Saint-Felix écriture et mise en scène d’ Élise Chatauret
Saint-Felix écriture et mise en scène d’ Élise Chatauret
L’écrivaine et réalisatrice tutoie le documentaire mais revendique un théâtre de fiction. Ce qui demeure (voir Le Théâtre du Blog) convoquait les souvenirs d’une vieille dame de quatre-vingt-treize ans et dans Babel, les habitants de la Courneuve étaient le matériau du spectacle. Elle part toujours d’une observation minutieuse et d’entretiens et à l’existant et à l’humain ajoute un peu de fiction, d’onirisme, voire de fantastique: «C’est souvent, dit-elle, dans les considérations les plus anecdotiques, que se disent des choses profondes. »
Elle s’est installée dans un hameau qui peut être celui de n’importe campagne française, loin d’un pôle urbain et a interrogé la petite vingtaine d’habitants qui y demeurent encore. On y croise une vieille dame qui attend que ses chiens meurent pour quitter le hameau, un jeune couple qui habite sous une yourte, le maire du village sans cesse dérangé par son chiot… Tantôt enquêteurs, tantôt enquêtés, les quatre comédiens recréent ces personnages en empruntant différents accents.
Sur un tapis vert, de petites maisons s’éclairent Ce qui nous permet d’avoir un regard par dessus ce hameau, dont la carte se dessine au fur et à mesure. Puis, un castelet fait irruption sur le plateau pour une scène de marionnettes où une enquêtrice s’introduit dans une famille à l’heure de la soupe. Ensuite, des végétaux prennent place (tronc, monticule de terre, grandes herbes), un peu à l’étroit sur la scène du 104. Mais la mise en scène part dans tous les sens… Et nous n’apprendrons pas grand-chose sur la ruralité d’aujourd’hui, sur l’isolement, ou le choix d’un retour à la terre. On peut se demander quel est le but du spectacle qui vire parfois à l’enquête policière avec l’histoire de cette jeune femme, une enfant du pays, morte dans des conditions mystérieuses et qui traverse la pièce comme un secret de famille. Elise Chatauret a poussé les comédiens -par ailleurs excellents- vers un jeu caricatural et c’est dommage. Et on ne comprend pas bien, ce qu’avec ce spectacle hybride, elle cherche à nous raconter, ni vers quoi elle veut nous emmener.
Julien Barsan
Un autre point de vue:
Le spectacle joué maintenant au Théâtre de la Tempête où nous l’avons vu, lui a-t-il donné plus d’espace, donc plus de clarté… Saint-Félix= une double enquête: sur l’identité française, à travers le prisme d’un hameau de la “grande ruralité », comme ceux qu’a traversés Sylvain Tesson et dont il parle dans Sur les chemins noirs, lieu d’apparent isolement, d’immobilité, à la survie fragile.
Élise Chatauret et son équipe s’interrogent aussi non sans humour, sur l’intrusion qu’ils représentent dans la vie du hameau, avec des marionnettes à gaine grossièrement manipulées, métaphore des “gros sabots“ de l’enquêteur et par une avalanche de questions finales. Une écriture sur les limites, l’appauvrissement qu’impose la situation elle-même, avec d’inévitables préjugés et un questionnaire fermé quand il se croit ouvert. Cela ici compensé par l’histoire romanesque -trop développée, sans être captivante- de la mort d’une jeune fille revenue au hameau.
Reste une intéressante mise en abyme de l’enquête et un travail théâtral qui rend l’image de plus en plus juste, à mesure que le spectacle avance. Saint-Félix est une belle métaphore de la sympathie qui s’instaure, sans pouvoir aller jusqu’au bout, entre les intrus et la vie de ce village qu’ils ont choisi pour “faire théâtre » selon l’expression d’Antoine Vitez.
Christine Friedel
Spectacle vu au Cent-Quatre, le 20 mars. Du 26 mars au 14 avril, Théâtre de la Tempête, route du Champ de Manœuvre, Cartoucherie de Vincennes (Val-de-Marne). T. : 01 43 28 36 36
Le 17 mai, Parvis des Arts, Alfortville (Val-de-Marne). T. : 01 58 73 29 18.