelly, mise en scène de Baptiste Guiton

© Michel Cavalca

© Michel Cavalca

 

Après la fin de Dennis Kelly, traduction de Pearl Manifold et Olivier Werner, mise en scène de Baptiste Guiton

Un homme et une femme enfermés dans un abri souterrain : « un récit de naufrage  dit le metteur en scène. La pièce de Dennis Kelly, dont on a pu apprécier les textes ancrés sur des questions sociétales comme L’Abattage rituel de Gorge Mastromas (voir Le Théâtre du blog ) offre ici un formidable huis-clos pour deux acteurs. Mark a sauvé Louise d’une prétendue explosion nucléaire par des terroristes et l’a transportée, inconsciente, dans un abri souterrain attenant à son appartement. Le chaos règne au dehors et ils ont seulement quelques jours de vivres. Leur amitié de longue date s’avère insuffisante pour empêcher Mark d’exercer un chantage sur Louise qui refuse d’entrer dans son jeu et de partager ses fantasmes complotistes. La violence se fait jour entre les pulsions amoureuses et les idées d’extrême-droite de Mark, et l’éthique inflexible de Louise. 

Cette  pièce en trois mouvements titrés: Début  Milieu, Fin,  suivis d’un épilogue : Après la fin,  analyse au microscope les réactions de ce garçon et de cette jeune femme pris au piège : Mark, immature, veut dicter sa loi mais Louise résiste tant qu’elle peut mais, volontairement affamée par lui, passe à l’offensive.  Plus rusée, elle avait le dessus mais les rapports de force s’inverseront car elle est incapable de cruauté…

La scénographie -l’ossature d’un souterrain- ne donne pas l’impression oppressive d’un enfermement mais la création sonore de Sébastien Quencez accompagne avec justesse la montée progressive de la tension entre les protagonistes. Le metteur en scène a demandé aux comédiens un jeu très physique, à couteaux tirés. Tiphaine Rabaud-Fournier incarne une Louise inflexible qui sait se faire animale et reptile, et se révèle aussi, émouvante et fragile, dans le très bel épilogue, une scène déchirante et apaisée que nous réserve l’auteur britannique. Thomas Rortais colle à son rôle de jeune homme immature avec parfois un rien de forcé dans son  jeu.

Cette mise en scène, à l’arrache, laisse peu de place à l’humour noir du texte, mais ce spectacle d’une heure vingt de Baptiste Guiton, en résidence de création au T.N.P. dans le cadre du cycle Formation et de transmission est soigné,  et saisit le public par son rythme haletant. 

 Mireille Davidovici

Jusqu’au 21 février, Théâtre National Populaire, 8 place Lazare Goujon, Villeurbanne (Rhône). T. : 04 78 03 30 00.

La pièce est publiée à L’Arche éditeur.


Archive pour février, 2019

Frontière Nord de Suzanne Lebeau, mise en scène de Cécile Atlan

Frontière Nord de Suzanne Lebeau, mise en scène de Cécile Atlan

imageL’auteure, comme on l’écrit depuis vingt-cinq ans au Québec, l’autrice comme on se plaît à le dire en France désormais, est Suzanne Lebeau.  Personnalité d’une exigence rare quant à ce qui peut et doit se dire à l’enfance, elle a réussi à aborder les  thèmes les plus durs, en trouvant les formes les plus appropriées pour un public qu’elle sait exigeant. Comme l’abandon, la pauvreté, les violences familiales l’apanage de toutes les sociétés  envers les plus petits mais aussi plus récemment dans une famille aimante, la mort d’un enfant … Elle les aborde avec précision, distance, affection et ne passe rien au réel, mais fait en sorte de nommer les choses, aussi dures soient-elles, car elle sait que les mots sont les alliés des enfants.

Frontière Nord fait partie des textes issus de l’expérience mexicaine de Suzanne Lebeau. Depuis presque vingt ans, la compagnie qu’elle anime avec Gervais Gaudrault, a présenté L’Ogrelet, Une Lune entre deux maisons, etc. et l’autrice a vu plusieurs de ses textes créés par des compagnies locales. Au Mexique, Suzanne Lebeau a connu l’exploitation sauvage de femmes dont beaucoup disparaissent et a fait l’expérience de ce qui se passe à la frontière avec les Etats-Unis. Cette pièce est donc marquée par ce pays et tout particulièrement par le sort des classes les plus pauvres dont les hommes sont partis au Nord pour travailler, envoyer de l’argent mais qui, la plupart du temps, n’en reviennent pas. Ou alors brisés.

La pièce -peut-être prémonitoire? – commence avec la construction d’un mur. Les enfants croient qu’il s’agit d’un stade de football qu’on leur offre enfin. Les mères, elles, savent de quoi il retourne : les hommes ne pourront alors plus jamais revenir ! Cécile Atlan a choisi de monter ce texte, écrit comme un oratorio dont les voix devraient fuser vers nous en un chœur collectif et en a fait une tragi-comédie portée par un groupe de jeunes acteurs qu’elle fait s’agiter en tous sens, crier, pleurer, cavaler, sans doute pour figurer des adolescents… Mais doit-elle le signifier de cette manière?  Pour établir une sorte d’universalisme mou, elle les attifés de costumes évoquant à la fois tous les pays et toutes les époques. Et le groupe des mères sommées d’évoquer l’éternelle maternité, portent, robe longue, dentelles et fichu sur la tête…

Quant à la musique du trio à cordes Zéphyr qu’on écoute avec plaisir, elle n’assume aucun rôle: totalement occidentale, elle contribue à noyer un peu plus le poisson. Où sommes-nous ? De quoi parle-t-on ? Pourquoi cette agitation habillée en chorégraphie hasardeuse ? Cécile Atlan, en fait, n’a pas de point de vue, et n’a même pas déplacé la pièce dans son propre univers.  Elle a pris soin d’éviter toute forme de radicalité, pourtant empreinte à chaque ligne du texte, pour faire un travail à visée compassionnelle, à l’opposé du projet artistique et politique de l’autrice.

Nous assistons donc médusés, à une série de tableaux agités dans un espace scénique sans poésie aucune, la metteuse en scène s’étant fait vaguement chorégraphe. Il est assez rare qu’un spectacle passe autant à côté de son sujet, au point d’en dénaturer le style et le propos, et même d’une certaine façon, la morale. Il n’y aura pas lieu de s’étendre et un critique peut s’abstenir d’enfoncer une réalisation médiocre mais il ne peut se taire face à la trahison pure et simple d’une autrice. On peut aussi éprouver aussi une certaine incompréhension devant cette  réalisation  programmée par le Théâtre du Soleil. Suffit-il qu’un groupe d’acteurs se présente comme une «troupe», appellation si chère à Ariane Mnouchkine, pour se voir accueillir dans ce lieu si amical et si recherché ?

Marie-Agnès Sevestre

Théâtre du Soleil, Cartoucherie de Vincennes, route du Champ de manœuvre, Vincennes (Val-de-Marne) jusqu’au 24 février.
Le texte de la pièce est publié aux Éditions Théâtrales Jeunesse

Singulis/Hamlet, à part Shakespeare, conception de Loïc Corbery

Singulis/Hamlet (à part Shakespeare), conception de Loïc Corbery

Crédit photo : Christophe Raynaud de Lage

Crédit photo : Christophe Raynaud de Lage

Hamlet, un des rares héros littéraires à vivre au-delà du texte, et même du théâtre. Son nom a une signification pour ceux qui n’ont jamais vu ou lu la célèbre pièce. Selon Jan Kott, dans son fameux Shakespeare, notre contemporain, il est semblable à la Mona Lisa de Léonard de Vinci: bien avant d’avoir vu le tableau, on sait déjà que la Joconde sourit, mais pourquoi depuis si longtemps? «Un Hamlet parfait serait tout à la fois le Hamlet le plus shakespearien et le plus contemporain». Ce qui revient sur un plateau à donner vie à une angoisse contemporaine. On s’apprête à voir un jeune homme mélancolique à la tristesse insondable et qui se pose des questions sur la vie, l’amour, la vengeance, le pouvoir, la famille, la mort et le crime. A Pristina dans le Kosovo libéré, jouer Hamlet suscitait des échos manifestes au désir de liberté et vengeance contre l’oppresseur. Loïc Corbery, jeune acteur de la Comédie-Française, s’est emparé de cette matière shakespearienne, avec commentaires, scènes racontées, mimées, inventées  ou inspirées d’Hamlet et enrichies de lectures et musiques personnelles. L’acteur explore la forme d’écriture qu’offre le montage, selon la vision intime d’Hamlet ancien étudiant -comme aussi Horatio, Rosencratz et Guildenstern-  qui a fait ses études à l’université de Wittemberg (Saxe). Passionné de littérature, sciences, théâtre, cinéma, escrime, il écoute ACDC, Daft Punk et apprend que son père, roi du Danemark, etc.

A sa table de travail où trône un lourd magnétophone, il réécoute un texte philosophique sur le sens de la vie, avec, entre autres figures tutélaires, Sarah Bernhardt évoquant  dans L’Art du théâtre son inclination à jouer des rôles d’hommes plutôt que de femmes. Les disques vinyle se succèdent, extraits d’une boîte en carton, flamboyants encore dans leur pochette colorée surannée, avec entre autres, le visage de Marlon Brando dans Le Parrain, musique de Nino Rota. Il y a aussi des cassettes, des quotidiens avec, à la une, la mort de Coluche et celle de François Mitterrand. S’exprime ici le sentiment d’être peu de chose face à la mort. La même solitude habite le personnage de théâtre comme l’acteur. Hamlet, seul avec son deuil, rencontre le spectre de son père sur les remparts d’Elseneur, lequel lui apprend qu’il a été assassiné par son frère Claudius et oncle d’Hamlet.

Mort qu’un traître a donnée, mort subie, mort qu’on inflige en échange de sa peine… Loïc Corbery/Hamlet prend un journal et le serre pour en faire une épée ou une dague dans un duel, prêt à tuer et… finissant par tuer. Une mort prémonitoire: Ophélie et Hamlet perdront la vie, tentés par le suicide, dans un dur combat pour la vérité. La mort encore, quand il regarde le crâne de Yorick, le fou du roi, avec un journal froissé en boule pour signifier une tête pensante, et qu’il jette au loin… La pièce traite du seul théâtre, puisque la scène est l’endroit où l’on dit vraiment, où l’on est vraiment. Ou la réalité d’un meurtre sur le plateau, via la pantomime de comédiens en compagnie d’un acteur qui se cache derrière un personnage.

Les textes liés au mythe d’Hamlet résonnent, dont l’éloge du père avec le suggestif Après la bataille de Victor Hugo ou «ce héros au sourire si doux» qui intime à un hussard de donner tout de même à boire à un «Espagnol de l’armée en déroute»lequel blessé  a essayé de tuer ce père. Est évoqué aussi la figure paternelle du Hamlet-machine d’Heiner Muller avec un poignant souvenir de son enfance : «1933, le 31 janvier à quatre heures du matin, mon père, fonctionnaire du parti social-démocrate d’Allemagne, fut arrêté dans son lit. Je m’éveillai, le ciel devant la fenêtre, noir, bruit de voix, de pas. A côté, on jeta des livres par terre…» Résonne ici la lutte contre le pouvoir autoritaire, la trahison, l’usurpation, l’oubli des siens et du passé, la tentation de la folie. Une marche pour la vérité de Loïc Corbery, que tient une solide et belle culture: l’apanage de tout acteur qui s’interroge sur lui-même.

Véronique Hotte

Studio-Théâtre de la Comédie-Française, Galerie du Carrousel, Paris I er, jusqu’ au 24 février. T. : 01 44 58 15 15.

Matin et soir, d’après Jon Fosse, traduction de Terje Sinding, mise en scène d’Antoine Caubet

 

Matin et soir, d’après Jon Fosse, traduction de Terje Sinding, mise en scène d’Antoine Caubet

© Hervé Bellamy

© Hervé Bellamy

Chose étrange que naître dans le rouge translucide du ventre maternel, remué de bruits liquides, puis se heurter dans un grand cri à la brutalité de l’air. Pierre Baux réussit à faire ce geste prodigieux, se déplier comme du bourgeon à la feuille, jusqu’à se tenir debout, le souffle collé à la respiration du violoncelle de Vincent Courtois. (La musique est enregistrée, à l’exception de deux représentations en direct, ces samedi 9 et dimanche 10 février).

Dans le récit de Jon Fosse, la naissance et la mort se rejoignent : tout homme né, mourra: c’est très simple. On comprend qu’entre temps, Johannes a eu une vie laborieuse et  plutôt heureuse avec femme et enfants  et qu’est venu pour lui  le temps de se reposer. On imagine sa vie de pêcheur quand survient sans bruit, son ami Peter (Antoine Caubet). Il est question de moments ordinaires de la vie : pêcher des crabes, se couper les cheveux, mais quelque chose résiste : Peter est là, et n’est pas là… Déjà au pays des morts, il a repris l’apparence d’un corps pour pouvoir accompagner Johannes de l’autre côté de la mer houleuse, plus loin qu’il n’a jamais été, sur l’autre rive où «il n’y a plus de mots».

Jon Fosse parle de la mort avec respect, on pourrait dire avec amour : le passage se ferait en douceur, dans l’hésitation et le doute, mais aussi en confiance. Même sentiment dans la perte : Signe, la fille de Johannes (Marie Ripoll), s’inquiète, le croise mais «passe à travers» son corps et finit par le trouver mort dans son alcôve. Mais sans cris ni larmes : elle accompagne son départ de paroles paisibles. Étrangement, cette pièce où Jon affronte la mort en direct, est moins noire que dans la plupart de ses autres pièces où il l’évoque avec craintes et tourments.

Antoine Caubet a installé le récit dans une scénographie simplissime et parfaite : un écran où se mêlent les couleurs changeantes qui accompagnent la naissance et la mort, un plateau incliné -la vie n’est pas facile- et un fond d’eau dont le clapotis évoque, plus que la vie des pêcheurs, les lents fleuves des Enfers comme l’imaginaient les Grecs de l’Antiquité. L’accord entre musique et jeu est de la même eau, si l’on ose dire : limpide et profond.

Avec une grande qualité du jeu : qui a entendu Antoine Caubet prononcer dans Le Roi Lear les dernières paroles de Cordélia mourante, comprendra de quelle délicatesse est capable ce colosse.  Comme Pierre Baux, parfait  lui aussi: inquiet mais quand même serein, intérieur et disponible, précis sans être démonstratif… Et Marie Rippoll apporte, avec la même délicatesse, la part de la vie et de la jeunesse.

Que demander de plus ? Il faut oser s’offrir ce moment de grâce et assister au récit de ce passage dont nous ne saurons rien -il n’existe pas d’expérience de sa propre mort- mais que Jon Fosse imagine pour nous et que ces acteurs habitent avec économie et justesse.

Christine Friedel

Jusqu’au 24 février, Théâtre de l’Aquarium, route du Champ de Manœuvre, Cartoucherie de Vincennes (Val-de-Marne) jusqu’au 24 février. T. : 01 43 74 99 61.

 

Rabbit Hole de David Lindsay-Abaire, mise en scène de Claudia Stavisky

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Rabbit Hole de David Lindsay-Abaire, mise en scène de Claudia Stavisky

Jacques-Antoine Granjon, le fondateur de vente-privee.com (deux milliards d’€ de chiffres d’affaires en 2015 et quelque 2. 800 collaborateurs) s’était offert le Théâtre de Paris il y a presque six ans avec le producteur Richard Caillat et le metteur en scène Stéphane Hillel. Puis en 2016, le Théâtre de la Michodière, toujours avec ces deux complices et enfin, le Théâtres des Bouffes Parisiens. Inauguré par Jacques Offenbach, le lieu est dirigé maintenant par Dominique Dumond. On a pu y voir récemment Acting, une pièce de Xavier Durringer avec Kad Merad et Niels Arestrup, un spectacle de Michel Drucker, Seul avec vous. Bref, c’est le vieux coup du théâtre privé : un endroit bien chauffé avec moquette rouge, candélabres, ouvreurs habillés de noir et places chères (on reste entre soi). Et qu’importe le texte, il y a dans la distribution au moins un nom du cinéma et de la télé pour attirer un public bourgeois ravi de voir en vrai des acteurs de cinéma et/ou de la télévision. Et  ici, on annonce honnêtement la couleur: “A l’affiche du Théâtre des Bouffes Parisiens, découvrez Julie Gayet dans Rabbit Hole.» Actrice et productrice de cinéma et, dit-on, amie très proche de notre ex-président de la République… Est-ce pour la pièce, ou pour elle, jouant, bien sûr, le rôle principal, que le public est censé venir ici ? Devinez…

L’œuvre de l’auteur américain bien connu (il a reçu de nombreux prix dont le Putlizer) a été créée à Broadway puis fut adaptée au cinéma par Cameron Mitchell en 2010. Elle a été créée en France au Théâtre des Célestins à Lyon, il y a un an. Cela se passe dans la spacieuse cuisine-salle à manger-salon d’une belle maison avec grand frigo inox brossé, long plan de travail en bois, avec four intégré, évier où l’eau coule, grand canapé: on n’a pas lésiné sur les moyens et tout ici est réaliste. Il y a huit mois, un couple a perdu son petit garçon de quatre ans, fauché par une voiture sur la route, alors qu’il courait après leur chien qui courait après un écureuil. Howard (Patrick Catalifo) et Becky (Julie Gayet) essayent de lutter conte le désespoir et semblent se réfugier dans leur belle maison où ils ont vécu heureux comme dans un trou de lapin. Pourquoi, au fait, ce titre gardé en anglais? Pour faire mode? Alors qu’ils sont entourés d’amis qui ne savent comment leur parler, ces parents ligotés tous les deux par leur  grand malheur, en arrivent quand même assez vite aux petits conflits permanents et sont à la limite de la séparation. Il y a aussi celui qui est en partie responsable de l’accident de leur fils (Renan Prévot), un lycéen qui veut absolument les rencontrer… Mais Howard refus la moindre entrevue. Quelque chose va alors se casser dans les relations entre Beccky et son mari: elle n’a plus envie d’Howie et lui, malgré les évidences, nie avoir une amie devant Izzy, la sœur de Becky (Lolita Chammah).

Et puis, il y a toujours bien là, comme menaçante, la chambre de Dany avec son lit, ses dessins et ses peluches. Pour fuir ce passé encombrant, ils veulent alors vendre la maison mais Izzy fait remarquer que les acquéreurs ne vont pas se bousculer quand ils la visiteront et qu’ils apprendront que leur enfant est mort. Becky a aussi bien du mal à supporter Nat, sa mère (Christiane Cohendy) elle aussi restée inconsolable d’avoir perdu autrefois son petit garçon et récemment son petit-fils… Elle et Izzy sont toutes les deux un peu envahissantes, ce que Becky supporte de moins en moins bien. Pour arranger les choses, Izzy, enceinte, ne sait pas comment l’annoncer à sa sœur, alors qu’elle l’a déjà dit à leur mère. Et elle semble être un peu amoureuse d’Howie… Becky, elle, va se rapprocher du lycéen qui conduisait la voiture, même s’il lui avoue avoir dépassé la limite de vitesse autorisée et avoir eu un petit coup dans le nez. Plus paisible, elle accepte alors de lire la nouvelle qu’il a écrite… A la fin, elle semble alors avoir du moins en partie fait son deuil et veut retrouver son mari. Ils ne vendront plus la maison qui a vu à la fois leur bonheur et le plus grand malheur qui puise arriver à des parents et, après cette douloureuse parenthèse, continueront malgré tout à s’aimer. Vous avez dit: une fin heureuse comme on dit aussi en anglais?

Et cela donne quoi dans cette adaptation de Marc Lesage, auteur et scénariste français? Il y a quelques bons moments teintés d’humour quand Nat, la mère revient en boucle sur la malédiction qui frappe la famille  Kennedy. Ou quand la famille fête l’anniversaire d’Izzy avec un cadeau, un rideau de douche foutraque… Cette petite comédie qui frise le pathos et la pleurnicherie,  a aussi parfois de légers airs de la fameuse Qui a peur de Virgina Woolf? d’Edward Albee. Mais des airs seulement, comme si l’auteur ne voulait surtout ne mécontenter personne. Et très vite, sa pièce, déjà bavarde, devient longuette: ces petites histoires ne nous concernent pas. Heureusement, Claudia Stavisky a très bien dirigé ses acteurs qui, malgré l’insignifiance des dialogues, sont tous très justes. Mention spéciale à Christiane Cohendy que l’on a vue dans tant de beaux spectacles; elle est ici remarquable dans ce personnage de mère un peu envahissante. Cette grande actrice réussit le prodige de mettre des nuances dans un dialogue d’une rare platitude. Et Julie Gayet est tout aussi très solide, crédible avec un jeu sobre et précis. Mais, bizarrement, l’émotion ne perce jamais mais comment y arriver avec un pareil texte?  Et les acteurs ont bien du mérite de l’interpréter, soir après soir…

Côté mise en scène, c’est un peu plan-plan et Claudia Stavisky aurait pu accélérer le rythme de cette comédie des plus minces et nous épargner ces marquages du temps avec en projection:  » Le soir », « Deux mois plus tard », etc. et des séquences vidéo assez faciles sur un gigantesque écran (les murs de la maison) avec des arbres en fleurs roses au début, et les images de vacances ensoleillées près d’une piscine avec un merveilleux enfant et ses parents. Ou encore le petit garçon en ombre chinoise courant avec son chien: tirez vos mouchoirs…Tout cela pèse des tonnes et ces images réalistes semblent servir de béquille à ces pauvres dialogues qui n’arrivent pas à s’imposer… On va encore jouer les vieux cons mais la comparaison est rude quand on relit Marivaux, Regnard, Labiche, Beckett, etc.

Et on ne comprend pas bien pourquoi ce décor signé Alexandre De Dardel se déstructure,  et dont on ne voit plus à la fin que l’ossature en bois. On est aussi  surpris que la metteuse en scène n’ait pas  fait de sérieuses coupes dans un texte estouffadou qui n’a rien de très passionnant et c’est un euphémisme! L’auteur a beau introduire de temps en temps un petit élément nouveau pour piquer l’attention du public, sa pièce fait le plus souvent du sur-place, n’arrive pas à décoller et il n’y a aucun sous-texte. Tout le monde n’est pas Tchekhov! D’autant plus que la chose dure une heure quarante et n’en finit plus de finir. On ne voit pas très bien pourquoi Claudia Stavisky a voulu monter ce grandissime chef-d’œuvre… Et il n’y a aucune bonne raison pour vous le recommander, surtout à plus de cinquante et quarante € les bonnes places… Et le public ? Pas de la première jeunesse et assez passif, il ne semblait quand même pas dupe de cette pacotille américaine; il a applaudi, (il est toujours poli, le public bourgeois) mais mollement et pas longtemps… On le comprend!

Philippe du Vignal

Théâtre des Bouffes Parisiens, 4, rue Monsigny, Paris II ème. T. : 01.42.96.92.42 /44.

 

Yes Godot, mise en scène d’Anas Abdul Samad

Yes Godot, mise en scène d’Anas Abdul Samad

47600199-E6F0-4176-BD62-3413745B5FDBAnas Abdul Samad vit et travaille à Bagdad. Il monte des spectacles habités comme beaucoup d’autres dans cette ville par les guerres successives et les embargos qui, depuis plusieurs décennies, ont meurtri l’Irak. Son théâtre sans aucune parole n’a jamais été montré en Occident et Yes Godot est un spectacle muet des plus surprenants,  conçu d’après Samuel Beckett,  à la suite du désastre infligé à son pays par l’armée américaine.

Sur un écran, des images d’avions de combat qui volent, et sur le plateau, des marionnettes manipulées par des hommes voilés qui parfois se roulent par terre. On en aperçoit un la corde au cou qui avance en rythme à petits pas. Celui qui est assis, traverse des immeubles, chaussures à la main. L’autre, casqué, s’assied, le premier prend un bâton en faisant mine de frapper les maisons. Il se saisit d’un mannequin, le caresse et le cache sous son pull. On aperçoit au fond du plateau en projection le visage de Samuel Beckett que l’on admoneste : « Voleur, voleur ! »

Une grande cage se balance, on entend des messages hurlés et troublés. Lucky apparaît courbé, portant des sacs et  tombe avec sa radio, met sa tête dans une cage. On voit une envolée de papiers et Samuel Beckett pleure. Ils se bâillonnent et piétinent les boîtes étalées sur le plateau que nous avions pris pour des maquettes d’immeubles dans la pénombre. Au fond du plateau, Lucky trouve une valise et une botte de carottes qu’il dépose sur Estragon couché.  Dans un film sur une musique lancinante, du  sang coule. Une interprétation maîtrisée de ces trois hommes-marionnettes (Mohamed Omar Ayoub, Anas Abdul Samad et Sadiq al-Zaïdi). Cette violence muette prend sa source dans l’invasion américaine en 2.003 et dans les guerres civiles qui s’en sont suivies…

Edith Rappoport

Spectacle vu au Théâtre Paul Eluard, 4 avenue de Villeneuve-Saint-Georges, Choisy-le-Roi (Val-de-Marne) le 5 février.

 

Dau, conception d’Ilya Khrzhanovsky

 

DAU, conception d’Ilya Khrzhanovsky, (en russe, doublé en français et en anglais)

IMG_7995Avant même son installation dans les deux théâtres de la Ville de Paris encore en travaux et au Centre Georges Pompidou, DAU (prononcer DAO) a été l’objet d’une polémique dans les médias, quant à son organisation et à son contenu. Mais la montagne accouche d’une souris malade. Au Théâtre de la Ville, on tombe dès l’entrée sur un magasin de produits estampillés soviétiques. Entre autres : une tasse ou un plat en fer blanc : 9 € ; le journal de DAU : 6,50 €, le livre  DAU Châtelet : 38 € et une fourche, très utile en ce temps de revendications: 20 €. Des vestes (100 €) et des sacs (45 €), provenant d’un stock de l’armée soviétique.

On nous invite donc à nous immerger dans le monde soviétique de 1938 à 1968 et dans l’univers où travailla Lev Davidovitch Landau (1908-1968), surnommé Dau, prix Nobel de physique 1962, notamment pour ses travaux sur le comportement de la matière à basse température. Là, durant un parcours censé être personnalisé, nous pouvons visionner des films en cabine ou sur grand écran, tournés par Ilya Khrzhanovsky et doublés par des stars comme Isabelle Huppert, Gérard Depardieu… Au programme aussi, des rencontres artistiques ou des expériences personnelles…Financée par Sergueï Adoniev, mécène de la culture dans son pays, cette vaste entreprise aurait pu s’inscrire en faux contre la russophobie actuelle mais le résultat n’est pas à la hauteur des ambitions. Cette événement en première mondiale à Paris a lieu sous l’égide de la Canadienne Martine d’Anglejan-Chatillon, productrice exécutive et à l’initiative de Ruth Mackenzie, directrice artistique du Théâtre du Châtelet. Ce théâtre a investi 150.000 € dans cette aventure, sur la dotation annuelle de quinze millions accordée par la Ville de Paris. Les treize films ont été tournés en Ukraine (sept cent heures de rushes), à l’Institut de physique quantique qui a été reconstruit pour l’occasion, avec des invités participant bénévolement à ce voyage dans le temps. Et chacun a gardé son nom et sa fonction sociale dans une sorte de loft où on imposait des règles strictes. En cas de non-respect, il avait une punition! Dans ces films de qualité médiocre, on reconnaît de nombreux artistes qui ne jouent pas leur propre personnage mais des rôles comme l’acteur, chef d’orchestre et musicien gréco-russe. Teodor Currentzis (Lev Landau), la danseuse Maria Abashova ou le metteur en scène de théâtre bien connu en France Anatoli Vassiliev : comment s’y retrouver dans ce méli-mélo ? Autre question, soulevée par ces films: les punitions, souvent sexuelles qui traumatisent les spectateurs, malgré ce qu’on nous a dit à propos du viol de Natasha: «Elle est maîtresse de ce qu’elle fait». La Russie soviétique, ici, se résume au sexe (une pornographie racoleuse) et à la consommation d’alcool quasi-permanente. Quant aux autres manifestations artistiques, avec Mikhaïl Rudy, un pianiste français d’origine russe, Brian Eno, ou Edna Stern, une pianiste israélo-belge, difficile de se faire une idée de l’heure exacte de leur programmation, car personne pour nous informer, alors que l’on déambule de longues heures dans les lieux. Les appartements de l’époque soviétique, soit disant reconstitués au dernier étage du Théâtre de la Ville, ressemblent plus à une grande brocante. Des mots prétentieux sont affichés sur les murs intérieurs du Châtelet : Sadism/Performance/ Hysteria… Le tout condensable en deux noms : propagande et provocation.

Une déambulation qui n’a rien de novateur; de grandes troupes de théâtre, notamment de rue, ont pratiqué ce type d’immersion entre fiction et réel. (voir ci-dessous le texte de Jacques Livchine). Ce DAU, à la fois ambitieux et racoleur, ne vaut pas le déplacement.  Nous retiendrons la beauté des lieux en travaux comme la salle du Théâtre de la Ville presque vide ou la cage de scène du Châtelet, avec une « installation »: quelque dizaines de fils pendouillant, et la terrasse magique où l’on peut écouter un extrait du Concerto pour violon de Tchaïkovski et admirer la Victoire en bronze doré du sculpteur Louis-Simon Boizot (1743-1809) au sommet de la fontaine, dite du Palmier, édifiée sur la place du Châtelet et commandée par Napoléon à son retour d’Egypte.  

 Jean Couturier

 Munie d’un visa difficilement obtenu sur le site de DAU où il faut d’abord répondre à vingt-deux questions sur sa vie sexuelle, sa petite enfance ou sa probité morale, nous voilà immergée dans le labyrinthe des couloirs, sous-sols et escaliers des théâtres jumeaux de la place du Châtelet. Ici point de guide, ni de cohérence comme cela l’était dans les parcours théâtraux créés jadis par Klaus Michael Grüber pour son Faust-Salpêtrière (1975) dans la grande chapelle de l’hôpital de la Pitié, ou par André Engel pour Hôtel moderne (1979), un voyage organisé dans l’univers de Franz Kafka (La Colonie pénitentiaire) avec de petites chambres d’hôtel individuelles reconstituées dans un ex-bâtiment administratif à Strasbourg. Loin aussi des installations mémorielles de Berlin, comme le Palais des Larmes, l’ancienne salle des pas-perdus à la gare de Friedrich Strasse où des familles déchirées se disaient adieu après la partition de l’Allemagne. Rien à voir non plus avec une belle exposition dans une ancienne brasserie transformée en complexe culturel où était retracée la vie quotidienne en Allemagne de l’Est. La ville de Berlin a d’ailleurs rejeté en partie le projet DAU : Ilya Khrzhanovsky voulait faire reconstruire un pan du Mur de sinistre mémoire!

Touristes au pays des Soviets, nous avons donc du mal à nous repérer malgré un plan soigneusement imprimé: le fléchage s’avère ne correspondre à rien malgré les mots ronflants inscrits en anglais sur les murs : Guerre, Histoire, Hystérie, Rejet, Corps, Animal, Maternité… Les  nombreux ouvreuses et ouvreurs ne peuvent donner plus de précisions sur les films projetés comportant des images violentes de beuverie et de baise, quand le scénario ne s’enlise pas dans des bavardages sans intérêt, saupoudrés de considérations existentielles. Dans l’une des cabines qui accueillent, un à un, les spectateurs, pour un tête-à-tête avec un intervenant recruté pour l’occasion, on peut apprendre que le public est composé de «bobos», et qu’on est «loin des gilets jaunes » ( sic).  Dans les couloirs, on entend toutes sortes de langues », précise l’ intermittent du spectacle qui me reçoit; il est là, dit-il , «pour nous tirer les vers du nez, recueillir nos impressions, nous sonder. »

L’entretien devrait être filmé mais dans la cabine, point de caméra : on respire!  Selon lui, les intervenants dans les cabines voisines sont des psychologues, avocats, comédiens, recrutés par réseau et à la suite d’entretiens très intimes (avec des questions du même genre que celles posées pour l’obtention du visa). Ils ne seraient même pas venus pour l’appât du gain -le salaire est minime- mais par curiosité. Même motivation pour le public: deux amies, arrivées spécialement de Moscou pour le week-end,  avouent avoir été attirées par la nouveauté : «On n’est pas prêt de voir des choses comme ça chez nous, à cause de la censure ! »Une artiste russe, installée depuis longtemps en France, veut redécouvrir un pan de son histoire et ce projet artistique l’intrigue. Quelques Français sortent d’une salle de projection en faisant la grimace : ce théâtre, dit «immersif », a déjà fait son apparition depuis quelque temps chez nous et fait fureur aux Etats-Unis, en Angleterre et en Allemagne (voir Coming Society in Le Théâtre du Blog).

L’expérience du spectateur reste donc très parcellaire et superficielle, ou alors il faudrait prolonger sa visite au-delà de quatre heures et supporter les fastidieuses projections ! Dans les appartements reconstitués au Théâtre de la Ville, on peut jouer aux cartes avec une vieille dame, parler avec un intellectuel, ou encore se faire exorciser par un authentique chamane de l’Altaï (Sibérie Orientale). Mais impossible de connaître les horaires. Difficile aussi de repérer la quarantaine d’œuvres d’artistes «non conformistes» des années cinquante, prêtées par le Centre Georges Pompidou et réparties entre les théâtres de la Ville et du Châtelet. 

Au Centre Georges Pompidou, justement, on trouve l’installation promise au fin fond  du musée d’art contemporain… Elle reproduit un petit appartement du fameux Institut physico-technique d’Ukraine que Lev Landau a dirigé et qu’Ilya Khrzhanovsky a reconstruit pour le tournage de ses films… Il y a un cartouche avec quelques explications, et une pancarte nous intimant l’ordre de ne pas faire de bruit. Nous entrons dans un couloir noir. On voit derrière la vitre d’un œil-de-bœuf, la tête sinistre d’un homme éclairée par un faible pinceau lumineux. Vraie, ou pas? Evidemment sculptée en résine (manquent les poils de barbe !). Puis on avance dans un autre couloir tout aussi noir. Et de chaque côté, on découvre, par d’autres œils-de-bœuf, reconstituées, deux chambres étroites. Dans l’une, un lit d’une place, une chaise et un tableau noir couvert d’équations: dans l’autre, une lit identique, un bureau couvert de papiers,  un lampadaire avec un abat-jour au tissu plissé jaunasse hors-d’âge. Il y aussi une cuisine avec une petite table pour prendre des repas à trois, une gazinière et un évier sommaire avec à côté un cuvette en fer émaillé qui sert aussi à la toilette. Derrière la vitre, un comédien (jouant Lev Landau?) feuillette un livre devant la bibliothèque. Avec un peu de patience, on le verrait peut-être se faire chauffer de l’eau dans la bouilloire. Qui sait? Il n’y a personne pour nous renseigner. Et on n’a pas vraiment envie de s’attarder…

 Que nous raconte Ilya Khrzhanovsky en nous convoquant à ce vaste capharnaüm censé être un “biopic“ de Lev Landau ? Le sait-il lui-même ? Il voulait, dit-il, «rendre compte du décalage entre la stature publique de cette figure du soviétisme, et la liberté qu’il s’est accordée dans sa vie privée».

Mireille Davidovici

Au moins, au Théâtre de la Ville comme au Châtelet, nous sommes  livrés à nous mêmes, et on imagine ce l’on veut. On se perd, il y a des sens interdits partout et un personnel de sécurité devant chaque porte. Tout le monde les interroge mais ils ne savent même pas ce qu’il y a au bout du couloir. Question malaise, c’est réussi. Au bar Kino Sex, il y a des sofas et on vend une dose de vodka à 5 €. Le barman m’en fait goûter au raifort, à la cerise, etc… avant de me servir celle que j’ai choisie. Il n’y connait rien et c’est tout bénéfice : la grande tasse en aluminium est très bien remplie de vodka mais pas glacée comme elle devrait l’être ! Le congélateur est en panne, ça, c’est clairement soviétique… Bien imbibé, je titube un peu dans les escaliers.

Quatre heures de déambulation libre : on passe du chaud au froid et on nous propose sept cent heures de cinéma à voir en cabine. Les films ont été tournés dans un immense loft où quatre cent personnes auraient été invitées à Karkov à revivre l’U.R.S.S. pendant deux ans. Je regarde pendant trente-cinq minutes, c’est assez fade, même si, parfois, il y a un peu de porno.

On m’invite dans une autre cabine où je peux parler de n’importe quoi, pendant vingt minutes avec Rosa, réputée bonne écouteuse. Tout est enregistré mais soit on efface, soit on garde ce que nous avons dit. Au choix. J’ai aimé  cet exercice. Etre écouté, c’est un luxe, mais cela ne date pas d’hier:  il y avait autrefois déjà quelqu’un (depuis aux manettes du Théâtre du Blog) qui faisait cela dans une petite caravane, loris de l’opération Aix, ville ouverte aux saltimbanques, une menée par Jean Digne dès 1973…

 Il n’y a qu’un moment impressionnant: un vieux chanteur de l’Altaï de type asiatique à la voix rocailleuse, chante dans une chambre style années cinquante; il s’accompagnait au son d’une petite harpe bricolée. Un chaman me fait une cérémonie un peu ridicule, me fouette mais on dirait des caresses; il agite du thym en feu et jette le mauvais sort par la fenêtre. Folklorique. En fait, rien ne m’étonne. J’ai la sensation d’avoir déjà tout vu.  Même les reconstitutions d’appartements russes avec des bouts de vie à l’intérieur: en dix fois moins bien que dans le Safari intime de l’Opéra Pagaî vers les années 2.000,  dirigé par Cyril Jaubert. Dans des appartements prêtés, éventuellement scénographiés, les habitants assumaient un rôle.  Occuper un bâtiment en travaux, avec interventions d’artistes ? Pareil: le groupe Ilotopie l’avait fait au festival d’Avignon, il y a au moins vingt ans… Thé à la rue, une compagnie créée en 1995 par Sophie Mesnager et Amédée Renoux, elle aussi, est allée beaucoup  plus loin avec Dévêtu(e) aux Bains romains de Mulhouse… Mais là, on est pratiquement et sans  cesse en-dehors de toute innovation…

Le théâtre de rue avait déjà inventé beaucoup de choses, mais comme c’était gratuit, il a été classé « théâtre pour les pauvres» avec le mépris qui va avec. Il a pourtant été dix fois plus innovant mais n’a jamais eu l’idée et n’a jamais pu occuper un lieu «légitimant» comme ces grands théâtres en travaux ou le Palais de Tokyo à Paris. Et jamais, nous n’aurions osé mettre un prix d’entrée à 35 € ! Jamais, nous ne sommes adressés à l’élite de la critique du spectacle et des arts plastiques. Alors, on nous a placé en bas de l’échelle des valeurs théâtrales.

J’avance une idée idiote: quand, dans trente ans, on parlera du théâtre du siècle dernier, on ne citera sans doute plus Antoine Vitez, Jérôme Savary, Patrice Chéreau, Giorgio Strehler, Roger Planchon, Joël Pommerat, Alain Françon, Olivier Py… On évoquera peut-être encore Ariane Mnouchkine comme celle qui était restée sur les valeurs de Jean Vilar. Il restera le mouvement des arts de la rue qui aura été la seule innovation de la seconde partie du XX ème, et des premières années XXI ème siècle. Mais, comme d’habitude, je ne suis pas de mon avis… 

Jacques Livchine, metteur en songes

Jusqu’au 17 février, Théâtre de la Ville, Théâtre du Châtelet, place du Châtelet Paris Ier et Centre Pompidou, place Georges Pompidou, Paris IV ème (horaires habituels). Les deux théâtres sont  eux pour l’occasion ouverts sept jours sur sept et 24 heures sur 24.

www.DAU.com  

Bamako-Paris

Bamako-Paris de Ian Soliane, mise en scène de Cécile Cotté

bamako-paris-verticaleIan Soliane est connu pour être l’auteur de plusieurs romans mais il a aussi écrit cette pièce où Ibou, un jeune Malien (Jonathan Manzambi) raconte pourquoi il a pénétré dans le train d’atterrissage d’un Airbus A 320, pour émigrer clandestinement en France. Mais, bien entendu, Ibou ne résistera pas à ce long voyage et mourra d’hypothermie pendant le trajet (à 9.000 m d’altitude, la température extérieure descend à -60 degrés!)  Quelque seize heures plus tard, son corps est transporté à l’Institut médico-légal de Paris et autopsié par un médecin (Cyril Hériard Dubreuil) et par une interne (Valérie Diome). Ibou se suspend à une haute cage métallique- une scénographie impressionnante- et on peut alors espérer qu’il va survivre. Mais non et la dure réalité est là… Un thème brûlant d’actualité, traité avec gravité mais aussi par moments, avec humour.

Ceux qui fuient, désespérés, leur pays natal pour sauver leur vie, sont rejetés sans pitié par une Europe indigne. Et le pillage de l’Afrique continue sans aucun état d’âme.. On assiste ici à l’autopsie de cet émigré clandestin mais c’est sans doute notre société qui devrait être autopsiée !

Edith Rappoport

Jusqu’au 9 février, Anis Gras-Le lieu de l’autre, 55 av Laplace, Arcueil  (Val-de-Marne). T. : 01 49 12 03 29.

La Vedette du quartier, texte et mise en scène de Riton Liebman

 

La Vedette du quartier, texte et mise en scène de Riton Liebman

Un lit, une table, et une chaise, quelques livres sur le sol, éclairés par quatre spots. C’est tout. Le spectacle commence mais la salle reste éclairée. Soudain Riton entre en scène et interpelle le public avec humour pour le mettre à l’aise. La méthode fonctionne et le noir se fait: la traversée peut commencer. Celle, en France comme en Belgique, de toute une époque, celle des années 80, à Paris et Bruxelles, au cœur du cinéma et du théâtre, avec une question: comment devenir acteur, malgré une indifférence pour ce métier et le rester ?

Henri de son véritable prénom, se fait appeler Riton. Jeune adolescent sans histoires, il vit à Bruxelles et a seulement treize ans, quand il répond à une annonce pourtant cachée dans la poubelle par sa maman et qu’il a retrouvée en sortant de l’école, grâce à sa petite sœur. Et il se présente à un casting. Il devient ainsi un an plus tard, au grand dam de sa mère, la vedette de leur quartier! Merveilleux d’émotion dans Sortez vos mouchoirs de Bertrand Blier avec, excusez du peu, Patrick Dewaere, Gérard Depardieu et Michel Serrault…

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Ce deuxième volet de sa trilogie auto-fictionnelle commencée avec Liebman Renégat, est un récit à fois drôle et émouvant du parcours du combattant qu’il a dû faire pour devenir et surtout, pour rester un saltimbanque. Mais l’acteur a aussi un beau regard, parfois rude mais juste, sur le monde du cinéma et du théâtre à Paris, capitale de la fête avant l’arrivée du sida. Pour ce solo, il a choisi entre autres musiques, le meilleur des Rolling Stones. Et les extraits qu’il dit de Préparez vos Mouchoirs, les portraits qu’il fait de Bertrand Blier et d’Yves Boisset et du monde de la nuit, puis de lui-même grand buveur de bières et toxico à une période de sa vie, sont autant de précieux témoignages artistiques et socio-politiques. La verve, la gestuelle et le texte sensible et incisif de Riton Liebman enthousiasment et émeuvent le public. Que vous soyez déjà nés en 1980, ou avant ou bien après, ce spectacle intelligent et fin va bien au-delà d’une époque et nous interroge cruellement et avec mélancolie sur la nôtre, celle des années 2.000 et plus! 

Elisabeth Naud 

Théâtre du Petit Saint-Martin, 17 rue René Boulanger, Paris X ème. T. : 01 42 08 00 32.

Braise et cendres, textes de Blaise Cendrars, adaptation et mise en scène de Jacques Nichet

 

Braise et cendres, textes de Blaise Cendrars, adaptation et mise en scène de Jacques Nichet

190041AE-1870-46EC-81F8-ECEC993EDD44Le poète, grand reporter et romancier suisse a d’abord porté le nom de Louis Sauser mais peu importe. Il s’est fait un nom de braise et de cendres et  a écrit une œuvre qui n’a cessé de brûler. Ce qu’a cherché Jacques Nichet, dans sa relecture de Blaise Cendrars et la première image qu’il a choisie, est justement de cendres et de boue. Après la seconde guerre mondiale, le poète a retrouvé sa petite maison de campagne pillée et saccagée, sa bibliothèque détruite, ses textes et documents transformés en une sorte de fumier et la dernière photo de sa mère enfouie dans la boue. Et, dans cet enfouissement, il va trouver une renaissance et même se souvenir de sa vie intra-utérine, déjà mouvementée, déjà violente et impatiente. «Si j’avais pu ouvrir la bouche Je t’aurais mordu J’aurais dit : Merde, je ne veux pas vivre ! »  Son enfance ? «J’avais à peine seize ans et je ne me souvenais déjà plus de mon enfance» (Prose du Transsibérien). Très tôt pour lui, c’est la fugue, la fuite en avant et la passion de bourlinguer : le titre de son troisième roman (1948), de source autobiographique.

Jacques Nichet s’est plongé  dans ces textes toujours en mouvement et dans cette magnifique langue de marins et d’aventuriers, avec la caution  de Claude Leroy, l’éditeur de Blaise Cendrars. Il a en a gardé les passages les plus vifs à ses yeux, ceux qui l’ont touché le plus et en suivant une heure quinze, le fil de cette vie de poésie et d’aventures. Elle passe par Moscou : «la ville des mille et trois clochers et des sept gares» et par New York, «sale pays»: «Une Suisse encore plus inhumaine, plus mercantile, plus mécanique, sans bonhomie, rigide, protestante, anglicane, puritaine, poussée à la hauteur d’une hérésie!» où il harangue ce Dieu qui oublie les pauvres. Et il passe aussi par les îles réelles et rêvées, par la guerre où une Main coupée (1946) tombe du ciel, prophétie de l’amputation d’un bras en 1915, après s’être engagé au service de la France.

Dans Du monde entier, la poésie de Cendrars voyage, chemine, chevauche et Braise et Cendres est un théâtre de la parole et de l’aventure dans les mots. Que porte Charlie Nelson, et pas seulement «sur ses épaules», comme on dit, mais dans tout son corps, dans sa puissance singulière sans jamais les délivrer complètement, ce qui garde au récit une réserve de force et lui donne un élan particulier. Il peut être grave, drôle, comme dans le dialogue avec le père, par exemple, et il y a dans son jeu une sorte d’inquiétude où il entraîne le spectateur. Le metteur en scène ne s’interdit pas pour autant de jouer -non sans une certaine malice où on reconnaît la patte de Jacques Nichet- sur les rencontres entre les très rares objets : une chaise, une bougie, des allumettes et un manteau aux multiples plis et ressources. Le récit prend alors une dimension épique, comme au grand théâtre d’Albi devant l’immense peinture de Jean-Paul Dewynter, ou se replier en une sorte de tête-à-tête dans cette petite salle du Paradis.

Voilà: chacun peut découvrir son Cendrars en le lisant mais on peut aussi se faire un peu bousculer et aller l’écouter par la voix d’un comédien sur une scène, pour n’avoir plus qu’une envie, au sortir du théâtre: l’écouter encore et encore. Il nous dira avec emportement dans Iles, comment l’amour le jette sur les routes maritimes. «Quand tu aimes il faut partir Ne larmoie pas en souriant Ne te niche pas entre deux seins Respire, marche, pars, va-t’en Iles où l’on ne prendra jamais terre Iles où l’on ne descendra jamais Iles couvertes de végétation Iles tapies comme des jaguars Iles muettes Iles inoubliables et sans nom Je lance mes chaussures par-dessus bord car je voudrais bien aller jusqu’à vous. »

Christine Friedel

Théâtre du Lucernaire, 53 rue Notre-Dame-des-Champs, Paris VI ème, jusqu’au 9 mars. T. : 01 45 44 57 34.

 

 

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