Le Square de Marguerite Duras, mise en scène de Gérard Elbaz

Le Square de Marguerite Duras, mise en scène de Gérard Elbaz

0BCFEC67-24ED-41EF-9147-4CAC1F9B682C A l’origine, un roman essentiellement dialogué et publié en 1955.  Marguerite Duras, cinq ans plus tard, le reprit pour l’affirmer dans sa forme actuelle, théâtrale. Et dans cette dénomination incertaine,  perce une légère ironie sur les qualifications que le monde littéraire s’évertuera à accoler à son œuvre. Et à l’intérieur de cette légèreté, s’inscrit la très belle mise en scène de Gérard Elbaz.

Il installe ses acteurs sur deux praticables en  V ouvert en direction du public, à une hauteur qui suspend l’action au-dessus du réel, juste un peu plus haut que le sol : comme deux pages blanches, délicatement éclairées, voici l’espace de la fiction. Le dialogue s’instaure entre cette jeune femme qu’on découvrira nurse et bonne à tout faire dans une maison bourgeoise,  et lui, un homme plus âgé, voyageur de commerce, emmuré dans sa solitude, sans autre attache que sa petite valise.

Commencé à mots menus, leur dialogue, peu sûr au début, les installe dans le seul univers qui les porte, celui du langage. Ils sont assis dans les mots, et non sur un banc de square. Elle attend quelque chose de la vie : le mariage qui lui donnera la liberté, pense-t-elle. Et lui, confie son abandon d’éternel déplacé, sans espoir. Mais la résignation de l’un n’est pas à l’opposé de l’attente ardente de l’autre… Deux faces d’une même pauvreté: ce qui les empêche d’affirmer qu’ils sont maîtres de  leurs  désirs. Commencer ? Recommencer ? Quel sens donner à ces mots, lorsqu’on vit au jour le jour ?

Et le soir tombe : à plusieurs reprises, le soleil couchant qui flamboie dans un parc zoologique et fait rougeoyer la crinière des lions, met le feu à la mer pendant que la ville est déjà dans l’ombre.  Marguerite Duras offre à cet homme les seules pensées un peu lyriques qu’il s’autorisera. Manifestation de l’énergie vitale de la nature? Et pourquoi pas de chacun d’entre nous ? Alors demain sans doute  est-il plein, finalement, au lieu d’être vide ? Il n’y a rien de romanesque dans ce texte et on ne croit pas vraiment à un «happy-end» qui n’est pas le sujet. Légèreté encore une fois de Marguerite Duras qui extrait ses personnages de leur assignation, pour leur donner quelques moments privés de conversation dans un jardin public. Ils ont la possibilité de transgresser ce à quoi ils sont socialement condamnés: le silence.

La délicatesse (et la fermeté aussi) de la direction d’acteurs, laisse entrevoir qu’à tout moment, ils sont menacés de retourner à ce silence. A leur insu, s’est créée une intimité dont ils ne savent pas quoi faire : chacun découvre en l’autre un monde différent dont ils ignorent tout. Peut-être lui, l’homme, est-il ce(lui) qu’elle attend, mais il arrive dans l’univers des mots et non pas au bal où elle pense trouver un mari. Et elle qui lui fait découvrir l’univers des femmes et de la danse qui lui sont inconnus, peut-elle le sortir de sa condition de solitaire? A tout moment, le silence peut retomber, chacun évite que sombre l’échange car ni l’un ni l’autre n’a l’expérience de la conversation. Parler de soi? A qui donc? Et les désirs, les rêves, les espoirs, ne sont pas au programme de ces existences closes. Mais comme elle dit : «On parle, Monsieur, et, comme on ne se connaît pas, vous pouvez me dire la vérité… « 

L’invitation finale de la femme à retrouver l’homme au bal qu’elle fréquente tous les samedis, n’est qu’une façon de le quitter: la nuit tombe et il faut bien rentrer. Et avec la nuit, il aura réalisé ce qu’elle attend dans le seul univers des mots.  Le spectateur est renvoyé, lui aussi, à ce qu’il attend, aux mots qu’il emploie chaque jour pour parler d’avenir… tout en sachant que les jeux sont faits.

 Cette première mise en scène est soutenue par la sobre et élégante scénographie d’Emma Depoid. Le metteur en scène offre à Martine Thinières et Stéphane Valensi, le texte de Marguerite Duras, comme on offre une partition à des solistes. Chacun joue sa musique mais c’est finalement l’auteure qui nous enchante. Il y a un court prologue extrait du roman (1952) de Ralph Ellison Homme invisible, pour qui chantes-tu? que les acteurs disent dans l’ombre. Une fois la pièce terminée, ce texte nous revient en mémoire. Et avec lui, ce que disait Marguerite Duras, de ces vies invisibles : «C’étaient des bonnes à tout faire, les milliers de Bretonnes qui débarquaient dans les gares de Paris. C’étaient aussi des colporteurs de campagne, les vendeurs de fils et d’aiguilles, et tous les autres… Le seul souci de ces gens, c’était leur survie : ne pas mourir de faim, essayer chaque soir de dormir sous un toit. »

 Aujourd’hui, avec le retour de la précarité et de ceux que Gérard Elbaz appelle «les invisibles», les  personnages du Square nous sont terriblement familiers. Il faut donc rendre grâce à ce spectacle de nous faire entrevoir, dans ces vies en apparence closes, une part poétique du monde.

 Marie-Agnès Sevestre

Jusqu’au 25 mars, Lilas en scène, 23 bis rue Chassagnolle, Les Lilas (Seine-Saint-Denis). T. : 01 43 63 41 61.


Archive pour 24 mars, 2019

La mort d’Agrippine de Hercule Savinien de Cyrano de Bergerac, mise en scène de Daniel Mesguich

La mort d’Agrippine d’Hercule Savinien de Cyrano de Bergerac, mise en scène de Daniel Mesguich

©Chantal Depagne

©Chantal Depagne

Notre écrivain-soldat de la première moitié baroque du XVII ème siècle, dont la vie a été revue et romancée en 1894 par Edmond Rostand  qu écrit l’une des pièces populaires  du théâtre français, devait bien connaître l’histoire romaine.  Comme Thomas et Pierre Corneille, puis Racine, il avait sans doute eu entre les mains la La Vie des douze Césars, d’un Suétone aussi bien documenté, que mauvaise langue  envers les successeurs de César et d’Auguste, collectionneur d’anecdotes salées et rumeurs troubles. Complots, assassinats, incestes et générations consanguines : cette union d’Eros et Thanatos  était bien dans l’air du temps:  la Fronde et les débuts chaotiques du règne de Louis XIV.

Pour sa mise en scène de l’unique tragédie écrite par  Cyrano  de Bergerac, Daniel Mesguich revient à son obsession du miroir (sa compagnie a pour nom Miroir et Métaphore) et les répliques des protagonistes sont souvent doublées par  celles de “confidents“. On retrouvera aussi le «trouble dans le genre» avec un Tibère joué par une actrice, comme  il l’avait fait autrefois pour sa mise en scène de Britannicus de Racine), ce qui ne facilite pas la lecture…

Car  cette affaire compliquée   semble avoir séduit le metteur en scène. On ne résumera pas l’enchaînement sans fin de causes et d’effets qui conduit Agrippine, veuve de Germanicus et qui veut le venger, à feindre d’aimer Sejanus, qui, lui-même, feint d’aimer Livilla, la belle-sœur d’Agrippine, laquelle feint de dénoncer un complot contre l’empereur, qui feint… Le tout entrelardé de morts, vengeances, re-morts et re-vengeances, complots et trahisons. Daniel Mesguich a beau donner  en off, avec sa belle voix radiophonique, des explications narratives et dramaturgiques entre les scènes, tout cela reste confus, répétitif, et on se lasse assez vite. Jusqu’à se demander si cette pièce méritait vraiment d’être exhumée.

Une scène, cependant, fait exception et place la pièce ailleurs que dans ce brouillon surchargé et maladroit de nos grands classiques : le bref discours de Sejanus sur la mort, hérité directement des Epicuriens. En un mot : pourquoi avoir peur de sa propre mort, tant que l’on est vivant et que, par conséquent, on ne peut en rien la connaître ? Et quand après la mort, on n’est plus là pour ressentir quoi que ce soit ? Là, on rencontre le vrai Cyrano libertin, c’est-à-dire libre penseur. L’esthétique choisie, pour distinguer sans doute ce théâtre baroque, du classique, relève de la bande dessinée, de l’“heroic fantasy“, de Games of thrones outrés.  Aucun décor : des bouffées de brume y suffisent et un pauvre fauteuil figure un trône. Tout se joue grâce aux costumes : guerrières hyper-sexy, en bottes et robe ouverte; Tibère au féminin, est habillé de lambeaux de pourpre et  dépouilles de renard, avec nombre tresses  “barbares“ et en collant soigneusement incisé et moulant les cuisses. Il a bien fallu trois créateurs de costumes : Dominique Louis, Stéphane Laverne, et Jean-Michel Angays pour ce cabaret. Caroline Marcadé a réglé au millimètre les chorégraphies et tableaux vivants, ce qui renvoie d’autant plus au grand spectacle de revue.  Diction impeccable: tout ici est parfaitement réglé, avec son quotient de cris maîtrisés et de rires sardoniques.

Mais cela ne fait pas de la pièce autre chose qu’une curiosité, et Cyrano de Bergerac n’est pas  William Shakespeare. Comme le personnage d’Edmond Rostand, le vrai Cyrano n’a pas eu de chance et son unique comédie, Le Pédant joué, a bien mieux réussi mais a été génialement pillée par Molière dans ses Fourberies de Scapin. Lisons plutôt son seul roman, utopique, Les États et empires de la lune et du soleil, où le libertin ouvre la voie au siècle des Lumières. Mais pour cette tragédie, qu’il est ingrat d’être un précurseur !

Christine Friedel

Théâtre Dejazet, 41 boulevard du Temple, Paris (IIIe), jusqu’au 20 avril. T. : 01 48 87 52 55.

 

 

Soirée d’ouverture du Printemps de la danse arabe #1

© Mario Jarweh

© Mario Jarweh

 

Et si demain de Nidal Abdo, Jusqu’àL de Washko Soyons fous de Seush

 

Pour la soirée d’ouverture, d’emblée dédiée à la jeunesse, à l’émergence et à la création en conditions difficiles, le Printemps de la danse arabe #1 proposait ce vendredi un spectacle en trois approches.

Avec Nidal Abdo, palestino-syro-ukrainien, formé à Damas et partie prenante de l’Enana Danse Theater, puis contraint à l’exil en 2016, l’accent était mis sur l’accueil en France d’artistes réfugiés. Car s’il a dansé et tourné avec les Ballets Caracalla de Beyrouth et connu une carrière internationale, il lui a fallu quitter la région pour la France, où il a été intégré au sein de l’Atelier des artistes en exil fondé par les excellents Ariel Cypel et Judith Depaule. Il a ainsi pu continuer à travailler, en particulier au sein du spectacle Va voir là-bas si j’y suis créé par Thierry Thieu Niang l’an dernier.

Nidal Abdo a créé en France le collectif Nafass (« respiration profonde ») en mai 2018, avec trois autres danseurs qui ont, comme lui, connu l’exil à partir de la Syrie et avec lesquels il propose Et si demain. Sa chorégraphie assez sensuelle, voluptueuse parfois, offre tout un univers de sensations à ces corps masculins pourtant très coordonnés, assujettis peut-être à un rituel un peu mystérieux. Obéissance, acceptation, oui mais aussi résistance, grâce au plaisir de vivre partagé dans la communauté. Dans un second mouvement, chacun semble se libérer, et recouvrer un peu d’autonomie : solos, échappées, défont le cercle convenu, libèrent des individualités.

Le spectacle se termine de façon assez abrupte, au moment où on se laissait aller, porté par le pur chef d’œuvre musical du trio Joubran.

 Le deuxième moment de la soirée, peut-être le plus personnel, est venu du danseur chorégraphe Washko qui partage son temps entre Moroni et la France. Déjà vue à Suresnes Cité Danse, sa proposition Jusqu’à L a été soutenue par les Bambous, scène nationale de la Réunion. Bien repéré dans l’Océan Indien, le danseur construit une carrière originale. Pour cette pièce, il exprime avec maturité le combat d’un homme avec la lumière, celle-ci tantôt menaçante tantôt complice. « La flamme, le feu, la lumière, la nature, l’obscurité, l’humanité… A qui va rester l’humanité ? », scande-t-il tout en développant une danse très physique, traversée par le hip hop comme par les danses de combat. Soumis, affaissé, jouant avec les ombres il s’affirme petit à petit, homme debout : de la soumission à la maîtrise, il a fait de la lumière sa complice de jeu.

En clôture de cette soirée, l’IMA proposait une autre pièce, présentée par Suresnes Cité Danse, Soyons fous, création d’une compagnie elle aussi issue des Comores. Seush a découvert le krump vers 2007 et a fait ses expériences de solo dans la rue. Ses longs séjours au Sénégal, sa rencontre avec le chorégraphe Anthony Igea en 2009, la pratique du hip hop, combinés à sa capacité à s’entourer d’un groupe soudé de danseurs, lui confèrent aujourd’hui une certaine maturité. Sans doute la construction dramaturgique de sa pièce est-elle encore un peu chaotique, sans doute lui manque-t-il la force poétique pour nourrir toute cette énergie et ces déplacements parfois un peu vains. Mais le groupe a du plaisir à danser ensemble, et à jouer avec le public.

 

Un bémol : la soirée pourtant généreuse en jeunes talents s’est conclue sans qu’aucune femme ne soit présente, ni comme interprète ni comme chorégraphe…Le week-end qui suit viendra heureusement rétablir l’équilibre, en particulier avec Shaymaa Shoukry, basée en Egypte.

 Marie-Agnès Sevestre

 

Institut du Monde arabe

1 rue des Fossés Saint Bernard – Paris Ve

01 40 51 38 38

 

Prochains rendez-vous du Printemps de la danse arabe #1 :

Les 29 et 30 mars au CentQuatre : restitution publique de la résidence chorégraphique de Shaymaa Shoukry

Du 27 au 30 mars à Chaillot – Théâtre national de la danse : Le Lac des cygnes par le Ballet de l’Opéra national du Rhin, chrorégraphie Radhouane El Meddeb

www.imarabe.org

 

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