Festival d’Avignon, soixante-treizième édition
Festival d’Avignon, soixante-treizième édition…
Cette soixante-treizième édition (reste-t-il encore quelques spectateurs des tout premiers festivals?) aura lieu cette année du jeudi 4 au mardi 23 juillet, dans une quarantaine de lieux. Dont parmi les plus connus dans le monde entier, la mythique Cour d’honneur, le Cloître des Célestins et celui des Carmes, de magnifiques hôtels particuliers du XVIIème siècle, le Cloître Saint-Louis, soit un ensemble architectural exceptionnel sur quelques hectares. Olivier Py, son directeur a présenté avec humour et savoir-faire, une moisson riche mais heureusement moins élitiste que les précédentes, où nombre de spectacles, souvent très longs, semblaient avant tout destinés au public de Paris et des grandes villes françaises… » L’esthétique et l’éthique, dit-il, sont si proches lors d’une représentation de théâtre qu’on peine parfois à les distinguer, notre émerveillement croise notre soif de société meilleure, notre conscience collective est renforcée par la célébration de la scène.On consomme seul et on se console lui-même dans une luxuriante misère, et on achète du bruit pour s’éloigner un peu plus de ce qui pourrait nous sauver. »
Au programme, une nette orientation vers la question récurrente de l’exil et la représentation des grands mythes de l’antiquité occidentale avec O Agora que demora, d’après Homère, mise en scène de Christiane Jatahy; ses précédents spectacles ne nous avaient guère convaincus mais bon, à suivre…
Dans le Jardin de la Bibliothèque Ceccano, comme toujours un spectacle gratuit à midi et évidemment pris d’assaut (venir une heure avant pour avoir une place assise et à l’ombre!) avec un feuilleton théâtral quotidien du 6 au 20 juillet. Cette année, L’Odyssée d’Homère dans dans la formidable traduction de Philippe Jacottet réalisé en treize épisodes par Blandine Savetier.
Signalons aussi Une Phèdre d’après Jean Racine qui sera mise en scène par François Gremaud. Et surtout, on verra L’Orestie d’Eschyle, un texte resté passionnant vingt-cinq siècles après sa création, réalisé par Jean-Pierre Vincent avec l’Ecole du Théâtre National de Strasbourg. Lui, Georges Lavaudant et Alain Françon ont eu à subir des menaces de restriction budgétaires voulues par le ministère de la Culture, spécialisé depuis longtemps dans les coups tordus et qui voulait leur couper les vivres. Comme si ces metteurs en scène d’expérience et créateurs de nombreux et beaux spectacles, avaient démérité! Dans la Macronie, on marche souvent sur la tête. L’Antiquité inspire aussi Laurent Gaudé et Roland Auzet avec Nous, l’Europe, banquet des peuples et Sonia Wieder-Atherton avec La Nuit des Odyssées. Sous d’autres cieux de Kevin Keiss, d’après L’Enéide de Virgile sera mis en scène par Maëlle Poésy, qui a créé de beaux spectacles (voir Le Théâtre du Blog).
Maurice Maeterlinck aura deux fois les honneurs du festival avec Pelléas et Mélisande, une pièce plus rarement montée que l’opéra éponyme. Ici mise en scène par Julie Duclos ( voir Le Théâtre du Blog) et Céline Schaeffer créera un spectacle pour jeune public d’après La République des abeilles.
Une édition aussi tournée vers les auteurs contemporains vivants comme l’Anglais Martin Crimp maintenant bien connu en France avec Le Reste vous le connaissez par le cinéma, mise en scène de Daniel Jeanneteau, ou Alexandra Badéa avec Point de non retour (Quais de Seine). Et Pascal Rambert aura droit à la Cour d’honneur avec une création, Architecture. Distribution exceptionnelle de très grands comédiens du théâtre contemporain: Emmanuelle Béart, Audrey Bonnet, Marie-Sophie Ferdane, Marina Hands, Arthur Nauzyciel, Stanislas Nordey, Denis Podalydès, Laurent Poitrenaux, Pascal Rénéric et Jacques Weber. A suivre…
Fidèle à sa volonté habituelle de ne pas oublier en cette période estivale les détenus du Centre d’Avignon-Le Pontet, Olivier Py montera malgré, souligne-t-il, les difficultés administratives concernant la sortie de prisonniers en fin de peine pour aller jouer un Macbeth philosophe, d’après William Shakespeare. Ce sera la quatrième fois projet théâtral dans le milieu carcéral. Impossible de tout citer mais le programme est riche et de qualité. Côté public, Olivier Py a annoncé des mesures tarifaires pour les jeunes qui, dit-il, sont revenus au festival… On veut bien mais dans tous les spectacles payants et le soir, la couleur des cheveux restait l’an passé, le plus souvent fixée au gris et au blanc… Olivier Py fait semblant de croire que le prix des places est seul en cause, mais il le sait bien: le festival d’Avignon est le miroir grossissant de ce qui se passe à Paris… Et les faits sont têtus: les collégiens et lycéens vont au théâtre en groupes encadrés par des enseignants mais les étudiants y vont très peu, sauf s’ils suivent un cursus théâtral ou culturel. Et les gens de trente à quarante-cinq ans, occasionnellement, voire pas du tout, comme le déplorait encore il y a peu Robert Abirached, ancien directeur des spectacles sous le règne de Jack Lang.
Il y aussi des textes en devenir présentés en lecture, la plupart du temps gratuite : Ça, ça va le monde! Le cycle de R.F.I. nous réserve des pièces africaines ou d’autres horizons de la Francophonie mises en voix par Armel Roussel. En ouverture, le texte lauréat du prix R.F.I. 2018 (voir Le Théâtre du Blog), Les Inamovibles de Sedjro Giovanni Houansou, le récit mouvementé d’un Africain parti pour l’Europe mais qui n’atteindra jamais son but. «Pour moi, dit l’auteur béninois, l’écriture dramatique est une façon de crier, de trépigner, de cogner la porte… tout cela pour qu’on vous entende.» Sous le label Fictions, France-Culture enregistrera aussi en public des pièces radiophoniques avec des comédiens connus et il y aura des rencontres publiques.
Toujours friand de causeries, conférences et échanges avec les artistes, le public trouvera de quoi se rassasier avec Les Ateliers de la pensée. On pourra y écouter sociologues, historiens, dramaturges et autres agitateurs de neurones. Rencontre, Recherche et Création est organisé par l’Agence nationale de la recherche pour mettre la science à la portée de tous. Et le C.N.R.S. fêtera ses quatre-vingt ans dans la cité des Papes….
La Danse
Côté danse, cette édition présente des artistes majeurs sous le signe du voyage, des métissages et des échanges. Outwitting the Devil (Plus malin que le diable) d’Akram Khan rejoindra la Cour d’honneur. Le spectacle témoigne d’une «nouvelle manière de danser». «J’exprime, dit-il, mes idées à travers les corps des autres, certains plus âgés, chargés d’une riche histoire émotionnelle. Mais ma passion pour explorer d’anciens et de nouveaux mythes reste inchangée. » Ici, avec six interprètes venus de tous horizons, il se ressource, au vu de tablettes récemment exhumés par les archéologues, en faisant appel à la plus vieille épopée du monde Gilgamesh, rejoignant ainsi, depuis Babylone, les grands récits fondateurs comme L’Odyssée ou L’Enéide.
Multiple(s) de Salia Sanou, un triptyque dont on a vu les deux premiers volets aux Francophonies en Limousin 2018 (voir Le Théâtre du blog) interroge la danse de manière plus intime. Le chorégraphe se lançait dans un pas de deux, tour à tour avec l’écrivaine Nancy Huston, puis avec la grande dame de la danse contemporaine africaine, Germaine Acogny. Il était question d’identité, d’exil et de racines, pour trouver du sens à un univers en vrac. L’auteur-compositeur et interprète Babx ce joint à eux pour dire, lui aussi, le chaos du monde en mêlant aux gestes, des musiques, textes poétiques et politiques… Une proposition transculturelle et transdisciplinaire.
La compagnie Kukai Dantza, installée à Errenteria au Pays basque espagnol, puise, elle aussi, aux racines de son terroir pour développer un répertoire contemporain. Elle a construit Oskara avec le collectif catalan La Veronal et son chorégraphe Marcos Morau. Les corps parés de costumes tantôt sobres, tantôt insolites, évoluent avec vélocité sur des chants populaires a capella lancinants ; on pénètre progressivement dans un au-delà mystérieux, où les gestes se suspendent, où des personnages inquiétants apparaissent et de surprenants éclats d’images projetés en fond de scène.
Encore plus intime, Autobiography de Wayne McGregor. Le chorégraphe anglais plonge au plus profond de son système cellulaire et s’inspire de son propre génome, établi par des scientifiques qui ont séquencé son code génétique. Il présente vingt-trois pièces d’un grand puzzle, agencées différemment à chaque représentation, selon des calculs algorithmiques : quatre-vingt minutes de mouvements vibrionnants avec dix interprètes. Une archéologie dansée et insolite de l’espèce humaine…
Nina Santes et Célia Gondol ont créé et interprètent A leaf, une sorte de concert chorégraphique où, à travers une forme musicale, se déploient fictions, danses, chants, poésie, bruitages… Mêlant leurs jeunes talents : l’une vient des arts visuels et l’autre de la marionnette et ont imaginé un espace-temps étrange où évoluent deux créatures hybrides chargées de mélancolie. La scénographie tient de l’installation en art plastique et les éléments de décor sont aussi importants que le corps.
Sujet à vif, proposé par la S.A.C.D. devient Vive le sujet! et réunit huit binômes d’artistes pour un galop d’essai. Avec, au fil des ans, de bonnes surprises mais parfois quelques déceptions : c’est le risque de la création à vif…
Olivier Py tient à signaler que c’est Myriam Haddad, une jeune Syrienne ayant quitté son pays il y a six ans et récemment diplômée de l’Ecole des Beaux-Arts de Paris, qui a réalisé la belle affiche colorée de cette édition, à partir d’une de ses toiles Silence. Beau symbole pour une édition du festival consacrée à l’exil… L’environnement rose des supports de communication lui a été inspiré par la fameuse Aurore aux doigts de rose de Homère. Des lendemains qui chantent ? Il y a aura aussi une exposition, à la collection Lambert, de l’ensemble de son travail Le Sommeil n’est pas un lieu sûr. Ces éclaboussures de peinture où se dessinent des figures colorées, lui inspirent une sorte de gaieté tourmentée.
Le festival off dont nous vous reparlerons plus tard, aura lieu du 5 au 28 juillet: soit presque une semaine de plus que le in ! D’une année sur l’autre, il n’en finit pas de grignoter des parts de marché : organisation tout à fait remarquable avec billetterie en ligne, moments festifs, service de presse efficace, livre-programme un peu lourd mais d’une grande précision, salles confortables, public fidèle et plus jeune, prix des places très abordable, spectacles courts mais souvent créés par de grandes compagnies, voire de centres dramatiques nationaux et avec des textes contemporains d’une très bonne qualité. Même s’il y a du pas très bon et même une certaine vulgarité, le off, d’une grande diversité -on pourrait dire que maintenant il y a plusieurs off- joue de plus en plus la carte d’un théâtre populaire et accessible, s’aventurant aussi et depuis longtemps sur des territoires comme ceux de la danse contemporaine et/ou ethnique, du cirque, de la chanson de texte ou de variétés, de la magie…
Philippe du Vignal et Mireille Davidovici
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