Dom Juan ou le festin de pierre, un spectacle de Jean Lambert-wild et Lorenzo Malaguerra

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©Tristan Jeanne-Valès

Dom Juan ou le festin de pierre, un spectacle de Jean Lambert-wild et Lorenzo Malaguerra

Les créateurs avertissent avec honnêteté: il s’agit d’une adaptation de la plus célèbre pièce du théâtre français. Avec des coupures importantes et aussi quelques emprunts à Tirso de Molina, l’auteur dont Molière s’était inspiré, Pouchkine ou Lord Byron, de toute façon invisibles à moins  que l’on soit spécialiste mais l’essentiel du texte est bien celui de Molière. Chacun en France, disait Louis Jouvet, même son coiffeur, a une idée précise du personnage…

«Mon Clown, dit Jean Lambert-wild, a la prétention de coudre son oubli et de broder sa mémoire, en suivant le fil de grandes figures mythologiques. (…) Il m’a fallu comprendre qui était Richard, et maintenant qui est Dom Juan. Il s’agit de trouver les points qui relient mon âme à  eux, mais aussi peut-être ce qu’ils ont en commun l’un et l’autre. Actuellement, en moi, Richard et Dom Juan conversent. Ils négocient les termes de l’échange de mon corps et de ma voix. »

Il arrive en pyjama bleu pâle d’un clown au visage maquillé de blanc « qui a volé les habits de Dom Juan”. C’est à la fois la réussite du spectacle: l’acteur-metteur en scène a voulu, sinon décaper, du moins gommer l’image traditionnelle de Dom Juan et il y parvient sans difficulté. Et il a raison de dire que le protagoniste n’est pas seulement un cynique sans scrupule et dragueur de femmes. Il l’est sans aucun doute dans les scènes avec Elvire ou dans celles où il drague les jeunes femmes du peuple. Mais il a surtout, et très lié chez lui, un rapport obsessionnel à la mort dont le Commandeur est le symbole permanent. Dom Juan, selon Jean Lambert-wild, est une sorte de stoïcien et d’anarchiste qui sait que tout finit par se payer dans la vie mais qui n’en a cure. Droit dans ses bottes de grand bourgeois séducteur, indifférent aux dettes qu’il a accumulées et n’ayant aucune scrupule à pourfendre  la morale établie  et les valeurs chrétiennes.  Autrement dit: une véritable bombe dans la France catholique de Louis XIV. Et dont il n’est pas facile de trouver l’équivalent actuel…

Ici, on assiste à un  brillant exercice d’acteur clownesque mais qui  entraîne ipso facto un peu de sécheresse et un certain manque d’émotion. Les rapports entre Dom Juan et  Sganarelle sonnent juste mais beaucoup moins ceux avec Elvire, à la fin toute en deuil et enceinte d’une baudruche… qu’il crèvera d’un coup de couteau. Gag facile. Hélène Cerles, la  jeune élève-actrice de l’Académie de Limoges, ne semble pas en tout cas très à l’aise dans ce rôle magnifique mais court, et l’un des plus difficiles à assumer, surtout quand on est face à un clown… En revanche, Romain Bertrand, un autre ex-élève, est excellent dans un rôle de composition, celui du père de Dom Juan. Et son petit mouvement de recul -un petit rien du tout mais si juste- quand il voit, silencieux mais absolument horrifié, son fils en travelo. C’est la marque d’un futur très bon acteur. Et Laure Descamps (Charlotte) est bien aussi. Mais le personnage de M. Dimanche a disparu comme  Mathurine et Pierrot, et c’est dommage. Gabriel Allée, le quatrième des élèves qui joue  Le Pauvre est aussi très juste. Mais là aussi,  guère d’émotion, le personnage du clown, véritable tsunami à l’image omniprésente d’un bout à l’autre, emporte tout sur son passage. Comme Jérôme Savary employait souvent des élèves-acteurs de l’École du Théâtre National de Chaillot, Jean Lambert-wild le fait avec, en alternance, quatre de ceux issus de l’Académie de Limoges. Une belle et bonne idée.

©Tristan Jeanne-Valès

©Tristan Jeanne-Valès

La scénographie touffue-étouffante, signée Jean Lambert-wild et Stéphane Blanquet, n’est pas très convaincante. Elle écrase en effet  les comédiens, au lieu de les servir. Et ils auraient pu nous épargner ce décor compliqué avec maison en ruines ou presque où chaque objet semble été choisi pour faire sens mais qui, en fait, surligne le texte. Comme cette horloge franc-comtoise surmontée d’un crâne, (pas léger-léger le symbole!) ou cet escalier en spirale aux marches de porcelaine (de Limoges) qui sert très peu, ou encore ces lambrequins en tapisserie numérique d’Aubusson, autre hommage à la création locale mais au dessin bien laid. Les metteurs en scène ont évacué avec raison cette statue du Commandeur jamais réussie et pas un cadeau pour un acteur…  Philippe Noiret nous avait dit qu’encore jeune, il n’appréciait guère de le jouer dans la mise en scène de Jean Vilar ! Ici, le Commandeur est suggéré par son seul tombeau couvert de lianes vertes visqueuses et envahi de vapeurs avec voix en off. Belle image mais là aussi la scène n’est guère convaincante.

Jean Lambert-wild et  Lorenzo Malaguerra semblent avoir voulu mettre l’accent sur la gestuelle clownesque de Dom Juan. Même si l’essentiel du texte est respecté. Et ce que Maurice Merleau-Ponty disait du cinéma, pourrait être appliqué à cette lecture personnelle du mythe de Dom Juan, avec une forme spéciale de théâtre finalement plus proche du cabaret et/ou du cirque. «Voilà pourquoi l’expression de l’homme peut être au cinéma si saisissante, le cinéma ne nous donne pas, comme le roman l’a fait longtemps, les pensées de l’homme, il nous donne sa conduite ou son comportement, il nous offre directement cette manière spéciale d’être au monde, de traiter les choses et les autres, qui est pour nous visible dans les gestes, le regard, la mimique, et qui définit avec évidence chaque personne que nous connaissons. » Une évidence: on ne peut plus mettre en scène Dom Juan comme on le faisait il y a cinquante ans et les metteurs en scène de cette adaptation scénique qui a une certaine parenté avec  la B. D., ont eu visiblement le courage et l’envie d’écrire autrement ce mythe…  Même si on n’adhère pas à toutes leurs propositions, c’est un Dom Juan qui rappelle parfois celui, brillant et assez iconoclaste, du Théâtre de l’Unité. Et populaire. Ce qui n’est déjà pas si mal…

 Philippe du Vignal

Jusqu’au 29 mars, Théâtre de l’Union-Centre Dramatique National du Limousin, 20 rue des Coopérateurs, Limoges (Haute-Vienne). T. : 05 55 79 90 00.

Théâtre de Rochefort (Charente-Maritime), du 2 au 5 avril. Théâtre Edwige Feuillère, Vesoul (Haute-Saône) les 9 et 10 avril. Saint-Etienne du Rouvray,  (Seine-Maritime), le 24 avril.

 


Archive pour 25 mars, 2019

Dom Juan ou le festin de pierre, un spectacle de Jean Lambert-wild et Lorenzo Malaguerra

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©Tristan Jeanne-Valès

Dom Juan ou le festin de pierre, un spectacle de Jean Lambert-wild et Lorenzo Malaguerra

Les créateurs avertissent avec honnêteté: il s’agit d’une adaptation de la plus célèbre pièce du théâtre français. Avec des coupures importantes et aussi quelques emprunts à Tirso de Molina, l’auteur dont Molière s’était inspiré, Pouchkine ou Lord Byron, de toute façon invisibles à moins  que l’on soit spécialiste mais l’essentiel du texte est bien celui de Molière. Chacun en France, disait Louis Jouvet, même son coiffeur, a une idée précise du personnage…

«Mon Clown, dit Jean Lambert-wild, a la prétention de coudre son oubli et de broder sa mémoire, en suivant le fil de grandes figures mythologiques. (…) Il m’a fallu comprendre qui était Richard, et maintenant qui est Dom Juan. Il s’agit de trouver les points qui relient mon âme à  eux, mais aussi peut-être ce qu’ils ont en commun l’un et l’autre. Actuellement, en moi, Richard et Dom Juan conversent. Ils négocient les termes de l’échange de mon corps et de ma voix. »

Il arrive en pyjama bleu pâle d’un clown au visage maquillé de blanc « qui a volé les habits de Dom Juan”. C’est à la fois la réussite du spectacle: l’acteur-metteur en scène a voulu, sinon décaper, du moins gommer l’image traditionnelle de Dom Juan et il y parvient sans difficulté. Et il a raison de dire que le protagoniste n’est pas seulement un cynique sans scrupule et dragueur de femmes. Il l’est sans aucun doute dans les scènes avec Elvire ou dans celles où il drague les jeunes femmes du peuple. Mais il a surtout, et très lié chez lui, un rapport obsessionnel à la mort dont le Commandeur est le symbole permanent. Dom Juan, selon Jean Lambert-wild, est une sorte de stoïcien et d’anarchiste qui sait que tout finit par se payer dans la vie mais qui n’en a cure. Droit dans ses bottes de grand bourgeois séducteur, indifférent aux dettes qu’il a accumulées et n’ayant aucune scrupule à pourfendre  la morale établie  et les valeurs chrétiennes.  Autrement dit: une véritable bombe dans la France catholique de Louis XIV. Et dont il n’est pas facile de trouver l’équivalent actuel…

Ici, on assiste à un  brillant exercice d’acteur clownesque mais qui  entraîne ipso facto un peu de sécheresse et un certain manque d’émotion. Les rapports entre Dom Juan et  Sganarelle sonnent juste mais beaucoup moins ceux avec Elvire, à la fin toute en deuil et enceinte d’une baudruche… qu’il crèvera d’un coup de couteau. Gag facile. Hélène Cerles, la  jeune élève-actrice de l’Académie de Limoges, ne semble pas en tout cas très à l’aise dans ce rôle magnifique mais court, et l’un des plus difficiles à assumer, surtout quand on est face à un clown… En revanche, Romain Bertrand, un autre ex-élève, est excellent dans un rôle de composition, celui du père de Dom Juan. Et son petit mouvement de recul -un petit rien du tout mais si juste- quand il voit, silencieux mais absolument horrifié, son fils en travelo. C’est la marque d’un futur très bon acteur. Et Laure Descamps (Charlotte) est bien aussi. Mais le personnage de M. Dimanche a disparu comme  Mathurine et Pierrot, et c’est dommage. Gabriel Allée, le quatrième des élèves qui joue  Le Pauvre est aussi très juste. Mais là aussi,  guère d’émotion, le personnage du clown, véritable tsunami à l’image omniprésente d’un bout à l’autre, emporte tout sur son passage. Comme Jérôme Savary employait souvent des élèves-acteurs de l’École du Théâtre National de Chaillot, Jean Lambert-wild le fait avec, en alternance, quatre de ceux issus de l’Académie de Limoges. Une belle et bonne idée.

©Tristan Jeanne-Valès

©Tristan Jeanne-Valès

La scénographie touffue-étouffante, signée Jean Lambert-wild et Stéphane Blanquet, n’est pas très convaincante. Elle écrase en effet  les comédiens, au lieu de les servir. Et ils auraient pu nous épargner ce décor compliqué avec maison en ruines ou presque où chaque objet semble été choisi pour faire sens mais qui, en fait, surligne le texte. Comme cette horloge franc-comtoise surmontée d’un crâne, (pas léger-léger le symbole!) ou cet escalier en spirale aux marches de porcelaine (de Limoges) qui sert très peu, ou encore ces lambrequins en tapisserie numérique d’Aubusson, autre hommage à la création locale mais au dessin bien laid. Les metteurs en scène ont évacué avec raison cette statue du Commandeur jamais réussie et pas un cadeau pour un acteur…  Philippe Noiret nous avait dit qu’encore jeune, il n’appréciait guère de le jouer dans la mise en scène de Jean Vilar ! Ici, le Commandeur est suggéré par son seul tombeau couvert de lianes vertes visqueuses et envahi de vapeurs avec voix en off. Belle image mais là aussi la scène n’est guère convaincante.

Jean Lambert-wild et  Lorenzo Malaguerra semblent avoir voulu mettre l’accent sur la gestuelle clownesque de Dom Juan. Même si l’essentiel du texte est respecté. Et ce que Maurice Merleau-Ponty disait du cinéma, pourrait être appliqué à cette lecture personnelle du mythe de Dom Juan, avec une forme spéciale de théâtre finalement plus proche du cabaret et/ou du cirque. «Voilà pourquoi l’expression de l’homme peut être au cinéma si saisissante, le cinéma ne nous donne pas, comme le roman l’a fait longtemps, les pensées de l’homme, il nous donne sa conduite ou son comportement, il nous offre directement cette manière spéciale d’être au monde, de traiter les choses et les autres, qui est pour nous visible dans les gestes, le regard, la mimique, et qui définit avec évidence chaque personne que nous connaissons. » Une évidence: on ne peut plus mettre en scène Dom Juan comme on le faisait il y a cinquante ans et les metteurs en scène de cette adaptation scénique qui a une certaine parenté avec  la B. D., ont eu visiblement le courage et l’envie d’écrire autrement ce mythe…  Même si on n’adhère pas à toutes leurs propositions, c’est un Dom Juan qui rappelle parfois celui, brillant et assez iconoclaste, du Théâtre de l’Unité. Et populaire. Ce qui n’est déjà pas si mal…

 Philippe du Vignal

Jusqu’au 29 mars, Théâtre de l’Union-Centre Dramatique National du Limousin, 20 rue des Coopérateurs, Limoges (Haute-Vienne). T. : 05 55 79 90 00.

Théâtre de Rochefort (Charente-Maritime), du 2 au 5 avril. Théâtre Edwige Feuillère, Vesoul (Haute-Saône) les 9 et 10 avril. Saint-Etienne du Rouvray,  (Seine-Maritime), le 24 avril.

 

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