Rencontre avec Simon Delétang, directeur du Théâtre du Peuple de Bussang
Le Théâtre du Peuple–Maurice Pottecher à Bussang, ouvert en toutes saisons. Rencontre avec Simon Delétang
Depuis sa création en 1895 par l’écrivain Maurice Pottecher (1867-1960), le Théâtre du Peuple à Bussang (Vosges) accueille un public nombreux et fidèle chaque année pendant un festival marqué par l’utopie humaniste et poétique de son fondateur. Par l’art, pour l’humanité : sa devise est toujours inscrite de part et d’autre du cadre de scène. Les bâtiments ont été classés monuments historiques en 1976 et l’Etat en est propriétaire depuis 2.005. le Théâtre du Peuple avec quelque neuf cent places survit comme une oasis dans cette vallée éloignée. Pourtant connu dans le monde entier et visité pour son architecture toute en bois et son fond de scène qui peut s’ouvrir sur la forêt. Mais aussi pour l’esprit de partage qui y souffle : acteurs amateurs et professionnels ont toujours joué ensemble l’été sur la scène de Bussang, entourés de bénévoles passionnés de théâtre. Maurice Pottecher avait le souci d’un répertoire exigeant : «Tandis que la foule, d’esprit sincère, non blasée, apporte sa faculté d’enthousiasme et préserve l’artiste d’un raffinement mortel pour l’art, l’élite intelligente corrige le goût de la foule et impose au dramaturge un souci de pensée et une tenue de style sans lesquels il n’y a pas de véritable œuvre d’art ». Un“ théâtre populaire“ avant la lettre, «élitaire pour tous », selon les mots d’Antoine Vitez.
En septembre 2017, Simon Delétang est nommé directeur pour un mandat de quatre ans et habite à Bussang. A la fois metteur en scène, acteur et scénographe, comme le fut Maurice Pottecher, il reprend le flambeau et s’est donné pour mission de faire vivre et rayonner ce théâtre toute l’année dans ce petit bourg lorrain, à la lisière de l’Alsace. C’est devenu au fil du temps et de l’exode rural, un de ces territoires en déshérence d’une France périphérique qui occupe aujourd’hui les ronds-points pour ne pas se faire oublier. L’école risque de fermer et le jeune directeur espère la sauver en proposant aux élèves des activités théâtrales.
Pour autant les représentations estivales resteront le point d’orgue du Théâtre du Peuple, devenues un rendez-vous incontournable. Avec des dates en août et jusqu’en septembre, il pourra ainsi accueillir les festivaliers d’Avignon à la recherche de fraîcheur… Et pour rajeunir le public, on proposera aux quatre cents élèves du collège Jules Ferry du Thillot, une petite ville de 3.500 habitants proche de Bussang, d’y faire leur rentrée scolaire !
Mais passer d’un festival d’été dont la billetterie assure 50% des recettes (l’autre moitié provenant de subventions et de coproductions), à une programmation annuelle sans augmentation de budget, demande une gymnastique comptable. Il faut aussi une ingéniosité à développer des partenariats locaux et régionaux : Simon Delétang, n’est pas à court d’idées et déploie, tout au long de l’année, spectacles, stages, actions pédagogiques entre Alsace, Lorraine, Franche-Comté, et au-delà… Il s’agit pour lui d’inventer, comme son illustre prédécesseur, un théâtre loin de Paris, capable, tout en s’adressant au plus grand nombre, de donner voix aux formes contemporaines, notamment celles des autrices et auteurs qu’il se plait à mettre en scène. Les manifestations publiques commenceront donc au printemps 2019 pour se poursuivre jusqu’en décembre.
Pour faire plus ample connaissance avec les Vosges environnantes et ses habitants, et explorer ces «chemins noirs» comme l’écrivain-marcheur Sylvain Tesson désigne les zones dépeuplées de l’Hexagone, Simon Delétang prend son bâton de pèlerin à travers la montagne. » La marche, dit-il, est une réponse à l’abandon des territoires. La volonté de placer le théâtre au cœur de la nature fut, pour Maurice Pottecher, un désir de retour à l’essentiel afin d’être en lien direct avec l’existence la plus simple, loin du chaos de la ville. » Georg Büchner (1813-1837) est son guide et l’acteur-metteur en scène opère avec Lenz, une marche à travers les Vosges, un retour aux sources : «Aller, au rythme de la marche, au contact avec les habitants, dans la tradition des Wanderer romantiques (…) Que ce soit le directeur qui y aille lui-même, ça brise les barrières, comme le Théâtre de Bussang les a brisées. »
Lenz, cette nouvelle restée inachevée, évoque le voyage de Jakob Michael Reinhold Lenz, pour soigner son âme malade auprès du pasteur Oberlin qui le recueillit l’hiver 1778, chez lui, à Waldersbach, un village du Bas-Rhin, à moins de deux heures de route de Bussang. Ce récit, fondé sur les notes du pasteur, raconte comment le célèbre écrivain parcourut la montagne puis sombra dans la folie. L’occasion pour le jeune Büchner, en 1839, d’exposer sa vision de l’art et, pour Simon Delétang, depuis 2017, d’éprouver physiquement, en déambulant, la poésie aigüe et rythmée de Lenz, traduit par Georges-Arthur Goldschmidt : «Un récit, dit-il, qui ouvre à la modernité. » L’an dernier, il partit vers le Nord jusqu’à Waldersbach, parcourant environ trente kilomètres par jour et faisant étape le soir pour jouer dans des salles de fêtes, écoles, granges… « Les gens savent que je suis venu à pied, ce qui induit une plus grande proximité avec une centaine de spectateurs à chaque fois. » Cette année, il ira en direction du Sud vers la Franche-Comté, par des sentiers balisés à travers le Plateau des Mille Étangs (Haute-Saône)… Certains spectateurs pourraient se joindre pendant quelques kilomètres à cette randonnée au cœur du Parc naturel régional des Ballons des Vosges.
Au programme de cet été, la création de Suzy Storck de Magali Mougel, une autrice originaire des Vosges. Simon Delétang assurera la mise en scène et la scénographie de ce texte, issu d’un fait divers: l’histoire d’une matricide par accident et dont la parole libératoire fait éclater les cadres familiaux… Et Jean-Yves Ruf réalisera La Vie est un rêve de Pedro Calderon de la Barca, avec des comédiens professionnels et amateurs. Un bal littéraire clôturera le festival.
D’autres manifestations sont prévues pour l’automne et l’hiver, dont un focus sur cinq pièces d’autrices portées par cinq metteuses en scène et dix interprètes. Car Simon Delétang entend faire la part belle aux femmes, trop souvent minoritaires dans les programmations. Et il a aussi invité Claudia Stavisky avec une pièce de Pierre Corneille, La Place Royale (ancien nom de la place des Vosges à Paris).
Mireille Davidovici
Rencontre avec Simon Delétang, le 6 mars à Théâtre Ouvert, cité Véron, Paris XVIII ème.
Au Théâtre du Peuple à Bussang:
Lenz du 30 avril au 11 mai.
Festival d’été du 27 juillet au 8 septembre. La Place Royale, les 11 et 12 octobre. Faits d’Hiver 14 et 15 décembre.
Lenz de Georg Büchner est publié chez Vagabonde et Suzy Stork est publié aux éditions Espaces 34.
Théâtre du Peuple-Maurice Pottecher, 40 rue du Théâtre, Bussang (Vosges) T. 03 2961 62 47 www.theatredupeuple.com