En se couchant, il a raté son lit, d’après Daniil Harms, mise en scène de Lilo Baur et Jean-Yves Ruf

© Serge Bloch

© Serge Bloch

En se couchant, il a raté son lit, d’après les textes de Daniil Harms, traduction d’André Markowicz, mise en scène de Lilo Baur et Jean-Yves Ruf

«Pour moi, je ne supporte ni les cadavres, ni les enfants. - Ah! Oui, les enfants, c’est répugnant.» On en voit des choses, dès qu’on se penche à sa fenêtre, et pas forcément jolies, même si c’est «le début d’un très beau jour d’été. » Attention aux chutes récurrentes de vieilles dames. Mais c’est comme ça : la vie est faite d’incidents mineurs et majeurs, de cataclysmes qui ébranlent l’Homme, lequel se remet aussitôt debout avec l’obstination d’un culbuto. Mais s’il n’y avait que le monde… Il y a aussi les mots, lesquels ne manquent pas de trébucher en toute simplicité : avec tout ça, nous voilà bien.
Daniil Harms écrit de courts textes insolites vers les années vingt en U.R.S.S., sous la bannière de l’Obériou, autrement dit de l’Association pour un art réel, à laquelle appartient, entre autres personnalités remarquables, Kasimir Malevitch, le peintre du fameux Carré blanc sur fond blanc. Le mouvement prend l’art pour ce qu’il est : non pas une tentative de reproduction du réel, ni, selon Platon, la copie de cette copie qu’est notre monde, le réel étant le monde des Idées. Non, faisons table rase, la réalité de l’art n’est rien d’autre que l’art lui-même.

Le poète n’a pas peur de la métaphysique qui s’entend très bien avec le burlesque noir et l’absurde. Ces formes courtes et tragicomiques, nettoyées de toute “littérature“, on en retrouve l’inspiration chez Raymond Devos, avec sa dissection de la logique et du lexique, jusque chez Valère Novarina, par ailleurs, autrement plus disert. Mais aussi dans la blague populaire et dans certains dessins de Roland Topor: l’homme qui se mange lui-même, que va-t-il faire de sa bouche ?

Pascal Victor

Pascal Victor

« L’Homme Roux n’avait ni cheveux roux, ni bras, ni jambes. » (…) « Il n’avait rien du tout, de sorte qu’on se demande de qui on parle. Il est donc préférable de ne rien ajouter à son sujet.» Comment faire théâtre de cette poésie qui écarte toute psychologie, résume les anecdotes à l’essentiel, qui se réduit souvent à l’absurde, à l’inéluctable «rien»? Lilo Baur et Jean-Yves Ruf ont construit une mécanique délicate qui relie les textes entre eux, les ouvre et débusque leurs ressorts inattendus. Les (fortes) personnalités, les voix, les différentes gestuelles des acteurs, clowns élégants : tout cela crée une partition musicale très bien articulée avec les jeux de lumière de Jean Bellorini et le glissement de châssis gris. Comme un rappel du monde triste où nous vivons et  il arrive aux  comédiens d’être pendus aux portants comme des manteaux.

Tout est précis, juste, bien pensé et sensible et pourtant le texte ne nous parvient pas toujours. À qui la faute?  Sans aucun doute à la haute cage de scène du plateau que l’on a déshabillée de tout pendrillon ou rideau : c’est nu et cela fait  » moderne », mais happe les voix. Question insoluble : il faut tendre l’oreille mais les textes de Daniil Harms, comme ses interprètes: Élissa Alloula, Joan Bellviure, Jean-Christophe Cochard, Isabel Aimé, Gonzalez Sola, Laurence Mayor, Vincent Mourlon, et Pierre-Yves Poudou, le méritent bien. Mais cette nécessaire attention bloque parfois le rire et nous éloigne de cet objet rare.

Dommage! «A présent, le moment est venu de dire qu’il n’y a rien non seulement derrière Nikolaï Ivanovitch, mais aussi devant lui, mettons, devant son sein, et, en général, il n’y a rien autour. Absence complète de toute existence ou, selon la vieille plaisanterie des temps passés : absence de toute présence. Intéressons-nous toutefois uniquement au spiritueux.» Ajoutons : au spirituel…

Christine Friedel

Théâtre Gérard Philipe, 59 boulevard Jules Guesde, Saint-Denis (Seine-Saint-Denis), . T: 01 48 13 70 00, jusqu’au 31 mars.

Quelques textes de Daniil Harms sont disponibles aux éditions Verdier et Harpo. On les trouve à la librairie du Théâtre.
La traduction d’En se couchant, il  raté son lit d’André Markowicz est à paraître.


Archive pour 18 mars, 2019

Pourama Pourama, texte et conception de Gurshad Shaheman

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Pourama Pourama, texte et conception de Gurshad Shaheman

 Le Franco-Iranien Gurshad Shaheman a été lauréat de la Villa Médicis hors-les-murs et  a  créé Il pourra toujours dire que c’est pour l’amour du prophète au dernier festival d’Avignon. Cet oratorio théâtral faisait se rencontrer paroles d’exilés, jeunes comédiens et création sonore de Lucien Gaudion. Un spectacle réalisé la suite à de nombreux entretiens avec des personnes fuyant leur pays pour des raisons identitaires et politiques et/ou les guerres. Dans cette création, une quinzaine d’acteurs partageait une parole circulant à travers la salle, loin de tout réalisme…

Ici, il s’agit d’un étrange voyage, celui d’un jeune Iranien exilé qui nous fait traverser la guerre Iran-Irak… A l’entrée de la première salle, on nous distribue des masques et nous devons nous asseoir par terre sur des coussins, On entend une musique répétitive et plaintive signé aussi Lucien Gaudion,  Gurshad chuchote dans l’ombre et  parle de son enfance : «J’ai quatre ans,  mon père supervise les chantiers au pied de la frontière irakienne, la guerre on vit avec… Bien sûr il y a des coupures d’eau et d’électricité ! » De temps en temps on fait le ménage, on prépare les repas. Grand Maman me raconte une histoire. Parfois Maman prend la voiture, un air de liberté souffle sur la montagne, Grand Maman me mettait sur son dos. Plus tard, tu sera ingénieur comme Papa !  » (…) « Mon père se fait soigner à Dunkerque, le bar où je devais le retrouver est fermé, il est sur la place, ses poings fermés percutent ma poitrine. » (…) « Mon père me donne un petit cahier, nous traversons les montagnes du Kurdistan, il est important que je dessine chaque détail de ce paysage en ruines, tous mes dessins sont en couleur, ma mère me manque, je n’ose pas pleurer. Nous vivons terrés jusqu’au coucher du soleil. « (…) « Mon père est obligé de me laver, il m’explique qu’il ne faut jamais montrer sa nudité. La douche devient une volupté mêlée de honte! »

Gurshad Shaheman avance, nous fait lever et nous prie de changer de salle. Nous sommes accueillis à de petites tables où nous dégustons un caviar de légumes. Gurshad Shaheman,  en robe étincelante, épluche des légumes en écoutant les recettes de sa tante «reine de la casserole ». Il évoque sa mère qui voulait devenir avocate et nous sert des plats végétariens délicieux… Puis nous changeons de salle à nouveau. Nous sommes cette fois autour d’un espace carré entouré de rideaux lamés, et dans une robe étincelante, l’auteur-metteur en scène dit qu’il est attiré par les hommes : «Je m’installe chez Xavier à Toulon…» Il dit aussi qu’il vit de passes homosexuelles rétribuées et  joue aux fléchettes en parlant de ces relations. Puis, il y a un étrange tirage au sort: avec les numéros qu’on nous a distribués et qui s’affichent sur des panneaux lumineux, nous pouvons être appelés à pénétrer auprès de lui. Cet étrange questionnement sur l’identité sexuelle parle aussi de l’émigration subie et de l’intégration.

Edith Rappoport

Spectacle vu au Nouveau Théâtre de Montreuil, le 17 mars. T. :  01 48 70 48 90.

Potentia Guadendi, chantier de recherche sur les identités contemporaines dirigé par Gurshad Shaheman aura lieu avec les élèves-comédiens de l’ensemble 26 de l’E.R.A.C.M., les 21 et 22 mars, à la salle Maria Casarès du Nouveau Théâtre de Montreuil.

Le texte est édité aux Solitaires Intempestifs.

Circus Next (suite)

 

Circus Next (suite) : Surface par Familar Faces et  Materia par Andrea Salustri

 Les six spectacles présentés ici sont les lauréats d’un processus de sélection mené par Circus Next.  Sous la direction à Paris de Cécile Provôt, ce dispositif, (anciennement Jeunes Talents Cirque) labélisé par  la Commission européenne, soutient le cirque contemporain depuis 2001. Un jury  de professionnels et d’artistes des nations partenaires a, dès février 2018, sélectionné sur dossier douze auteurs émergents parmi cent seize candidats. En mai dernier, on a pu voir  uen dizaine de maquettes de ces futures pièces au Centre culturel Dommelhof, à Neerpelt près d’Anvers (voir Le Théâtre du Blog). 

Le jury a ensuite retenu, pour «l’originalité et la créativité des travaux en cours» : Andrea Salustri (Allemagne), le collectif Rafale (Belgique), Familiar Faces (Pays-Bas), Laura Murphy (Royaume-Uni), Mismo Nismo (Slovénie) et Monki Business (Pays-Bas). Depuis, chaque compagnie a fait évoluer son travail grâce à une aide de 6.000 €  et un temps de résidence dans des lieux partenaires. Les résultats sont là, encourageants pour les deux propositions que nous avons pu voir. (Sanctuaire sauvage du Collectif Rafale a été annulé pour cause d’accident : le cirque n’est jamais sans risque! )

 Surface (titre provisoire) par Familar Faces (Pays-Bas)

 

Milan Szypura

Milan Szypura

Ça glisse, sur le plateau recouvert d’eau ! Sur cette patinoire liquide, Josse de Broek, Hendrik Van Maele, Petra Steindl et Felix Zech expérimentent des portés acrobatiques : prises et équilibres changent dans ce nouvel élément et les corps mouillés se comportent autrement. Familiarisés avec un sol qui se dérobe, les artistes se lancent bientôt dans un ballet ludique. Puis, sous l’effet des lumières, la scène devient le miroir de leurs jeux corporels : d’étranges figures naissent de leurs reflets. Deux garçons luttent ainsi front contre front  et projettent une arche sur l’eau. Petra Steindel, dans la posture du pont, avance tête en bas et, s’immobilisant, avec de lents mouvements de bras, semble nager sur un lac argenté… Ces effets spéciaux réalisés avec une grande simplicité, confèrent une poésie fluide à ce spectacle bien construit et rythmé.

 Materia par Andrea Salustri (Allemagne)

Milan Szypura

Milan Szypura

 Le jeune Italien, bricoleur né, joue avec le vent et les matières sur le grand plateau où dominent le noir et le blanc. Danseur et philosophe de formation, il a progressivement découvert les arts de la rue et a conçu son spectacle lors de résidences à la Maison des Jonglages à la Courneuve (Seine-Saint-Denis), puis au Chameleon Theatre de Berlin où il compte le créer en 2020.

En attendant, équipé de ventilateurs, il fait vibrer de petites balles, danser des panneaux de polystyrène, voler des grains de riz.  Il s’active tranquillement d’une soufflerie à l’autre, anime des surfaces blanches qui oscillent et se déplacent, comme par magie dans les courants d’air ; il émiette ce matériau en copeaux légers sur les ailes du vent et s’amuse à faire bruire et vibrer cette matière en mouvement à l’aide de micros placés devant les machineries qu’il invente. A la fin, se réalise une vaste installation visuelle et sonore d’une grande originalité et qui a été longuement applaudie.

Il appartient maintenant aux programmateurs, venus d’un peu partout, et nombreux parmi le public, de faire leur choix et d’accueillir ces jeunes artistes en résidence, afin qu’ils finalisent leurs créations. Il nous faudra patienter jusqu’en janvier 2021 pour découvrir les prochains lauréats de Circus Next dans ce même théâtre. En attendant la cuvée 2019 semble excellente et mérite d’être suivie.

 Mireille Davidovici

 Spectacles vus le 16 mars, Théâtre de la Cité internationale, 21 A boulevard Jourdan, Paris XIVème.

Surface sera créé en octobre 2020 au festival Circolo à Tilburg (Pays-Bas).

 

Anaïs Nin/Une de ses vies, texte et mise en scène de Wendy Beckett

Anaïs Nin/Une de ses vies, texte et mise en scène de Wendy Beckett 

Belle et libre, écrivaine de talent, elle deviendra l’égérie du mouvement féministe des années soixante-dix… Mais Anaïs Nin (1903-1979) est aussi une grande séductrice dont l’Histoire a surtout retenu sa passion pour l’écrivain américain Henry Miller. Elle mène une vie tumultueuse, du moins pendant la période sur laquelle a écrit Wendy Beckett. La metteuse en scène australienne situe sa pièce dans le Paris des années folles, cet entre-deux guerres propice aux expérimentations littéraires et sexuelles. La jeune femme fréquente (souvent de près) des écrivains comme Antonin Artaud, Lawrence Durrell, Vladimir Nabokov, ou le photographe Brassai… et Henry Miller: «Je suis tombée amoureuse, parce qu’un homme en retournant ma main, a découvert de l’encre.» Le coup de foudre devient un imbroglio entre littérature et passion : June, la femme de l’écrivain, fascine Anaïs et elle deviendra aussi son amante…

 Si la vie amoureuse et l’écriture restent le socle de l’intrigue, le fantôme du père hante la scène, figure de l’absence et de l’abandon, mais aussi de l’amour absolu; l’héroïne parvient à s’en défaire grâce à son psychanalyste Otto Rank. Wendy Beckett ne fait que suggérer l’inceste, pourtant largement évoqué dans les écrits intimes d’Anaïs Nin. Dès onze ans, elle tint son Journal -d’abord adressé à son père parti trop loin, trop tôt-  et continua à l’écrire de manière compulsive jusqu’à sa mort: «Ce Journal est mon kif, mon haschisch, ma pipe d’opium. Ma drogue et mon vice.» Soit 35.000 pages manuscrites qu’elle publia au fil du temps dans une version expurgée, réservant le détail de ses débauches à des “Carnets rouges“, eux, tenus secrets. L’intégralité de ces textes ne parut qu’après sa mort.

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La metteuse en scène ne manquait donc pas de matériau pour réaliser au théâtre cette biographie. Malgré la petitesse du plateau, la scénographie élégante et astucieuse d’Halcyon Pratt ménage des espaces privés pour chaque personnage : table d’écriture d’Henry Miller, atelier d’Anaïs Nin où elle imprime artisanalement ses textes. Le canapé de l’auteure, réceptacle de ses ébats amoureux, devient aussi le divan du psychanalyste… Une vidéo discrète apparaît dans un médaillon en fond de scène : photos d’Anaïs enfant, et de Paris situant ses pérégrinations avec Henry Miller. Les costumes, signés Sylvie Skinazi, relèvent de la haute couture.

Dans ce spectacle de facture assez conventionnelle, on retrouve avec plaisir Célia Catalifa que nous avions remarquée dans Camille Claudel, la première mise en scène de Wendy Beckett à Paris et déjà à l’Athénée (voir Le Théâtre du Blog). Elle incarne avec charme et légèreté, sans jamais forcer, une femme de lettres exaltée et en quête d’absolu. Elle excelle dans la scène érotique avec Mathilde Libbrecht, qui joue une June Miller blonde et fougueuse. Les rôles masculins sont moins bien écrits : le père paraît emprunté dans la séquence peu convaincante des retrouvailles avec sa fille. Henry Miller (Laurent Maurel) est un rien caricatural. Mais les séances de psychanalyse avec Otto Rank ne manquent pas d’humour et apportent un point de vue intéressant sur le personnage principal.

 Nous entrons volontiers dans ces « années folles », bien rendues par la musique, le décor et les costumes, et suivons avec intérêt une des vies d’Anaïs Nin. Cette personnalité  hors du commun, en quête de sa propre vérité dans le réel comme dans la littérature, ouvre la voie à la modernité de l’autofiction. Elle impose aussi un point de vue féministe, osé en son temps ! «A l’époque où nous écrivions tous des histoires érotiques pour un dollar la page, je m’aperçus que, pendant des siècles, nous n’avions eu qu’un seul modèle pour ce genre littéraire, celui des hommes. J’étais déjà consciente que les conceptions masculines et féminines de l’expérience sexuelle étaient différentes. Je savais qu’un large fossé séparait la crudité des propos d’Henry Miller, de mes ambiguïtés -sa vision rabelaisienne et humoristique du sexe et mes descriptions poétiques des rapports sexuels dont je parlais dans les fragments non publiés de mon Journal

Entre ses amours multiples et volcaniques, elle finit par choisir l’écriture : «Je t’ai aimé, Henry et je m’en vais Henry. » (…)  «Je n’appartiens qu’à moi-même.» (…) «Je suis plus forte toute seule et je veux écrire.» Comme dans l’image finale où la comédienne danse, seule, avec sa machine à écrire… On pourra prolonger ce spectacle en se plongeant dans les Journaux d’Anaïs Nin: soixante-trois ans d’écriture.

Mireille Davidovici

Jusqu’au 30 mars, Athénée Théâtre Louis-Jouvet, 24 rue Caumartin Paris lX ème. T. 01 53 05 19 00.

 

 

Que viennent les barbares, texte de Sébastien Lepotvin et Myriam Marzouki, mise en scène de Myriam Marzouki

Que viennent les barbares, texte et dramaturgie de Sébastien Lepotvin et Myriam Marzouki, mise en scène de Myriam Marzouki

 

Crédit photo : Christophe Raynaud de Lage

Crédit photo : Christophe Raynaud de Lage

Ce qui nous regarde, une analyse des regards des uns et des autres en France, sur le voile et les femmes qui le portent, avait été créé en 2016 par Myriam Marzouki. Ce spectacle annonçait Que viennent les barbares , une création qui a pour thème les Français de la diversité. Il y a, en chacun de nous, un jugement spontané et incoercible, issu d’une mémoire individuelle et collective, mêlée de récits et de pratiques invisibles du quotidien. Suprématie de mythes collectifs puissants quant à l’appréciation largement acquise au cours des siècles, sur les originaires d’Asie et sur les gens dits « de couleur ». Les Blancs eux, pensant ne pas avoir de couleur !

Myriam Marzouki se penche sur l’évidence -de moins en moins manifeste, aujourd’hui- d’un imaginaire qui ne ferait pas entrer les Français « de la diversité », dans la traditionnelle «carte postale française». « Que viennent les barbares part d’un constat, dit Sébastien Lepotvin: des millions de citoyens, bien que nés en France, ne se sentent pas vraiment Français parce qu’ils ne sont pas perçus comme tels. Et, par ailleurs, des millions d’autres Français doivent, eux, faire le deuil d’une réalité qu’elle ait existé ou non, mais à jamais révolue. Elle est devenue moteur à fantasmes et rêveries nostalgiques: vivre auprès de ceux qui nous ressemblent en tous points. La colère et la peur se font donc face : ceux qui ont peur, ont peur de ceux qui sont en colère… et ceux qui sont en colère, le sont, contre ceux qui ont peur. »

Mais n’existe pas et n’a jamais existé une communauté de Français « de souche »: notre pays a toujours été celui de citoyens d’origine différente et, à la suite de la colonisation, se sont multipliées les appartenances et apparences de millions de Français… Un fait réel mais contesté par certains. Qui est l’Autre, «irréductiblement décalé d’un Nous, qui serait national». Ces hommes et femmes, comme ceux qui se disent blancs, participent tous du roman national et ont tressé ce rêve républicain qu’on se construit, à la manière de Rimbaud. Un rêve empreint de laïcité, puisqu’il fallait historiquement se libérer de l’emprise de l’Eglise catholique.

La République Française idéale accepterait les histoires multiples plutôt que ce roman national assez équivoque. Mais c’est encore un mythe! Le vivre-ensemble, où tous seraient frères, reste une utopie… Nous sommes tous des Nous qui sommes Autres et foncièrement Mêmes. Pour le plaisir du public, surgit sur scène James Baldwin (1924-1987). Dans Chronique d’un pays natal, Personne ne sait mon nom, La Prochaine fois, le feu, le grand écrivain américain interroge les relations entre Noirs et Blancs dans son pays et le pourquoi de l’oppression raciale. Maxime Tshibangu avec une belle élégance, joue James Baldwin et aussi Jean-Baptiste Belley, premier député français noir de la colonie française de Saint-Domingue, qui a siégé d’abord à la Convention puis au Conseil des Cinq-Cents. L’arrivée de ce premier député noir, accompagné de deux autres, Mills, un mulâtre et Dufaÿ, un blanc, incite l’Assemblée à décréter la première abolition de l’esclavage  en 1794.

Samira  Sedira est avec sincérité Toni Morisson l’écrivaine qui a revivifié la littérature afro-américaine, notamment avec son roman Belove. Elle reçut le prix Nobel de littérature en 1993; ici,  elle rend visite à un ami, qui sert d’intermédiaire d’une jeune journaliste française qui veut interviewer James Baldwin. Mohamed Ali, sautillant, contient ses harangues revendicatives sur un ring. Musiques, lumières et show à l’américaine avec les lumières de Christian Dubet. Yassine Harrada  interprète ce grand boxeur mais aussi un appariteur de bureau et un serveur de bar.

Jean Sénac (1926-1973) né en Oranie de famille ouvrière espagnole, dit quels sont ses engagements. Adhérant au F.L.N. en France, il avait choisi la nationalité algérienne et devint en 1962 le  conseiller du ministre de l’Éducation nationale. Puis, ne pouvant plus payer les arriérés de loyer de son logement à Alger, il s’installa dans une  cave formée de deux minuscules pièces. Il fit de nombreuses conférences sur la nouvelle poésie algérienne de langue française.  Les émissions poétiques de Sénac sont interdites en janvier 1972. Le jugeant menacé,  ses amis le pressent de quitter Alger, d’autant plus qu’il est homosexuel.  Mais il sera assassiné à l’arme blanche en 1973.

Louise Belmas, figure dansante, chapeau sur la tête, incarne le poète libre, discourant, criant sa passion pour l’Algérie, et attendant un Albert Camus qui ne dit mot. Du côté des Français, la secrétaire du bureau de l’Intégration, décide de qui pourra être reconnu ou non. Claire Lapeyre-Mazérat joue malicieusement les personnes figées sur une idée, mais dit aussi ses certitudes et ses doutes. L’actrice a eu l’honneur de recevoir l’anthropologue et ethnologue français Claude Lévi-Strauss (1908-2009) qui a voulu rendre mémoire à tous ses ancêtres. Joué ici avec une présence moqueuse par Marc Berman, coiffé de plumes d’oiseaux d’Amazonie, qui argumente, Tous ces personnages, si divers soient-ils, vivants ou non, se réunissent pour boire un verre au bar et goûter à la qualité de l’instant.

 A la fin -scénographie de Marie Szersnovicz- un diorama inspiré des anciens musées d’histoire naturelle nous offre un épilogue radieux. Un mode d’exposition théâtralisé avec des animaux empaillés, et, en période coloniale, des  personnages de «barbares» et de «primitifs». Les héros sont ici métaphoriquement mis en boîte et ce cabinet de curiosités laisse songeur. Que viennent les barbares est un joli moment de théâtre, inventif et allègre malgré la gravité du thème politique.

 Véronique Hotte

 Jusqu’au 23 mars, MC93, 9 boulevard Lénine, Bobigny (Seine-Saint-Denis). T. : 01 41 60 72 72.

Comédie de Reims-Centre dramatique national, du 26 au 29 mars.

La Passerelle-Scène nationale de Saint-Brieuc, le 4 avril. MC2 de Grenoble, du 9 au 11 avril. Comédie de Béthune-Centre Dramatique National des Hauts-de-France, du 23 au 26 avril.

Théâtre Dijon-Bourgogne-Centre Dramatique National, Festival Théâtre en mai, du 27 au 29 mai.

Concert par le Gamelan Pus Parwana et le Surnatural Orchestra

Concert par le Gamelan Puspa Warna et le Surnatural Orchestra

8D13B01E-2795-4024-9249-FD41C0287272Dans le cadre d’une grande journée indonésienne, cet évènement regroupe l’ensemble Puspa Warna, un groupe de vingt musiciens, basé à Paris, et spécialisé dans la musique du gamelan balinais, surtout composé essentiellement de percussions, gongs, cymbales, métallophones et xylophones, tambours  en peau de buffle, flûtes, etc. mais aussi chants féminins et masculins. Le gamelan accompagne aussi le fameux Wayang kulit (théâtre d’ombres). Le Puspa Warna a été créé en 2011, suite à la venue en France du musicien balinais I Nyoman Kariasa, et a développé son répertoire auprès de musiciens comme I Made Wardana et Michael Tenzer. Puspa Warna collabore étroitement avec la danseuse Kadek Puspasari et les comédiens Tapa Sudana et Mas Soegeng, et a créé de nombreux spectacles mêlant danse, musique et théâtre. Et il dirige aussi des ateliers.

Ici, le Surnatural Orchestra avec quatorze musiciens (saxophone, batterie, flûtes, trombones,  corne…) et le Puspa Warna vont s’affronter joyeusement au cours d’une unique séance; la salle est bourrée d’adultes et de jeunes enfants ravis qui ont suivi pour la plupart l’ensemble de  l’opération. Le Surnaturel Orchestra s’est installé au début du mois à l’Echangeur, avec ces ateliers de formation et fait cohabiter musiques savantes, dansantes mais aussi populaires et déviantes. En cette fin de journée, les gradins ont été repliés pour gagner de la place et le public, assis par terre, est chauffé à blanc pour accueillir cet étrange concert: du jamais vu ! 

Une forme gonflable inquiétante, énorme avec un museau pointu, envahit l’espace. Puis la bête s’aplatit et laisse place à l’orchestre balinais. Quatre danseuses avec leurs éventails virevoltent. Le Surnaturel Orchestra intervient : «Ils sont des millions, quelle plus belle saison que le printemps  avec des masques !» On entend des sifflements bizarres. Les Balinais dont plusieurs sont masqués valsent devant l’orchestre, quatre femmes agitent des voiles blancs, un énorme Dragon aux dents crochues, aux longs doigts  et à la longue chevelure entre en scène. Les femmes chantent, elles font rire. Cette alternance des deux groupes qui s’affrontent et se mélangent, des plus insolites, ravit le public qui les a salué longuement. Le Théâtre de l’Echangeur de Bagnolet organise des soirées singulières à ne pas manquer comme Sonic Protest quinzième édition, les 29 et 30 mars et Oumou Sangaré dans le cadre de Banlieues Bleues, trente-sixième édition, le 11 avril.

Edith Rappoport

Spectacle vu le 16 mars au Théâtre de l’Echangeur,  59 avenue du Général de Gaulle, Bagnolet (Seine-Saint-Denis). T. : 01 43 62 71 20.

T. : 01 43 62 71 20

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