Festival d’Avignon, soixante-treizième édition

Christophe Raynaud De Lage

Christophe Raynaud De Lage

 

 

Festival d’Avignon, soixante-treizième édition…

7A0FD570-097D-461A-8A12-0AA298736FB3 Cette soixante-treizième édition (reste-t-il encore quelques spectateurs des tout premiers festivals?) aura lieu cette année du jeudi 4 au mardi 23 juillet, dans une quarantaine de lieux. Dont parmi les plus connus dans le monde entier, la mythique Cour d’honneur, le Cloître des Célestins et celui des Carmes, de magnifiques hôtels particuliers du XVIIème siècle, le Cloître Saint-Louis, soit  un ensemble architectural exceptionnel sur quelques hectares. Olivier Py,  son directeur a présenté avec humour et savoir-faire, une moisson riche mais heureusement moins élitiste que les précédentes, où nombre de spectacles, souvent très longs, semblaient avant tout destinés au public de Paris et des grandes villes françaises… » L’esthétique et l’éthique, dit-il, sont si proches lors d’une représentation de théâtre qu’on peine parfois à les distinguer, notre émerveillement croise notre soif de société meilleure, notre conscience collective est renforcée par la célébration de la scène.On consomme seul et on se console lui-même dans une luxuriante misère, et on achète du bruit pour s’éloigner un peu plus de ce qui pourrait nous sauver. »

Au programme, une nette orientation vers la question récurrente de l’exil et la représentation des grands mythes de l’antiquité occidentale avec O Agora que demora, d’après Homère, mise en scène de Christiane Jatahy; ses précédents spectacles ne nous avaient guère convaincus mais bon, à suivre…

Dans le Jardin de la Bibliothèque Ceccano, comme toujours un spectacle gratuit à midi et évidemment pris d’assaut (venir une heure avant pour avoir une place assise et à l’ombre!) avec un feuilleton théâtral quotidien du 6 au 20 juillet. Cette année, L’Odyssée d’Homère dans dans la formidable traduction de Philippe Jacottet réalisé en treize épisodes  par Blandine Savetier.

Signalons aussi Une Phèdre d’après Jean Racine qui sera mise en scène par François Gremaud. Et surtout, on verra L’Orestie d’Eschyle, un texte resté passionnant vingt-cinq siècles après sa création, réalisé par Jean-Pierre Vincent avec l’Ecole du Théâtre National de Strasbourg. Lui, Georges Lavaudant et Alain Françon ont eu à subir des menaces de restriction budgétaires voulues par le ministère de la Culture, spécialisé depuis longtemps dans les coups tordus et qui voulait leur couper les vivres. Comme si ces metteurs en scène d’expérience et créateurs de  nombreux et beaux spectacles, avaient démérité! Dans la Macronie, on marche souvent sur la tête. L’Antiquité inspire aussi Laurent Gaudé et Roland Auzet avec Nous, l’Europe, banquet des peuples et Sonia Wieder-Atherton avec La Nuit des Odyssées.  Sous d’autres cieux de Kevin Keiss, d’après L’Enéide de Virgile sera mis en scène par Maëlle Poésy, qui a créé de beaux spectacles (voir Le Théâtre du Blog).

Maurice Maeterlinck aura deux fois les honneurs du festival avec Pelléas et Mélisande, une pièce plus rarement montée que l’opéra éponyme. Ici mise en scène par Julie Duclos ( voir Le Théâtre du Blog) et  Céline Schaeffer créera un spectacle pour jeune public d’après La République des abeilles.

Une  édition aussi tournée vers les auteurs contemporains vivants comme l’Anglais Martin Crimp maintenant bien connu en France avec Le Reste vous le connaissez par le cinéma, mise en scène de Daniel Jeanneteau, ou Alexandra Badéa avec Point de non retour (Quais de Seine). Et Pascal Rambert aura droit à la Cour d’honneur  avec une création, Architecture. Distribution exceptionnelle de très grands comédiens du théâtre contemporain: Emmanuelle Béart, Audrey Bonnet, Marie-Sophie Ferdane, Marina Hands, Arthur Nauzyciel, Stanislas Nordey, Denis Podalydès, Laurent Poitrenaux, Pascal Rénéric et Jacques Weber. A suivre…

Fidèle à sa volonté habituelle de ne pas oublier en cette période estivale les détenus  du Centre d’Avignon-Le Pontet, Olivier Py montera malgré, souligne-t-il, les difficultés administratives concernant la sortie de prisonniers en fin de peine pour aller jouer un Macbeth philosophe, d’après William Shakespeare. Ce sera la quatrième fois projet théâtral dans le milieu carcéral. Impossible de tout citer mais le programme est riche et de qualité. Côté public, Olivier Py a annoncé des mesures tarifaires pour les jeunes qui, dit-il, sont revenus au festival… On veut bien mais dans tous les spectacles payants et le soir, la couleur des cheveux restait l’an passé, le plus souvent fixée au gris et au blanc… Olivier Py fait semblant de croire que le prix des places est seul en cause, mais il le sait bien: le festival d’Avignon est le miroir grossissant de ce qui se passe à Paris… Et les faits sont têtus: les collégiens et lycéens vont au théâtre en groupes encadrés par des enseignants mais les étudiants y vont très peu, sauf s’ils suivent un cursus théâtral ou culturel. Et les gens de trente à quarante-cinq ans, occasionnellement, voire pas du tout, comme le déplorait encore il y a peu Robert Abirached, ancien directeur des spectacles sous le règne de Jack Lang.

 lecture-2015-sony-5-acteurs-13165_0-300x169-1Il y aussi des  textes en devenir présentés en lecture, la plupart du temps gratuite : Ça, ça va le monde! Le cycle de R.F.I. nous réserve des pièces africaines ou d’autres horizons de la Francophonie mises en voix par Armel Roussel. En ouverture, le texte lauréat du prix R.F.I. 2018 (voir Le Théâtre du Blog), Les Inamovibles de Sedjro Giovanni Houansou, le récit mouvementé d’un Africain parti pour l’Europe mais qui n’atteindra jamais son but. «Pour moi, dit l’auteur béninois, l’écriture dramatique est une façon de crier, de trépigner, de cogner la porte… tout cela pour qu’on vous entende.» Sous le label Fictions, France-Culture enregistrera aussi en public des pièces radiophoniques avec des comédiens connus et il y aura des rencontres publiques.

Toujours friand de causeries, conférences et échanges avec les artistes, le public trouvera de quoi se rassasier avec Les Ateliers de la pensée. On pourra y écouter sociologues, historiens, dramaturges et autres agitateurs de neurones. Rencontre, Recherche et Création est organisé par l’Agence nationale de la recherche pour mettre la science à la portée de tous.  Et le C.N.R.S. fêtera ses quatre-vingt ans dans la cité des Papes….

 

La Danse

Côté danse, cette édition présente des artistes majeurs sous le signe du voyage, des métissages et des échanges. Outwitting the Devil (Plus malin que le diable) d’Akram Khan rejoindra la Cour d’honneur. Le spectacle témoigne d’une «nouvelle manière de danser». «J’exprime, dit-il, mes idées à travers les corps des autres, certains plus âgés, chargés d’une riche histoire émotionnelle. Mais ma passion pour explorer d’anciens et de nouveaux mythes reste inchangée. » Ici, avec six interprètes venus de tous horizons, il se ressource, au vu de tablettes récemment exhumés par les archéologues, en faisant appel à la plus vieille épopée du monde Gilgamesh, rejoignant ainsi, depuis Babylone, les grands récits fondateurs comme L’Odyssée ou L’Enéide.

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©Christophe Péan

 

Multiple(s) de Salia Sanou, un triptyque dont on a vu les deux premiers volets aux Francophonies en Limousin 2018 (voir Le Théâtre du blog) interroge la danse de manière plus intime. Le chorégraphe se lançait dans un pas de deux, tour à tour avec l’écrivaine Nancy Huston, puis avec la grande dame de la danse contemporaine africaine, Germaine Acogny. Il était question d’identité, d’exil et de racines, pour trouver du sens à un univers en vrac. L’auteur-compositeur et interprète Babx ce joint à eux pour dire, lui aussi, le chaos du monde en mêlant aux gestes, des musiques, textes poétiques et politiques… Une proposition transculturelle et transdisciplinaire.

 

La compagnie Kukai Dantza, installée à Errenteria au Pays basque espagnol, puise, elle aussi, aux racines de son terroir pour développer un répertoire contemporain. Elle a construit Oskara avec le collectif catalan La Veronal et son chorégraphe Marcos Morau. Les corps parés de costumes tantôt sobres, tantôt insolites, évoluent avec vélocité sur des chants populaires a capella  lancinants ; on pénètre progressivement dans un au-delà mystérieux, où les gestes se suspendent, où des personnages inquiétants apparaissent et  de surprenants éclats d’images projetés en fond de scène.

Encore plus intime, Autobiography de Wayne McGregor. Le chorégraphe anglais plonge au plus profond de son système cellulaire et s’inspire de son propre génome, établi par des scientifiques qui ont séquencé son code génétique. Il présente vingt-trois pièces d’un grand puzzle, agencées différemment à chaque représentation, selon des calculs algorithmiques : quatre-vingt minutes de mouvements vibrionnants avec dix interprètes. Une archéologie dansée et  insolite de l’espèce humaine…

 Nina Santes et Célia Gondol ont créé et interprètent A leaf, une sorte de concert chorégraphique où, à travers une forme musicale, se déploient fictions, danses, chants, poésie, bruitages… Mêlant leurs jeunes talents : l’une vient des arts visuels et l’autre de la marionnette et ont imaginé un espace-temps étrange où évoluent deux créatures hybrides chargées de mélancolie. La scénographie tient de l’installation en art plastique et les éléments de décor  sont aussi importants que le corps.

Sujet à vif, proposé par la S.A.C.D. devient Vive le sujet! et réunit huit binômes d’artistes pour un galop d’essai. Avec, au fil des ans, de bonnes surprises mais parfois quelques déceptions : c’est le risque de la création à vif…

190327_rdl_0303Olivier Py tient à signaler que c’est Myriam Haddad, une jeune Syrienne ayant quitté son pays il y a six ans et récemment diplômée de l’Ecole des Beaux-Arts de Paris, qui a réalisé la belle affiche colorée de cette édition, à partir d’une de ses toiles Silence. Beau symbole pour une édition du festival consacrée à l’exil… L’environnement rose des supports de communication lui a été inspiré par  la fameuse Aurore aux doigts de rose de Homère. Des lendemains qui chantent ? Il y a aura aussi une exposition, à la collection Lambert, de l’ensemble de son travail Le Sommeil n’est pas un lieu sûr. Ces éclaboussures de peinture où se dessinent des figures colorées, lui inspirent une sorte de gaieté tourmentée.

 Le festival off dont nous vous reparlerons plus tard, aura lieu du 5 au 28 juillet: soit presque une semaine de plus que le in ! D’une année sur l’autre, il n’en finit pas de grignoter des parts de marché : organisation tout à fait remarquable avec billetterie en ligne, moments festifs, service de presse efficace, livre-programme un peu lourd mais d’une grande précision, salles confortables, public fidèle et plus jeune, prix des places très abordable, spectacles courts mais souvent créés par de grandes compagnies, voire de centres dramatiques nationaux et avec des textes contemporains  d’une très bonne qualité. Même s’il y a du pas très bon et même une certaine vulgarité, le off, d’une grande diversité -on pourrait dire que maintenant il y a plusieurs off-  joue de plus en plus la carte d’un théâtre populaire et accessible, s’aventurant aussi et depuis longtemps sur des territoires comme ceux de la danse contemporaine et/ou ethnique, du cirque, de la chanson de texte ou de variétés, de la magie…

 Philippe du Vignal et Mireille Davidovici

Réservations sur le site officiel en créant votre espace personnel en cliquant: mon compte, puis enregistrer vos coordonnées et ajoutez vos justificatifs (pour les tarifs réduits et spécifiques). Les places peuvent être aussi retirées à la boutique du Festival, tous les jours de 10 h à 19 h. T. : 04 90 14 14 14.

 


Archive pour 6 avril, 2019

Le Postillon de Lonjumeau d’Adolphe Adam, mise en scène de Michel Fau

DR Stefan Brion

DR Stefan Brion

 

Le Postillon de Lonjumeau d’Adolphe Adam, mise en scène de Michel Fau

Cet opéra-comique parlé et chanté  (1836) a connu un immense succès au XIX ème siècle mais ne sera  plus joué après 1894, quand le chemin de fer aura fait disparaître peu à peu le métier de celui qui conduisait une diligence, d’un relais de poste à l’autre à travers toute la France.

Sous le règne de Louis XV,  Chapelou, un postillon vénal et libertin, se marie à Madeleine, mais repéré par le directeur de l’Opéra de Paris qui l’engage comme soliste pour 10. 000 livres par an, il la quitte. Au deuxième acte, dix ans se sont écoulés et Chapelou, (Michael Spyres) est devenu célèbre sous le nom de Saint-Phar. Madeleine (Florie Valiquette) s’appelle maintenant Madame de Latour, suite à un riche héritage et elle  va piéger son époux avec une nouvelle demande en mariage. Appâté par le gain,  Saint-Phar accepte. Au troisième acte, condamné à la pendaison pour bigamie, il sera sauvé in extremis par Madeleine. Tout finit donc par s‘arranger et l’amour triomphera.

Avec cette pièce de presque trois heures, l’Opéra-Comique renoue avec les riches heures de son passé. Le public, ravi, applaudit l’excellente performance vocale de Michael Spyres et de Florie Valiquette.  Les choristes d’Accentus et de l’Opéra de Rouen imposent leurs belles voix, rythmées par l’orchestre de ce même Opéra, sous la direction de Sébastien Rouland.

Les interprètes jouent le plus souvent à l’avant-scène, un bonheur pour la salle pleine jusqu’au dernier strapontin. Michel Fau, le metteur en scène, se permet toutes les audaces et met une robe à panier pour interpréter Rose, la servante de Madame de Latour. Emmanuel Charles évoque les lieux de l’action avec des toiles peintes et des frises colorées, ce qui donne une tonalité très B.D. à cet opéra comique. Les costumes colorés aux nombreux rubans de Christian Lacroix renvoient à l’opulente extravagance des grands bourgeois de l’époque et les perruques poudrées de cinquante centimètres contribuent à rendre ce spectacle joyeux et léger. Une  légèreté qui va bien à ce théâtre parisien  où, au XIX ème siècle, étaient prévues de nombreuses rencontres en vue de mariages, ce qui précédait les réseaux sociaux d’aujourd’hui…
 Courez donc voir ce Postillon de Longjumeau!

Jean Couturier

Jusqu’au 9 avril, Opéra-Comique, 1 place Boieldieu, Paris II ème. T. : 01 70 23 01 31.            

Le Jeune noir à l’épée, concert d’Abd Al Malik, chorégraphie de Salia Sanou

Le Jeune noir à l’épée, concert d’Abd Al Malik et chorégraphie de Salia Sanou

 52DBA9D2-75F9-4577-A063-7A1BBB3FB54EDans le cadre d’une programmation d’évènements artistiques autour de l’exposition Le Modèle noir, de Géricault à Matisse, au Musée d’Orsay, on a pu voir pour commencer Le Jeune noir à l’épée, une carte blanche donnée au slameur Abd Al Malik, au titre inspiré par une œuvre de Puvis de Chavannes  peinte en 1848, année de l’abolition de l’esclavage.

Slameur, il l’est certes mais aussi fin lecteur, poète lui-même et essayiste : il a donc convoqué toute la palette de ses talents pour nous emmener en voyage dans sa mémoire de jeune noir de banlieue. La première image, toute en retenue mais très puissante, reprend une peinture de massacre et les quatre jeunes danseurs de Salia Sanou, couchés au sol, évoquent à leur tour les naufragés de nos plages européennes : d’emblée, l’accent est mis sur les continuités, de plain-pied avec aujourd’hui.

Et le slameur de reprendre en boucle « Je suis le jeune noir à l’épée »… A nous d’imaginer cette épée (le langage ? la poésie ? les combats de l’art ?). De cette épée, il  nous transperce et nous guide, en seize morceaux dont Mattéo Falkone et Bilal Al Aswad assurent le compagnonnage musical.

Cette histoire croise celles de tous ces jeunes garçons des cités, petits bandits brisés par la prison, rebelles à la pauvreté et en attente de bonheur, qui ont accompagné son enfance strasbourgeoise. Au fil de ces compositions slamées, chantées, parfois très mélodiques et qui avancent par fragments et par éclats, on voyage bien plus dans la mémoire et les combats de l’artiste, que dans l’exposition à proprement parler. Même si, en fond de scène, sur grand écran, est projetée de temps en temps une œuvre de l’exposition, de façon assez erratique. Absorbés par la puissance et le charme de l’univers musical, nous ne prêtons guère attention à ces citations photographiques qui tentent de nous attraper par la manche, comme pour nous rappeler de visiter l’exposition.

Charles Baudelaire, Edouard Glissant, Léo Ferré, inspirent discrètement les textes du slameur mais sans conteste des réminiscences de Jacques Brel habitent le cœur d’Abd Al Malik. Sa composition poétique, d’une précision ensorcelante, fait adhérer le public de façon quasi chamanique…

La chorégraphie de Salia Sanou offre quelques moments de trouble, en particulier quand les quatre danseurs présentent leur dos au public et font jouer avec insistance tous leurs muscles. Une allusion aux études de nus d’hommes noirs qui figurent dans l’exposition, en particulier celles du modèle Joseph, un personnage devenu légendaire qui parcourt tout le spectacle, de façon directe ou indirecte. Venu de Haïti et d’abord acrobate, il se fit remarquer par sa musculature et devint le modèle noir attitré de Géricault (l’homme noir debout du Radeau de la Méduse) mais aussi de Chassériau, Ingres, etc..  Au début objet de curiosité raciale, il devint au fil du temps une icône noire, proche de l’idéal antique, tel un Adonis africain.

Avec lui, nous sommes renvoyés à la fascination que le corps noir masculin a exercé sur les artistes majeurs du XIXème siècle. Une fascination qui continue de s’exercer sur les chorégraphes européens depuis bientôt vingt ans, telle une emprise fantasmatique, éternellement représentée, et qui a peu évolué depuis Géricault : corps à la musculature voyante, corps séduisant sexuellement, corps dangereux d’une révolte toujours en puissance…

 Malgré cette référence constante, la chorégraphie, présente du début à la fin du spectacle, peine parfois à trouver sa place, bien qu’Abd Al Malik rejoigne deux ou trois fois les interprètes. Question de temps peut-être, toujours compliqué à trouver pour une création partagée. Sans jamais tomber dans l’anecdote, le propos chorégraphique n’est pas tout à fait à la hauteur : Salia Sanou qui dispose pourtant d’une palette assez large, n’a produit ici qu’une « miniature » de son univers, et face à celui d’Abd Al Malik, il semble en retrait.

C’est donc sur les ailes de la parole que nous sommes emportés : « Sur le détroit de Gibraltar, un jeune noir hurle comme un fou »… Ulysse avec des dreadlocks, Hélène avec des tresses, incarnés par la magie des mots, dans un raccourci de l’histoire, un parmi tous ceux qu’Abd Al Malik propose… Voyageur des temps modernes, Enée fuyant Troie en flammes sans Rome à fonder, « Tu te prénommes forcément Joseph ». Il termine par cette phrase : « Les cités ont fait de moi un poète » et on le croit.

 Marie-Agnès Sevestre

Jusqu’au dimanche 7 avril, auditorium du Musée d’Orsay, 1 rue de la Légion d’honneur, Paris (VII ème).

Et au Musée d’Orsay : Nuit du Tout-Monde, soirée littéraire en compagnie de Christiane Taubira, le 10 mai.

Mon élue noire, les 23 et 24 mai, chorégraphie d’Olivier Dubois avec Germaine Acogny.

Exposition Le Modèle noir, de Géricault à Matisse, jusqu’au 26 juillet.

 

Pas pleurer, librement inspiré du roman de Lydie Salvayre, conception et mise en scène d’Anne Montfort

Pas pleurer, librement inspiré du roman de Lydie Salvayre, conception et mise en scène d’Anne Monfort

9FA98062-D4E2-4B53-960B-D02BCC2ED8E6C’est le cœur du théâtre : la vie, la petite vie de chacun, traversée par la violence de l’Histoire, avec « sa grande Hache», souligne Lydie Salvayre. On verra comment Monsté serait devenue, à quinze ans, une «petite bonne» parmi d’autres, au service d’une bourgeoisie sèche et sûre de sa domination éternelle… Mais il y eut cette nuit magique avec la grande insurrection libertaire de Barcelone en 1936, l’amour d’une seule nuit et de toute une vie pour un jeune homme dont elle ne sait que le prénom, André, comme Malraux. Quand on a vécu «l’unique aventure de son existence» dans une telle exaltation, on peut oublier tout le reste, même si la défaite, la fuite devant la répression franquiste, les camps de concentration à l’arrivée en France, la reconstruction, est tapi dans un coin de la mémoire, et raconté par d’autres. On verra comment son frère Josep, parti dans l’enthousiasme semer la liberté, revient avec le dégoût de l’insupportable règlement de compte des communistes contre les libertaires, et l’horreur des exactions de son propre camp.

Le spectacle est «librement inspiré» de ce roman, prix Goncourt 2014. On ne saurait mieux dire, puisqu’il s’agit de liberté. Et l’inspire, outre le moment historique qu’André Malraux appelle dans L’Espoir «illusion lyrique»,  la langue de Lydie Salvayre, ou plutôt la langue de sa mère, Monsté, qui, dans sa vieillesse, parlait encore ce «fragnol» ou «francagnol», ce français bousculé par le lexique et la syntaxe de l’espagnol. On s’aperçoit qu’ici la langue est l’histoire même. Et le récit de Montsé, par la bouche de celle qui jouera sa fille (Anne Sée), ouvre magistralement le spectacle. La parole est partagée ensuite avec un jeune homme représentant la troisième génération (Marc Garcia Coté) : le témoignage, le souvenir, font place à l‘histoire et à la politique. Il parle espagnol, français et catalan: une identité qui revient d’autant plus fort que la fracture de la guerre civile commence à s’éloigner. L’histoire s’invite aujourd’hui, en arrière-plan, dans un beau film muet où l’on voit Anne Sée parcourir les rues de Barcelone assombries par ce qu’elle vient de raconter : la répression terrible des «nationaux» contre les pauvres, massacrés comme suspects.

Cette ombre est celle des Grands cimetières sous la lune de Georges Bernanos, ce catholique convaincu qui ne pouvait accepter les crimes de son camp. Le roman Pas pleurer est né de cette rencontre entre le témoignage du grand écrivain et les récits d’une mère qui perd la mémoire, sauf l’essentiel : ce qui a construit sa destinée.  Cela n’attriste en rien Pas pleurer qui est le plus souvent une douce conversation entre deux amis. On pourrait reprocher à ce dialogue entre générations et à ce jeu de complicités, une émotion partagée à deux où l’on se sent parfois extérieur ; nous aimerions bien qu’on s’adresse directement à nous. Reste un beau travail sur la littérature et le théâtre : oui, cette langue qui a mérité le prix Goncourt,  méritait aussi d’être dite et entendue.

Christine Friedel

Le Colombier, 20 rue Marie-Anne Colombier,  Bagnolet (Seine-Saint-Denis) jusqu’au 7 avril. T. : 01 43 60 72 81.

 

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