Place des Héros de Thomas Bernhard, mise en scène de Krystian Lupa

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Place des Héros de Thomas Bernhard, mise en scène de Krystian Lupa (spectacle en lituanien, surtitré en français)

En mars 1938,  Hitler prononce un discours au balcon de l’actuelle Bibliothèque Nationale, devant plus de 250.000 Autrichiens réunis sur la grande Heldenplatz (Place des Héros) à Vienne. Juste après avoir décidé de créer l’Anschluss: l’annexion de l’Autriche par l’Allemagne nazie. En 1988, donc un demi-siècle après, le metteur en scène Claus Peymann qui fut pendant treize ans, à la tête du Burgtheater commanda une pièce à Thomas Bernhard  pour  célébrer le centième anniversaire du grand théâtre de la capitale autrichienne. Mais Heldenplatz que nous avions vue à sa création à Vienne dans sa mise en scène tout à fait remarquable, sera la dernière pièce du célèbre auteur avant sa mort.

160718_rdl_0077Le metteur en scène polonais Krystian Lupa l’avait recréée il y a trois ans, au festival d’Avignon  puis au Théâtre de la Colline. Grand admirateur de Thomas Bernhard, il avait monté de lui Déjeuner chez Wittgenstein, Kant, Extinction (voir Le Théâtre du blog). Place des Héros se passe dix ans seulement après l’Anschluss. Joseph Schuster, un vieux professeur d’Université juif, s’était exilé des années avec sa femme Hedwige, à Oxford. Dix ans après, le couple  est maintenant revenu à Vienne par amour de la musique dans un appartement qui donne sur la Place des Héros… Très mauvaise pioche! Sa femme, Hedwige ne supporte plus le souvenir de cette célébration de l’Anschluss et veut qu’ils retournent en Angleterre: les caisses de déménagement sont déjà prêtes. Mais, la veille du départ, Joseph se jettera par la fenêtre. Et l’appartement va très vite être vendu. Son frère Robert, professeur de philo, lui aussi s’était exilé mais à Cambridge. Il habite maintenant, à Neuhaus près de Vienne, une belle maison de campagne familiale mais est très déprimé: «Ce qu’écrivent les écrivains, dit-il n’est rien en comparaison de la réalité.»

Avant l’enterrement de Schuster, dans ce qui était sans doute la salle à manger, occupée par des caisses de déménagement et deux grandes armoires… il y a un très long monologue de Madame Zittel, leur gouvernante. Elle a une grande admiration pour lui et ils avaient tous les deux une relation privilégiée, lui,  plus sans doute qu’avec son épouse et ses deux filles. Madame Zittel repasse et plie les chemises de son patron, en racontant qu’il était très intelligent mais parfois féroce: il avait ainsi une obsession maniaque de la précision et de la vérité, notamment pour le repassage de son linge. C’est un quasi monologue et Herta, la femme de chambre ne cesse, elle, de regarder la place des Héros par une des très hautes fenêtres. Joseph Schuster, on s’en doute, n’avait pas supporté l’Anschluss imposé par le Reich, avec tout ce que cela représentait d’humiliation pour son petit pays, symbole même de la culture occidentale avec, entre autres: Mozart, Freud, Schiele,  Hausman, Schnitzler, Sweig… Et il n’a pas non plus supporté, dix ans plus tard, de revenir à la case départ. Seule solution pour lui: le suicide.

Dans une deuxième partie de la pièce, on verra son frère Robert, un vieux philosophe, pas très en point et avancer péniblement sur ses cannes. Amer et désespéré, il se lance dans un quasi monologue. Il  refuse de lutter, comme le supplient ses deux nièces, contre un projet de route qui défigurerait le parc de la propriété familiale de Neuhaus. «Partout tout est anéanti/ partout la nature est anéantie/la nature et l’architecture/tout/ Bientôt tout sera anéanti/ le monde entier ne sera bientôt plus reconnaissable. » «Tout ce que je demande est de pouvoir finir ma vie calmement ici. » (…)  «Je ne veux pas du tout me brouiller avec le maire. » Comme toute sa vie, Thomas Bernhard, Robert a un rapport très ambigu avec l’Autriche : «Etre citoyen de ce pays est mon plus grand malheur. »

Très calme, il attaque à coups de phrases radicales et avec une grande violence, sa médiocrité, son Eglise et ses hommes politiques, qu’ils soient socialistes ou libéraux, mais tous, dit-il, menteurs, racistes et antisémites. Derrière le personnage, on entend,  bien entendu, la voix du célèbre écrivain  qui s’en prenait aux grands intellectuels comme aux aristocrates et capitaines d’industrie qui avient accepté l’Anschluss et s’étaient fait les complices d’Hitler et du nazisme…Mais derrière il y aussi ici un drame humain, celui de la vieillesse: Robert se sent proche de la mort et avoue aux jeunes femmes: «Le mieux serait de ne pas se réveiller». Sur le plateau nu, il y a juste des projections d’images d’arbres sur les murs. On entend au loin le glas d’une cloche. Habillés de noir, ils sont assis sur un banc. Glaçant… Dans une  dernière partie, on assiste au déjeuner après l’enterrement. Robert, toujours aussi cynique, continue à vitupérer. Ses nièces, comme les autres invités, tout le monde est gêné, et face à son flot d’invectives, reste silencieux…

index.bancBon, et la mise en scène ? Il y a des jours comme cela où rien n’est dans l’axe. Passons sur la difficulté à trouver l’endroit de la navette Paris-Sceaux. Le conducteur nous annonce qu’elle repartira à minuit et demi… Donc impossible d’avoir un métro et obligation de trouver un taxi. Le spectacle annoncé à vingt heures, commence déjà avec un peu de retard mais au bout de quinze minutes, un spectateur crie: stop ! Et les lumières de la salle s’allument. Jeu de scène? Que nenni… C’était Krystian Lupa, furieux et à juste titre, de voir qu’il y avait de graves ennuis avec le banc de surtitrage… Les actrices lituaniennes se retirent donc, chaleureusement applaudies par le public. Une douce voix féminine annonce qu’il y a un problème technique et qu’il va y avoir une pause de dix minutes pour le résoudre !

Le spectacle finit par reprendre, et vingt minutes plus tard : rebelote. Le metteur en scène était visiblement excédé, et très en colère. Il y a de quoi! On nous annonce une nouvelle pause de vingt minutes pour essayer (sic) de réparer la panne. Une partie du public quitte définitivement la salle. Reprise. Suit un véritable entracte, normalement prévu après une heure quinze.
La deuxième partie (cinquante-cinq minutes) continue cette fois sans accro mais le surtitrage est difficile à lire sur le fond très gris dû aux projections d’images. Nouvel entracte à 23 h 50 avant la dernière et troisième partie d’une heure. Ce qui devait donc mener les choses aux environs d’une heure et quelque du matin… Donc arrivée chez nous prévue à plus vers deux heures quinze…
Dans la salle, deux professionnelles excédées n’ont pas voulu rester et nous ont proposé gentiment de nous ramener en voiture à Paris. Nous avons cédé…

La faute à quoi? D’abord à une mauvaise organisation de la représentation: un surtitrage est toujours délicat à opérer et ici, il n’avait pas été maîtrisé et/ou des problèmes techniques n’avaient pas été anticipés. Qu’en pense Françoise Letellier, directrice de cette maison? Il y avait déjà une erreur, en n’installant pas plusieurs écrans de surtitrage. Et pourquoi ne pas avoir programmé le spectacle à 19h ou 19 h 30, chose devenue courante… Par ailleurs,  on ne comprend pas les raisons de ce premier entracte où le décor est pratiquement le même. Et était-il aussi vraiment indispensable de prévoir un deuxième entracte  pour une pièce de trois heures dix?

Côté  jeu, Eglé Gabranaité (Madame Zittel) Rasa Samulolyté ( Herta)  Victorija Kuodyté et , Eglé Mikulionyté (Anna et Olga) et  Valentinas Masallkis (Robert Schuster),  les seuls acteurs que nous avons pu voir, étaient tout à fait remarquables et donnaient une belle vérité à leurs personnages. Chapeau. Surtout dans ces conditions aussi insupportables pour eux.
Côté dramaturgie, on a eu l’impression que Krystian Lupa aurait pu couper un peu dans ce trop long monologue du début, rendu encore plus long, du fait des interruptions. Mais comme toujours chez lui, direction d’acteurs, scénographie et costumes tout en noir, gris et blanc, lumières et sont de tout premier ordre, même avec des micros H.F.
Voilà, malgré quelques beaux moments, on ne vous ne dira rien de plus sur cette soirée exaspérante et ratée.

Philippe du Vignal

Les Gémeaux-Scène Nationale, 49 rue Georges Clémenceau,  Sceaux, (Hauts-de-Seine) jusqu’au 31 mars. T: : 01 46 61 36 67.

La pièce est édité à l’Arche, dans la traduction de Claude Porcell

 

 

 

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