Peines d’amour perdues de William Shakespeare, mise en scène d’Hervé van der Meulen

Peines d’amour perdues de William Shakespeare, mise en scène d’Hervé Van der Meulen

Peines d'amour perdues(Love’s Labour’s Lost) sans doute une de ses premières comédies de l’immense  dramaturge, écrite vers 1595 quand il s’attaquait aussi à Roméo et Juliette et au Songe d’une nuit d’été. Ferdinand, le jeune Roi de Navarre et trois de ses compagnons, Biron, Longueville et du Maine, jurent de se consacrer à la philosophie et aux sciences et de n’avoir aucune aventure amoureuse… Et cela pendant plusieurs années. Bien entendu, leur projet ne tiendra pas longtemps la route (sinon, il n’y aurait pas de pièce!)
Arrive la magnifique Princesse de France venue négocier pour son père un traité concernant l’Aquitaine. Accompagné de ses trois amies, Rosaline, Maria et Catherine. Les jeunes gens vont évidemment en tomber très amoureux. Intrigues parallèles avec les amours des paysans  Jacquinette et Balourd, jeux de masques des huit jeunes gens… Et avec aussi une conclusion des plus amères et teintée d’une grande tristesse.

En effet, cette comédie, coup de génie comme le dit Jean-Michel Desprats son traducteur, ne finit pas comme toutes celles de l’époque… Pas de happy end, comme on dit en français! Il y a  d’abord une représentation d’une petite parodie de tragédie jouée par Armado, Boyet et les gens du peuple (bel exemple de théâtre dans le théâtre comme dans Le Songe d’une nuit d’été). Mais un messager envoyé de France arrive et dit juste deux mots à la Princesse: «Votre père». Elle a  aussitôt compris! La farce est  interrompue, un voile de tristesse s’abat sur tous et la fête est bien finie. Il va falloir passer aux choses sérieuses et le deuil du père, comme dans nombre de comédies de Shakespeare est ici comme un signal: fin du plaisir des joutes amoureuses et des insinuations érotiques. Aucun autre choix possible: l’avenir incertain frappe à la porte et tous ont le pressentiment que leur toute jeunesse a d’un coup disparu. On va donc être obligé de changer de braquet et les jeunes femmes vont mettre à l’épreuve leurs amoureux parjures. Très lucides quant à leur comportement presque enfantin, elles vont leur imposent d’aller vivre une année d’abstinence en solitaire ou s’occuper des agonisants. Après, elles verront… s’ils sont toujours aussi prêts à vivre avec elles. Autrement dit:  prière de ne plus confondre désir sexuel et véritable amour.  La boucle se referme et on en revient aux serments du début mais le contexte n’est plus le même! Entre temps, la mort s’est invitée comme souvent sans prévenir et a bouleversé la donne…

Malgré tout, la pièce finira par deux couplets pleins d’humour d’une merveilleuse chanson sur la vie à la campagne. Au printemps, d’abord.  «Quand nichent tourterelle et corbeau, et qu’on blanchit jupon d’été, Le coucou raille les maris, Sur tous les arbres, il s’écrie « Cocu. « Mais aussi en hiver:«Quand Jeanneton cuit la potée, Quand bruyamment, le vent se lève Et que la toux noie les sermons, Quand en dormant, les oiseaux rêvent, Et que rougit le nez de Marion, les pommes sifflent en cuisant, le hibou chante nuitamment « Tou-whit. »

Les dialogues sont aussi prétexte à Shakespeare pour faire des calembours érudits, pour jouer aussi sur les mots et pasticher des formes poétiques. Toutes choses impossibles à rendre plus de quatre siècles après. D’où la nécessité de coupes mais reste une belle fable sur la fin de l’apprentissage amoureux, avec l’élan vital de tous ces jeunes aristocrates, aussi beaux qu’intelligents. Et pour lesquels l’auteur a une véritable tendresse, même si elle est parfois teintée de moquerie. Avec un feu d’artifice textuel et une formidable galerie de personnages pittoresques comme Adriano de Armado, grand seigneur espagnol fantasque à la Don Quichotte, ridicule amoureux et sans le sou, Boyet un conseiller plus âgé de la Princesse, Puce le petit page d’Armado, Nathanael le curé, Courge, le valet rusé qui sait aussi bien jouer sur les mots que ces princes. Il y a aussi Holopherne le maître d’école, Butor le garde-champêtre, Jacquinette une jeune paysanne charmante et aussi rusée que Courge. Ces gens du peuple semblent être pour Shakespeare un contrepoids à la préciosité et à la culture un peu artificielle de ces aristocrates parfois empêtrés dans un langage affecté.

Oui, mais voilà, il y a une lourde distribution avec, au moins seize personnages et la pièce est loin d’être facile à appréhender. Jean-Pierre Vincent l’avait autrefois mise en scène avec les élèves de l’Ecole du Théâtre National de Strasbourg au festival d’Avignon mais nous n’avions pu en voir que le début pour cause de violent orage qui avait fusillé les réseaux électriques dans toute la ville. Andrezj Seweryn -c’était la première  réalisation du grand acteur polonais- l’avait aussi montée de façon tout à fait remarquable en 1992 avec ceux de l’Ecole du Théâtre National de Chaillot et Valérie Benguigui, disparue il y a quelques années, y jouait une éblouissante Princesse de France. Puis Françoise Coupat à Grenoble, Jean-Claude Penchenat à Créteil s’y étaient aussi frottés  comme Emmanuel Demarcy-Motta mais ses acteurs aguerris n’avaient pas vraiment l’âge de leur rôle dans cette comédie de la toute première jeunesse (sinon, elle perd son sens). Et ils semblaient un peu perdus sur le grand plateau du Théâtre de la Ville.

Ici dans le bel écrin du Théâtre Montansier, Hervé Van der Meulen a rassemblé d’anciens élèves et des élèves actuels de l’Ecole d’Asnières. Il a réalisé une mise en scène sobre mais pas convaincante du tout. Et comme la salle est à moitié vide, cela n’arrange rien. Côté positif : tous les acteurs ont une très bonne diction. Mais bon, c’est le minimum syndical! Ceux qui jouent le jeune Roi de Navarre et ses compagnons s’en sortent avec peine, boulent leur texte et criaillent souvent. Il n’y a guère de direction d’acteurs et la jeune comédienne qui essaye d’incarner en vain la Princesse de France, annone ses phrases et, comme ses suivantes, en robe de mariée en mousseline blanche, elle n’est pas crédible un instant. Quant aux personnages secondaires sauf Hervé van der Meulen (Boyet), cet acteur-metteur en scène ne sait pas trop comment les traiter. Ainsi Jacquinette, la jeune paysanne est ridicule, les Dieux savent pourquoi! Les éclairages, la plupart du temps crépusculaires, ne mettent donc pas en valeur les personnages. Et mieux vaut oublier la pseudo-scénographie: petits rideaux brechtiens bleus que les acteurs redisposent sans arrêt  à chaque noir, grand fauteuil vaguement Louis XIII pour Armado et petit guéridon rond en bois. Tous aux abris…

Et Hervé Van der Meulen aurait pu nous épargner ces noirs fréquents avec musique qui ne servent rigoureusement à rien et cassent un rythme déjà poussif. Il y a quand même une belle image à la presque fin : debout dans les loges du premier balcon côté jardin et côté cour, les huit jeunes gens regardent le petit spectacle sur la scène. Et, tout d’un coup, il se passe quelque chose mais on aura bien mérité ce vrai moment de théâtre… Avant l’arrivée du messager par la salle (vieux poncif du théâtre contemporain) mais, on  le voit de dos et ce moment capital n’a même pas l’efficacité souhaitable!

Puis tous alignés face public, les acteurs chantent en anglais quelques vers des couplets cités plus haut et c’est vraiment beau, même si on aurait bien aimé les entendre en entier et en français. Bref, on aura compris que rien ici n’est vraiment dans l’axe! Peines d’amour perdues vaut beaucoup mieux que cette chose approximative en deux heures assez longuettes! Vous pouvez donc vous abstenir, surtout si vous habitez Paris: le voyage en RER puis en bus dans Versailles, ressemble à un parcours du combattant, à l’aller comme au retour! Et les places au parterre sont à 39 €. A vous de voir…

Philippe du Vignal

Théâtre Montansier, 13 rue des Réservoirs, Versailles (Yvelines) jusqu’au 16 mars. T. : 01.39.20.16.00

 


Archive pour 13 mars, 2019

Peines d’amour perdues de William Shakespeare, mise en scène d’Hervé van der Meulen

Peines d’amour perdues de William Shakespeare, mise en scène d’Hervé Van der Meulen

Peines d'amour perdues(Love’s Labour’s Lost) sans doute une de ses premières comédies de l’immense  dramaturge, écrite vers 1595 quand il s’attaquait aussi à Roméo et Juliette et au Songe d’une nuit d’été. Ferdinand, le jeune Roi de Navarre et trois de ses compagnons, Biron, Longueville et du Maine, jurent de se consacrer à la philosophie et aux sciences et de n’avoir aucune aventure amoureuse… Et cela pendant plusieurs années. Bien entendu, leur projet ne tiendra pas longtemps la route (sinon, il n’y aurait pas de pièce!)
Arrive la magnifique Princesse de France venue négocier pour son père un traité concernant l’Aquitaine. Accompagné de ses trois amies, Rosaline, Maria et Catherine. Les jeunes gens vont évidemment en tomber très amoureux. Intrigues parallèles avec les amours des paysans  Jacquinette et Balourd, jeux de masques des huit jeunes gens… Et avec aussi une conclusion des plus amères et teintée d’une grande tristesse.

En effet, cette comédie, coup de génie comme le dit Jean-Michel Desprats son traducteur, ne finit pas comme toutes celles de l’époque… Pas de happy end, comme on dit en français! Il y a  d’abord une représentation d’une petite parodie de tragédie jouée par Armado, Boyet et les gens du peuple (bel exemple de théâtre dans le théâtre comme dans Le Songe d’une nuit d’été). Mais un messager envoyé de France arrive et dit juste deux mots à la Princesse: «Votre père». Elle a  aussitôt compris! La farce est  interrompue, un voile de tristesse s’abat sur tous et la fête est bien finie. Il va falloir passer aux choses sérieuses et le deuil du père, comme dans nombre de comédies de Shakespeare est ici comme un signal: fin du plaisir des joutes amoureuses et des insinuations érotiques. Aucun autre choix possible: l’avenir incertain frappe à la porte et tous ont le pressentiment que leur toute jeunesse a d’un coup disparu. On va donc être obligé de changer de braquet et les jeunes femmes vont mettre à l’épreuve leurs amoureux parjures. Très lucides quant à leur comportement presque enfantin, elles vont leur imposent d’aller vivre une année d’abstinence en solitaire ou s’occuper des agonisants. Après, elles verront… s’ils sont toujours aussi prêts à vivre avec elles. Autrement dit:  prière de ne plus confondre désir sexuel et véritable amour.  La boucle se referme et on en revient aux serments du début mais le contexte n’est plus le même! Entre temps, la mort s’est invitée comme souvent sans prévenir et a bouleversé la donne…

Malgré tout, la pièce finira par deux couplets pleins d’humour d’une merveilleuse chanson sur la vie à la campagne. Au printemps, d’abord.  «Quand nichent tourterelle et corbeau, et qu’on blanchit jupon d’été, Le coucou raille les maris, Sur tous les arbres, il s’écrie « Cocu. « Mais aussi en hiver:«Quand Jeanneton cuit la potée, Quand bruyamment, le vent se lève Et que la toux noie les sermons, Quand en dormant, les oiseaux rêvent, Et que rougit le nez de Marion, les pommes sifflent en cuisant, le hibou chante nuitamment « Tou-whit. »

Les dialogues sont aussi prétexte à Shakespeare pour faire des calembours érudits, pour jouer aussi sur les mots et pasticher des formes poétiques. Toutes choses impossibles à rendre plus de quatre siècles après. D’où la nécessité de coupes mais reste une belle fable sur la fin de l’apprentissage amoureux, avec l’élan vital de tous ces jeunes aristocrates, aussi beaux qu’intelligents. Et pour lesquels l’auteur a une véritable tendresse, même si elle est parfois teintée de moquerie. Avec un feu d’artifice textuel et une formidable galerie de personnages pittoresques comme Adriano de Armado, grand seigneur espagnol fantasque à la Don Quichotte, ridicule amoureux et sans le sou, Boyet un conseiller plus âgé de la Princesse, Puce le petit page d’Armado, Nathanael le curé, Courge, le valet rusé qui sait aussi bien jouer sur les mots que ces princes. Il y a aussi Holopherne le maître d’école, Butor le garde-champêtre, Jacquinette une jeune paysanne charmante et aussi rusée que Courge. Ces gens du peuple semblent être pour Shakespeare un contrepoids à la préciosité et à la culture un peu artificielle de ces aristocrates parfois empêtrés dans un langage affecté.

Oui, mais voilà, il y a une lourde distribution avec, au moins seize personnages et la pièce est loin d’être facile à appréhender. Jean-Pierre Vincent l’avait autrefois mise en scène avec les élèves de l’Ecole du Théâtre National de Strasbourg au festival d’Avignon mais nous n’avions pu en voir que le début pour cause de violent orage qui avait fusillé les réseaux électriques dans toute la ville. Andrezj Seweryn -c’était la première  réalisation du grand acteur polonais- l’avait aussi montée de façon tout à fait remarquable en 1992 avec ceux de l’Ecole du Théâtre National de Chaillot et Valérie Benguigui, disparue il y a quelques années, y jouait une éblouissante Princesse de France. Puis Françoise Coupat à Grenoble, Jean-Claude Penchenat à Créteil s’y étaient aussi frottés  comme Emmanuel Demarcy-Motta mais ses acteurs aguerris n’avaient pas vraiment l’âge de leur rôle dans cette comédie de la toute première jeunesse (sinon, elle perd son sens). Et ils semblaient un peu perdus sur le grand plateau du Théâtre de la Ville.

Ici dans le bel écrin du Théâtre Montansier, Hervé Van der Meulen a rassemblé d’anciens élèves et des élèves actuels de l’Ecole d’Asnières. Il a réalisé une mise en scène sobre mais pas convaincante du tout. Et comme la salle est à moitié vide, cela n’arrange rien. Côté positif : tous les acteurs ont une très bonne diction. Mais bon, c’est le minimum syndical! Ceux qui jouent le jeune Roi de Navarre et ses compagnons s’en sortent avec peine, boulent leur texte et criaillent souvent. Il n’y a guère de direction d’acteurs et la jeune comédienne qui essaye d’incarner en vain la Princesse de France, annone ses phrases et, comme ses suivantes, en robe de mariée en mousseline blanche, elle n’est pas crédible un instant. Quant aux personnages secondaires sauf Hervé van der Meulen (Boyet), cet acteur-metteur en scène ne sait pas trop comment les traiter. Ainsi Jacquinette, la jeune paysanne est ridicule, les Dieux savent pourquoi! Les éclairages, la plupart du temps crépusculaires, ne mettent donc pas en valeur les personnages. Et mieux vaut oublier la pseudo-scénographie: petits rideaux brechtiens bleus que les acteurs redisposent sans arrêt  à chaque noir, grand fauteuil vaguement Louis XIII pour Armado et petit guéridon rond en bois. Tous aux abris…

Et Hervé Van der Meulen aurait pu nous épargner ces noirs fréquents avec musique qui ne servent rigoureusement à rien et cassent un rythme déjà poussif. Il y a quand même une belle image à la presque fin : debout dans les loges du premier balcon côté jardin et côté cour, les huit jeunes gens regardent le petit spectacle sur la scène. Et, tout d’un coup, il se passe quelque chose mais on aura bien mérité ce vrai moment de théâtre… Avant l’arrivée du messager par la salle (vieux poncif du théâtre contemporain) mais, on  le voit de dos et ce moment capital n’a même pas l’efficacité souhaitable!

Puis tous alignés face public, les acteurs chantent en anglais quelques vers des couplets cités plus haut et c’est vraiment beau, même si on aurait bien aimé les entendre en entier et en français. Bref, on aura compris que rien ici n’est vraiment dans l’axe! Peines d’amour perdues vaut beaucoup mieux que cette chose approximative en deux heures assez longuettes! Vous pouvez donc vous abstenir, surtout si vous habitez Paris: le voyage en RER puis en bus dans Versailles, ressemble à un parcours du combattant, à l’aller comme au retour! Et les places au parterre sont à 39 €. A vous de voir…

Philippe du Vignal

Théâtre Montansier, 13 rue des Réservoirs, Versailles (Yvelines) jusqu’au 16 mars. T. : 01.39.20.16.00

 

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