Anaïs Nin/Une de ses vies, texte et mise en scène de Wendy Beckett
Anaïs Nin/Une de ses vies, texte et mise en scène de Wendy Beckett
Belle et libre, écrivaine de talent, elle deviendra l’égérie du mouvement féministe des années soixante-dix… Mais Anaïs Nin (1903-1979) est aussi une grande séductrice dont l’Histoire a surtout retenu sa passion pour l’écrivain américain Henry Miller. Elle mène une vie tumultueuse, du moins pendant la période sur laquelle a écrit Wendy Beckett. La metteuse en scène australienne situe sa pièce dans le Paris des années folles, cet entre-deux guerres propice aux expérimentations littéraires et sexuelles. La jeune femme fréquente (souvent de près) des écrivains comme Antonin Artaud, Lawrence Durrell, Vladimir Nabokov, ou le photographe Brassai… et Henry Miller: «Je suis tombée amoureuse, parce qu’un homme en retournant ma main, a découvert de l’encre.» Le coup de foudre devient un imbroglio entre littérature et passion : June, la femme de l’écrivain, fascine Anaïs et elle deviendra aussi son amante…
Si la vie amoureuse et l’écriture restent le socle de l’intrigue, le fantôme du père hante la scène, figure de l’absence et de l’abandon, mais aussi de l’amour absolu; l’héroïne parvient à s’en défaire grâce à son psychanalyste Otto Rank. Wendy Beckett ne fait que suggérer l’inceste, pourtant largement évoqué dans les écrits intimes d’Anaïs Nin. Dès onze ans, elle tint son Journal -d’abord adressé à son père parti trop loin, trop tôt- et continua à l’écrire de manière compulsive jusqu’à sa mort: «Ce Journal est mon kif, mon haschisch, ma pipe d’opium. Ma drogue et mon vice.» Soit 35.000 pages manuscrites qu’elle publia au fil du temps dans une version expurgée, réservant le détail de ses débauches à des “Carnets rouges“, eux, tenus secrets. L’intégralité de ces textes ne parut qu’après sa mort.
La metteuse en scène ne manquait donc pas de matériau pour réaliser au théâtre cette biographie. Malgré la petitesse du plateau, la scénographie élégante et astucieuse d’Halcyon Pratt ménage des espaces privés pour chaque personnage : table d’écriture d’Henry Miller, atelier d’Anaïs Nin où elle imprime artisanalement ses textes. Le canapé de l’auteure, réceptacle de ses ébats amoureux, devient aussi le divan du psychanalyste… Une vidéo discrète apparaît dans un médaillon en fond de scène : photos d’Anaïs enfant, et de Paris situant ses pérégrinations avec Henry Miller. Les costumes, signés Sylvie Skinazi, relèvent de la haute couture.
Dans ce spectacle de facture assez conventionnelle, on retrouve avec plaisir Célia Catalifa que nous avions remarquée dans Camille Claudel, la première mise en scène de Wendy Beckett à Paris et déjà à l’Athénée (voir Le Théâtre du Blog). Elle incarne avec charme et légèreté, sans jamais forcer, une femme de lettres exaltée et en quête d’absolu. Elle excelle dans la scène érotique avec Mathilde Libbrecht, qui joue une June Miller blonde et fougueuse. Les rôles masculins sont moins bien écrits : le père paraît emprunté dans la séquence peu convaincante des retrouvailles avec sa fille. Henry Miller (Laurent Maurel) est un rien caricatural. Mais les séances de psychanalyse avec Otto Rank ne manquent pas d’humour et apportent un point de vue intéressant sur le personnage principal.
Nous entrons volontiers dans ces « années folles », bien rendues par la musique, le décor et les costumes, et suivons avec intérêt une des vies d’Anaïs Nin. Cette personnalité hors du commun, en quête de sa propre vérité dans le réel comme dans la littérature, ouvre la voie à la modernité de l’autofiction. Elle impose aussi un point de vue féministe, osé en son temps ! «A l’époque où nous écrivions tous des histoires érotiques pour un dollar la page, je m’aperçus que, pendant des siècles, nous n’avions eu qu’un seul modèle pour ce genre littéraire, celui des hommes. J’étais déjà consciente que les conceptions masculines et féminines de l’expérience sexuelle étaient différentes. Je savais qu’un large fossé séparait la crudité des propos d’Henry Miller, de mes ambiguïtés -sa vision rabelaisienne et humoristique du sexe et mes descriptions poétiques des rapports sexuels dont je parlais dans les fragments non publiés de mon Journal.»
Entre ses amours multiples et volcaniques, elle finit par choisir l’écriture : «Je t’ai aimé, Henry et je m’en vais Henry. » (…) «Je n’appartiens qu’à moi-même.» (…) «Je suis plus forte toute seule et je veux écrire.» Comme dans l’image finale où la comédienne danse, seule, avec sa machine à écrire… On pourra prolonger ce spectacle en se plongeant dans les Journaux d’Anaïs Nin: soixante-trois ans d’écriture.
Mireille Davidovici
Jusqu’au 30 mars, Athénée Théâtre Louis-Jouvet, 24 rue Caumartin Paris lX ème. T. 01 53 05 19 00.