Kafka sur le rivage, d’après le roman d’Haruki Murakami, mise en scène de Yukio Ninagawa

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Kafka sur le rivage, adaptation du roman d’Haruki Murakami et mise en scène de Yukio Ninagawa (en japonais, surtitré en français)

En 2016, le metteur en scène et directeur artistique du Sainakumi Saitama Art Theater ne se doutait pas qu’il signait là sa dernière création. D’où l’extrême émotion du public et des artistes japonais pendant les saluts, en particulier devant le portrait du maître présenté par son assistant à la mise en scène. Quatre-vingt dix artistes se sont déplacés pour cette dernière tournée dont Haruki Murakami, invité par Wajdi Mouawad pour cette ultime représentation. Désormais, on ne verra plus les spectacles de Yukio Ninagawa en dehors du Japon.

Marqué par la disparition, le 16 février dernier, de Bruno Ganz, acteur charismatique des Ailes du désir de Wim Wenders (1987), on entre plus facilement en empathie avec les anges et les fantômes de Kafka sur le rivage. L’adaptation poétique et envoûtante du roman où se croisent plusieurs histoires entre le monde des vivants et des morts,  bénéficie d’une scénographie exceptionnelle: un ballet de cages de verre mobiles nous transporte dans le Japon d’aujourd’hui avec successivement, un jardin public, une cafétéria, un distributeur automatique de boissons, une bibliothèque, un petit camion…  Un décor réaliste pour des tranches de vie surréalistes! Chaque déplacement a été calculé et répété au centimètre près. Tout est fluide et vraisemblable: il suffit d’entrer dans les codes de cette œuvre où le passé vient parasiter le présent.

Le personnage de Nakata (excellent Katsumi Kiba) parle la langue des chats qui ont une présence fascinante et une taille humaine et qui deviennent les moteurs de l’intrigue. Il pleut aussi des poissons… Le héros, Kafka Tamura, incarné par le  jeune Nino Furuhata, ne peut échapper à son destin tragique: il tuera son père et couchera avec sa mère! Le hasard fait basculer le parcours des personnages, tous très crédibles. La chanson que l’on entend au début :Kafka sur le rivage   a tout son sens quand trois heures durant, ces histoires prennent vie devant nous. Le public a longuement salué ce moment d’une beauté unique. «Ce ne sont pas les humains qui choisissent leur destin, dit Haruki Murakami, mais le destin qui choisit les humains. » (…) « Ce ne sont pas leurs défauts mais leurs vertus qui entraînent les humains vers les plus grandes tragédies.»

Jean Couturier

Spectacle joué du 15 au 23 février, au Théâtre National de la Colline, 15 rue Malte-Brun, Paris XX ème.

  


Archive pour 12 mars, 2019

TRACE.S, conception et mise en scène de Mathieu Enderlin

TRACE.S, conception et mise en scène de Mathieu Enderlin (spectacle tout public)

 59B85BB0-AE66-4EAC-A242-5F4A75338B6ATrois artistes nous entraînent dans l’univers de Georges Lafaye, l’inventeur du théâtre noir qui a révolutionné les arts européens de la marionnette et du théâtre d’objets dans les années cinquante. Les manipulateurs cagoulés, gantés et vêtus de noir, sont invisibles : seules les figures animées apparaissent dans un rai de lumière. Aujourd’hui oublié,  le théâtre noir a influencé bien des créateurs, en particulier le Tchèque Jiří Srnec qui a fondé le fameux Théâtre noir de Prague en 1961 mais aussi un peu plus tard le grand Philippe Genty.

Georges Lafaye avait fondé un «théâtre d’animation» abstrait, comme en témoigne le fonds qu’il a légué à la Bibliothèque Nationale de France. Mathieu Enderlin explore cet héritage et tente d’en retrouver l’esprit: «On n’allait pas prendre ses marionnettes mais en retenir quelques éléments comme les boîtes, gants et lettres, et reconstituer la boîte noire du théâtre : un gouffre où on plonge pour en faire émerger quelques chose. »

 Une rampe d’ampoules, une servante, des cadres lumineux et des lettres phosphorescentes qui se baladent dans l’obscurité, constituent l’univers de TRACE.S. Du noir profond  où sont immergés les manipulateurs, au risque de se cogner partout, naissent des formes géométriques. Lignes, triangles, points et caractères typographiques réalisent un ballet lumineux. Des mots noirs flottent sur des écrans blancs, des figures longilignes fluorescentes dansent, avant d’être avalées par la nuit… Un monde virtuel surgit devant nous avec des moyens artisanaux qui se dévoilent de temps à autre, pour bien montrer qu’il y a de l’humain derrière ces illusions.

«On essaye, dit Mathieu Enderlin, d’être dans l’expérimentation, comme Georges Lafaye qui avait renoncé à la médecine pour se tourner vers les arts plastiques et cinétiques». Le metteur en scène a conçu ce spectacle avec de jeunes marionnettistes stagiaires au Théâtre aux Mains Nues où il enseigne. Avec Thomas Cordeiro et Laure Lefort, il va pendant une heure donner vie à cette fantasmagorie poétique qui, fraîchement sortie de sa boîte noire, ne tardera pas à trouver son rythme de croisière…

 Mireille Davidovici

Du 14 au 23 mars, Le Mouffetard-Théâtre des arts de la marionnette, 73 rue Mouffetard, Paris Vème. T. : 01 84 79 44 55.

 Le mardi 19 mars à 18 h 30 : découverte du fonds Georges Lafaye dans le cadre des mardis des arts du spectacle : Bibliothèque Nationale de France, site Richelieu  58 rue Richelieu, Paris II ème.

Fonds Georges Lafaye : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b541000697.item

Livres et revues

L’Imparfait du temps passé de Grisha Bruskin, 324 épisodes de la vie d’un artiste russe, traduit du russe par Christine Zeytounian-Beloüs

 

23CB700C-321E-49D9-93A7-9A1127538206On peut voir dans  ce volume une sorte d’archétype de l’art du livre, un acte de résistance de l’art contre la technique. A l’heure du triomphe du numérique, quand le livre électronique est en voie de détrôner le livre sur papier, il est réconfortant de tenir dans les mains un livre qui pèse son poids. Mais ce n’est pas seulement une suite de mots sur une tablette mais un véritable objet d’art de Jean-Michel Place. Ce cadeau semble venir d’un autre temps. L’Imparfait du temps passé n’est pas un livre d’écrivain, encore moins de littérateur mais d’un artiste, sans être pour autant ce qu’on appelle un « livre d’artiste ». Grisha Bruskin, spontanément, intuitivement, a trouvé la clé pour échapper au syndrome autobiographique. Le recueil bien agencé des épisodes de sa vie est un anti-roman mais ce sont aussi des anti-mémoires, non  au sens que lui donnait André Malraux, mais à celui que lui prêtaient Henri Bergson, Gilles Deleuze et bien entendu, Marcel Proust, que Samuel Brussell cite fort justement dans une belle préface. Et, dans le sillage de Joseph Czapski,    comme avec A la Recherche du temps perdu, cet Imparfait du temps passé est un formidable remède contre la déchéance.

Chaque lecteur y trouvera la foi dans la résurrection d’une vie dont chaque pas nous rapproche un peu plus de la déchéance finale.En forant le puits de sa mémoire affective, Grisha Bruskin en tire des pépites qui, en affleurant à la surface, sont autant d’épiphanies d’un monde parallèle et spirituel qui est sans doute à la source de son œuvre artistique. Mais on ne saurait oublier que  ces extractions poétiques se rapportent  à son enfance en Union Soviétique. Contrairement aux esprits chagrins qui ne tirent de leur expérience que des malédictions contre les hommes ou contre Dieu, Grisha Bruskin porte sur le monde une vision sereine  qui reste celle de l’enfant qu’il a été dans «  l’empire du mal ».

Et au-delà des stéréotypes et des batailles idéologiques, il nous rappelle qu’en Union soviétique il n’y a pas eu seulement le goulag, les répressions, la censure, mais un mode de vie empreint d’une poésie dont il a su garder l’arôme et il nous le rend ici avec humour et nostalgie. Ses vignettes verbales sont illustrées par des photographies ou des reproductions de ses sculptures et tableaux. Et cela montre que pour lui, les mots appartiennent au même univers que ses œuvres d’art.

Sous l’apparence trompeusement rétrograde d’un retour au  au passé et d’un art conceptuel dématérialisant le vivant et nous donnant en pâture des squelettes desséchés mais sacralisées par la mode. Avec ces instantanés qui tressent un éternel retour, Grisha Bruskin sort de la littérature, de l’histoire et du temps passé, pour nous les restituer et il s’expurge ici de l’imparfait, pour entrer dans le futur antérieur…

Gérard Conio

Le livre est paru aux Nouvelles Editions Place.

 

Corps parlant, corps vivant, Réponses littéraires et théâtrales aux mutations contemporaines du corps

6B8EF11A-3C69-43D0-B2DA-7A8EF784C156Etudes Théâtrales est une publication bi-annuelle du Centre d’études théâtrales de l’Université catholique de Louvain. Ce riche numéro comprend vingt-trois textes réunis par Jonathan Châtel et Pierre Piret. «Penser le corps constitue à n’en pas douter un défi majeur de la littérature et du théâtre (mais aussi du cinéma et  des arts) contemporains.» (… ) «Mais que dire du corps lui-même ? Pour orienter la réflexion, une distinction nous a paru opératoire qui donne son titre au colloque : celle du corps parlant et du corps vivant. »

Effectivement, depuis une cinquantaine d’années, le théâtre et le spectacle en général ont  tenté de résoudre une question aussi complexe que fondamentale : l’expression par la parole d’un corps en scène vivant donc parlant (ou enregistrée parce qu’il était absent de la scène ou décédé) et à la suite de Freud, le corps comme instrument parfois pré-textuel d’une gestualité scénique a fini  parfois même à se substituer à la parole. Comme l’avaient  réalisé il y a déjà un demi-siècle mais dans des genres radicalement différents, les Polonais Jerzy Grotowski et Tadeusz Kantor, l’ltalien Eugenio Barba et son Odin Teatr, ou des Américains comme Judith Malina et Julian Beck, Meredith Monk, John Vaccaro ou le merveilleux marionnettiste Robert Anton. Mais reste à savoir, disent les  concepteurs de ce numéro, comment cette dialectique du corps et des discours se noue-t-elle d’époque en époque. Comment la littérature et le théâtre en rendent-ils compte ? Ont essayé de cerner ces relations, des intervenants issus d’horizons différents à un colloque à l’Université de Louvain-la-Neuve en 2014…

Ce volume issu des contributions à ce colloque fait l’objet de quatre «mouvements» : Le Corps subjectif, Le Corps aliéné, Le Corps subversif, Théâtre, corps et texte. Et la plupart des textes font référence à des spectacles contemporains qu’il vaut mieux avoir vus pour bien saisir la signification de ce matériau aussi exceptionnel que le corps humain, réel et/ou incarné par une marionnette comme chez Ilka Schönbein. Comme  l’explique bien Sandrine Le Pors dans un article consacré au travail de la grande comédienne et créatrice allemande. Son théâtre, dit-elle, «se joue dans le corps-à-corps ou dans ce tête à tête entre le petit corps de l’enfant et le grand corps de l’adulte- l’un et l’autre  étant des autant des partenaires de jeu que des adversaires : dans Chair de ma chair, la mère tente ainsi d’étrangler sa fille alors qu’elle dit ne pouvoir vivre sans elle. » Et l’auteure insiste avec raison sur les interférences entre le dire et le voir, avec des images, une voix parlée, la musique et le chant chez Ilka Schönbein. Ce qui fait toute la richesse de ses spectacles mis en scène avec une extrême précision.

Il y a aussi dans cette première partie une analyse de La Dispute de Marivaux où, dit Pierre Piret, le dramaturge met en lumière la condition corporelle du personnage «Le narcissisme situe le corps dans le registre de l’avoir : c’est à un corps à la fois sien et autre qu’Eglé se confronte. » L’auteur analyse aussi de façon remarquable la crise du personnage dans Pas moi  de Samuel Beckett et à l’inverse, le récit autobiographique  sur fond de dérégulation de l’identification corporelle dans Les Garçons et Guillaume, à table de Guillaume Gallienne. On ne peut citer tous les articles mais  dans la seconde partie, Le Corps aliéné, celui d’Estelle Mathey consacré au travail de Jacques Rebotier est tout à fait intéressant. Elle analyse les rapports que dans La description de l’omme, ce créateur a mis au point: avec une poétique du corps, il «subvertit le discours scientifique de genre encyclopédique pour faire émerger la nécessité d’une parole incarnée.» A noter aussi un texte de la théoricienne et rédactrice en chef d’Etudes Théâtrales, Véronique Lemaire à propos de El Año de Ricardo d’Angelica Liddell d’après Richard II de Shakespeare. Dans cette performance (2008), l’auteure et comédienne  faisait de son corps un discours où elle mettait à mal la notion de démocratie. Dans la partie Le Corps subversif, Jean-Pierre Sarrazac analyse avec une grande pertinence le corps gestuel et viscéral dans les textes  théâtraux de Franz-Xaver Kroetz  reliés aux didascalies, une sorte de sous-texte capital chez cet auteur. Et il insiste avec raison sur leur grande qualité littéraire et pose aussi la question de savoir quelles sont les limites du jouable. Jusque là un interdit juridique n’admet en effet ni la copulation réelle, la coprophilie, ni la défécation ni la présence de cadavres humains. Mais tolère depuis longtemps le nu masculin ou féminin, la masturbation discrète et la fellation… comme dans le dernier spectacle d’Angélica Liddell, même dans un théâtre national  comme la Colline… Dans les années 75, le metteur en scène John Vaccaro avait été condamné à une amende par le tribunal d’instance de Bruxelles après deux jours de débats à Bruxelles pour pornographie. Une association de « protection de la jeunesse” avait  porté  plainte. En cause: dans Cockstrong (en slang new-yorkais: sexe puissant!) une jeune et belle actrice seulement vêtue d’une petite gaine et de bas noirs se masturbait quelques secondes sur un coin de table… Et à la fin, un grand phallus suspendu au dessus de la scène et de la salle, branché sur la lance à incendie des pompiers éjaculait quelques litres d’eau sur le public ravi d’être ainsi rafraîchi… Autres temps, autres mœurs!
Dans le dernier corpus du volume Théâtre, corps et texte, Knut Ove Arntzen, professeur  d’études théâtrales à l’université de Bergen (Norvège), rend compte du bouleversement scénique en Norvège qu’a été, dit-il, dans les années quatre vingt dix (mais ce phénomène d’hybridation avait déjà eu lieu vers 1960 avec l’intrusion des arts plastiques sur les plateaux de théâtre aux Etats-Unis, en France et en Allemagne avec entre autres John Cage, le mouvement Fluxus, le happening, la performance, la danse contemporaine… A signaler aussi une étude de Catherine Naugrette sur le costume de théâtre au statut assez équivoque et rarement bien adapté au corps qu’il abrite. Et souvent raté comme Roland Barthes l’avait déjà remarqué dans son article bien connu sur Les Maladies du costume de théâtre.

On aurait bien aimé que ce volume assez touffu soit accompagné d’un support vidéo des spectacles dont parlent les auteurs mais on peut toujours aller à la pêche, même aléatoire, sur Internet. Il est en tout cas d’une grande richesse et peut apporter beaucoup d’éléments théoriques à des enseignants de lycée ou de fac spécialisés dans les études théâtrales.

Philippe du Vignal

Editions Academia L’Harmattan, Grand-Place, 29 B-1348 Louvain-la-Neuve (Belgique). Prix : 20 €.
Centre d’études théâtrales, Place de l’Hocaille, 4  1348 Louvain-la-Neuve.

 

 

 

Cet Été suivi de La Rencontre/Portraits de Femmes, écriture et mise en scène de Pauline Bureau

 

Cet Été suivi de La Rencontre/Portraits de Femmes, écriture et mise en scène de Pauline Bureau

07BE3E3E-4D58-4373-AD79-7EB9A1490765 Un centre d’apprentissage dans la banlieue de Caen propose aux élèves des activités culturelles mises en place avec la Comédie de Caen. Devant une classe de C.A.P. coiffure, deux comédiennes vont, tour à tour, se mettre dans la peau de femmes qui livrent leur parcours de vie. Avec ces récits, Pauline Bureau et son équipe répondent à une commande de La Poudrerie de Sevran, une compagnie produisant des spectacles dits «immersifs», joués dans des appartements, écoles, bibliothèques, collectivités… (voir Le Théâtre du Blog) Une trentaine de femmes, choisies par l’intermédiaire des réseaux associatifs de Sevran, se sont portées volontaires pour se raconter, en relation avec cette ville de Seine-Saint-Denis qui compte aujourd’hui quelque cinquante mille habitants. Elles se sont confiées aux magnétophones de Pauline Bureau et de ses actrices, Sabrina Baldassarra et Sonia Floire. Une fois ces paroles recueillies, puis décryptées, la metteuse en scène a demandé à chaque comédienne de choisir le personnage qu’elle désirait incarner. Elle a ensuite opéré des coupes en respectant le parler, les silences, le style d’élocution des personnes interviewées et assuré la mise en scène de ces petites formes. Le hasard a voulu que, sans se concerter, les actrices optent pour des portraits qui se répondent. Une femme battue qui s’en est sortie, et la directrice de la crèche municipale qui s’est occupé à un moment donné du fils de la première !

  »Dans le corpus global, précise Sonia Floire, il y avait deux sortes de femmes : les battantes, et les battues. Ce qui m’a intéressée dans mon personnage, c’est sa capacité de résilience. » Dans Cet été, elle retrace l’itinéraire douloureux d’une jeune coiffeuse qui a dû abandonner son métier, quand elle s’est mariée et qu’elle s’est trouvée confrontée à un homme alcoolique et violent  : «Je suis maman de deux enfants. De quatre ans et demi, et le petit de deux ans. » (…)  « Il voulait pas que je travaille. Il m’a dit que c’est lui qui va assumer./ Et qu’il n’a pas besoin que je travaille, il gagnait bien sa vie, il était ingénieur en informatique. Et au début, il buvait, il buvait que le week-end, mais pas beaucoup … ». Elle montre au public, avec fierté, les coiffures qu’elle a réalisées, compilées dans un petit carnet rose : son trésor ! On sent alors que cette femme est sortie du cercle vicieux où elle se trouvait enfermée.

 Après ce touchant témoignage, Sabrina Baldassarra prend le relai avec La Rencontre, une narration beaucoup plus structurée, la parole militante d’une directrice de crèche qui apporte un point de vue lucide et pertinent sur son métier et son rôle social. Elle raconte comment, dans son établissement, elle accueille plusieurs enfants handicapés, et combien, avec eux, on apprend sur soi-même : «Un mot qu’on utilise beaucoup en ce moment, c’est la tolérance et notamment par rapport à… Voilà, où il faudrait être tolérant avec le handicap, etc. Et quand on dit à quelqu’un : je te tolère, excusez-moi, mais ce n’est pas s’enrichir de l’autre. Pour moi, il y a quand même dans la rencontre, l’idée de, bien sûr, qu’on s’expose, hein, dès l’instant où on entre dans une rencontre, bien sûr qu’on s’expose (… ) »

 Sans décor, avec quelques accessoires, et la force des mots, s’invente ici un théâtre hors-les-murs, pour des publics tenus éloignés des scènes traditionnelles. Les échanges avec les apprentis, d’abord timides, ont permis de tracer la limite ténue entre réalité et fiction, de mettre en évidence la distance qu’apporte le jeu, l’écriture  et la mise en scène : l’essence même du théâtre. «Vous êtes courageuses», ose une jeune fille. S’adressait-elle aux comédiennes ou à leurs personnages, ces Sevranaises qui, chacune à sa façon, nous ont donné une leçon de vie… Et encore quelque espoir en l’humanité. On sort de cette petite heure chargée d’émotion.

 «Rencontrer, dit Pauline Bureau, c’est accepter d’être surprises, bougées. » Et elle le démontre avec sa compagnie La Part des anges, engagée depuis des années dans ce type d’action artistique et actuellement en résidence à la Comédie de Caen. Dernièrement, on a pu apprécier son implication sociale avec Mon cœur (voir Le Théâtre du Blog). La prochaine création de la metteuse en scène, à la Comédie-Française, promet d’être dans le même esprit : Hors la loi raconte l’histoire d’un avortement clandestin au début des années 70, jugé au Tribunal de Bobigny. En attendant, ces Portraits de femmes qui ont déjà été en tournée dans la région parisienne, devraient partir à la rencontre d’autres publics.

Mireille Davidovici

Spectacle vu le 8 mars au C.I.F.A.C de Caen (Calvados), dans le cadre de la saison Appart’ C.A.F/C.E.M.E.A. de Normandie.

Le 10 mai, Maison d’arrêt de femmes de Caen.

Hors la loi sera créé du 24 mai au 7 juillet, au  Théâtre du Vieux-Colombier, Paris VI ème.

 

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