La mort d’Agrippine de Hercule Savinien de Cyrano de Bergerac, mise en scène de Daniel Mesguich
La mort d’Agrippine d’Hercule Savinien de Cyrano de Bergerac, mise en scène de Daniel Mesguich
Notre écrivain-soldat de la première moitié baroque du XVII ème siècle, dont la vie a été revue et romancée en 1894 par Edmond Rostand qu écrit l’une des pièces populaires du théâtre français, devait bien connaître l’histoire romaine. Comme Thomas et Pierre Corneille, puis Racine, il avait sans doute eu entre les mains la La Vie des douze Césars, d’un Suétone aussi bien documenté, que mauvaise langue envers les successeurs de César et d’Auguste, collectionneur d’anecdotes salées et rumeurs troubles. Complots, assassinats, incestes et générations consanguines : cette union d’Eros et Thanatos était bien dans l’air du temps: la Fronde et les débuts chaotiques du règne de Louis XIV.
Pour sa mise en scène de l’unique tragédie écrite par Cyrano de Bergerac, Daniel Mesguich revient à son obsession du miroir (sa compagnie a pour nom Miroir et Métaphore) et les répliques des protagonistes sont souvent doublées par celles de “confidents“. On retrouvera aussi le «trouble dans le genre» avec un Tibère joué par une actrice, comme il l’avait fait autrefois pour sa mise en scène de Britannicus de Racine), ce qui ne facilite pas la lecture…
Car cette affaire compliquée semble avoir séduit le metteur en scène. On ne résumera pas l’enchaînement sans fin de causes et d’effets qui conduit Agrippine, veuve de Germanicus et qui veut le venger, à feindre d’aimer Sejanus, qui, lui-même, feint d’aimer Livilla, la belle-sœur d’Agrippine, laquelle feint de dénoncer un complot contre l’empereur, qui feint… Le tout entrelardé de morts, vengeances, re-morts et re-vengeances, complots et trahisons. Daniel Mesguich a beau donner en off, avec sa belle voix radiophonique, des explications narratives et dramaturgiques entre les scènes, tout cela reste confus, répétitif, et on se lasse assez vite. Jusqu’à se demander si cette pièce méritait vraiment d’être exhumée.
Une scène, cependant, fait exception et place la pièce ailleurs que dans ce brouillon surchargé et maladroit de nos grands classiques : le bref discours de Sejanus sur la mort, hérité directement des Epicuriens. En un mot : pourquoi avoir peur de sa propre mort, tant que l’on est vivant et que, par conséquent, on ne peut en rien la connaître ? Et quand après la mort, on n’est plus là pour ressentir quoi que ce soit ? Là, on rencontre le vrai Cyrano libertin, c’est-à-dire libre penseur. L’esthétique choisie, pour distinguer sans doute ce théâtre baroque, du classique, relève de la bande dessinée, de l’“heroic fantasy“, de Games of thrones outrés. Aucun décor : des bouffées de brume y suffisent et un pauvre fauteuil figure un trône. Tout se joue grâce aux costumes : guerrières hyper-sexy, en bottes et robe ouverte; Tibère au féminin, est habillé de lambeaux de pourpre et dépouilles de renard, avec nombre tresses “barbares“ et en collant soigneusement incisé et moulant les cuisses. Il a bien fallu trois créateurs de costumes : Dominique Louis, Stéphane Laverne, et Jean-Michel Angays pour ce cabaret. Caroline Marcadé a réglé au millimètre les chorégraphies et tableaux vivants, ce qui renvoie d’autant plus au grand spectacle de revue. Diction impeccable: tout ici est parfaitement réglé, avec son quotient de cris maîtrisés et de rires sardoniques.
Mais cela ne fait pas de la pièce autre chose qu’une curiosité, et Cyrano de Bergerac n’est pas William Shakespeare. Comme le personnage d’Edmond Rostand, le vrai Cyrano n’a pas eu de chance et son unique comédie, Le Pédant joué, a bien mieux réussi mais a été génialement pillée par Molière dans ses Fourberies de Scapin. Lisons plutôt son seul roman, utopique, Les États et empires de la lune et du soleil, où le libertin ouvre la voie au siècle des Lumières. Mais pour cette tragédie, qu’il est ingrat d’être un précurseur !
Christine Friedel
Théâtre Dejazet, 41 boulevard du Temple, Paris (IIIe), jusqu’au 20 avril. T. : 01 48 87 52 55.