Mesure pour Mesure, de William Shakespeare, adaptation et mise en scène d’Arnaud Anckaert
Mesure pour Mesure de William Shakespeare, adaptation et mise en scène d’Arnaud Anckaert
On le rencontre dans les comédies ou les tragi-comédies de Shakespeare, ce Duc mélancolique, à la fois homme de bien, dépressif et un peu pervers : au fond des bois de Comme il vous plaira, sur l’île de La Tempête… Mais celui de Mesure pour Mesure doute de lui-même et s’interroge sur la force de la loi et sur l’exercice du pouvoir. Aussi, déguisé en moine, va-t-il, sous le prétexte d’un voyage diplomatique, observer comment le puritain Angelo, le bien-nommé, exerce la régence qu’il lui a confiée. Ça commence mal : Angelo fait condamner à mort Claudio pour “fornication“. Le pauvre garçon a juste été trop pressé de « connaître » sa fiancée… Pas d’excuse et pas de quartier, dura lex sed lex : la loi doit être appliquée à la lettre, et le prévenu sera exécuté dès le lendemain à l’aube.
Qui le sauvera ? Sa sœur, religieuse novice, tente de convaincre le Régent. Tentative risquée: le tyran a un désir d’elle aussi violent que sacrilège. Finalement, sous son masque de moine, le duc, confident de la jeune fille, trouve une solution audacieuse avec substitution de femme (comme dans Tout est bien qui finit bien) et de cadavre. Tout rentrera dans un ordre plus clément et plus juste, conforme à la loi du Monde et à celle de Dieu.
La pièce traite avec gravité du droit, de la justice, du pouvoir, de l’État, de la violence du désir et du péché. Rien que cela! Elle n’en est pas moins une comédie avec intermèdes bouffons et personnages secondaires de maquereaux et maquerelles: la face grotesque et libre des désirs aristocratiques cadenassés… Arnaud Anckaert place son spectacle sous les auspices du Surveiller et punir de Michel Foucault et prend de front ces questions de loi, de justice et de contrainte des corps. Il s’interroge sur la dangereuse obsession de pureté et sur la mainmise des hommes sur les les femmes, sur l’irruption et la folie du désir. Cette dernière question semblant beaucoup plus difficile à saisir et à traiter.
Les mots sont bien là mais les corps ne jouent pas. Dans un clair-obscur, des images fantasmatiques conventionnelles (un homme se fait fouetter et une religieuse relève sa robe sur son porte-jarretelles) ne suffisent pas à instiller le moindre trouble… Des clichés qui vont à l’encontre d’une mise en scène qui est, par ailleurs, d’une réelle honnêteté. «Je cherche, dit Arnaud Anckaert, à ce que la fabrication du théâtre soit invisible et concrète». Et ainsi fonctionne le spectacle : avec une sorte de saine naïveté. Personne ici ne fait le malin et il n’y a aucune concession à une flatteuse autodérision. Revers de cette naïveté : malgré la présence de comédiens solides, sincères et tout à leur tâche, l’interprétation reste courte et illustrative : rien ne déborde, ni en profondeur, ni dans les prolongements possibles du rôle. Dès lors, comment parler des débordements, en restant dans ces limites ? Même les clowns et bouffons restent ici presque sages.
Arnaud Anckaert est l’heureux metteur en scène en France d’auteurs britanniques importants comme Dennis Kelly. Devant Shakespeare, on le sent intimidé, freiné. Il utilise bien l’espace du théâtre d’Arras: entrées par la salle, plateau à deux niveaux, mais dans une simplicité sans véritable choix esthétique. Le spectacle pêche par une ambition contradictoire et finalement, par trop de modestie. Reste la pièce, étrange, passionnante qu’on entend bien, même avec les ailes et les griffes rognées.
Christine Friedel
Spectacle vu le 27 mars, au Tandem, Théâtre d’Arras (Pas-de-Calais).
Le Manège à Maubeuge (Nord) le 8 mars. Comédie de Béthune (Nord) du 26 au 29 mars. Comédie de Picardie, Amiens (Somme) les 3 et 4 avril. Théâtre Romain Rolland, Villejuif (Val-de-Marne), le 6 avril. Théâtre Benno Besson à Yverdon (Confédération Helvétique, canton de Vaud), les 10 et 11 avril.
La Barcarole,Arques (Pas-de-Calais) le 21 mai. Château d’Hardelot (Pas-de-Calais), les 23 et 24 mai.