Pas pleurer, librement inspiré du roman de Lydie Salvayre, conception et mise en scène d’Anne Montfort

Pas pleurer, librement inspiré du roman de Lydie Salvayre, conception et mise en scène d’Anne Monfort

9FA98062-D4E2-4B53-960B-D02BCC2ED8E6C’est le cœur du théâtre : la vie, la petite vie de chacun, traversée par la violence de l’Histoire, avec « sa grande Hache», souligne Lydie Salvayre. On verra comment Monsté serait devenue, à quinze ans, une «petite bonne» parmi d’autres, au service d’une bourgeoisie sèche et sûre de sa domination éternelle… Mais il y eut cette nuit magique avec la grande insurrection libertaire de Barcelone en 1936, l’amour d’une seule nuit et de toute une vie pour un jeune homme dont elle ne sait que le prénom, André, comme Malraux. Quand on a vécu «l’unique aventure de son existence» dans une telle exaltation, on peut oublier tout le reste, même si la défaite, la fuite devant la répression franquiste, les camps de concentration à l’arrivée en France, la reconstruction, est tapi dans un coin de la mémoire, et raconté par d’autres. On verra comment son frère Josep, parti dans l’enthousiasme semer la liberté, revient avec le dégoût de l’insupportable règlement de compte des communistes contre les libertaires, et l’horreur des exactions de son propre camp.

Le spectacle est «librement inspiré» de ce roman, prix Goncourt 2014. On ne saurait mieux dire, puisqu’il s’agit de liberté. Et l’inspire, outre le moment historique qu’André Malraux appelle dans L’Espoir «illusion lyrique»,  la langue de Lydie Salvayre, ou plutôt la langue de sa mère, Monsté, qui, dans sa vieillesse, parlait encore ce «fragnol» ou «francagnol», ce français bousculé par le lexique et la syntaxe de l’espagnol. On s’aperçoit qu’ici la langue est l’histoire même. Et le récit de Montsé, par la bouche de celle qui jouera sa fille (Anne Sée), ouvre magistralement le spectacle. La parole est partagée ensuite avec un jeune homme représentant la troisième génération (Marc Garcia Coté) : le témoignage, le souvenir, font place à l‘histoire et à la politique. Il parle espagnol, français et catalan: une identité qui revient d’autant plus fort que la fracture de la guerre civile commence à s’éloigner. L’histoire s’invite aujourd’hui, en arrière-plan, dans un beau film muet où l’on voit Anne Sée parcourir les rues de Barcelone assombries par ce qu’elle vient de raconter : la répression terrible des «nationaux» contre les pauvres, massacrés comme suspects.

Cette ombre est celle des Grands cimetières sous la lune de Georges Bernanos, ce catholique convaincu qui ne pouvait accepter les crimes de son camp. Le roman Pas pleurer est né de cette rencontre entre le témoignage du grand écrivain et les récits d’une mère qui perd la mémoire, sauf l’essentiel : ce qui a construit sa destinée.  Cela n’attriste en rien Pas pleurer qui est le plus souvent une douce conversation entre deux amis. On pourrait reprocher à ce dialogue entre générations et à ce jeu de complicités, une émotion partagée à deux où l’on se sent parfois extérieur ; nous aimerions bien qu’on s’adresse directement à nous. Reste un beau travail sur la littérature et le théâtre : oui, cette langue qui a mérité le prix Goncourt,  méritait aussi d’être dite et entendue.

Christine Friedel

Le Colombier, 20 rue Marie-Anne Colombier,  Bagnolet (Seine-Saint-Denis) jusqu’au 7 avril. T. : 01 43 60 72 81.

 

 

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