Opening Night, d’après le scénario de John Cassavetes, mise en scène de Cyril Teste
Opening Night d’après le scénario de John Cassavetes, mise en scène de Cyril Teste
Après le mémorable Festen (voir Le Théâtre du Blog), le metteur en scène s’attaque de nouveau à une œuvre-culte du cinéma avec une de ses stars Isabelle Adjani, couronnée par cinq César de la meilleure actrice! Elle joue ici le rôle tenu par Gena Rowlands à l’écran en 1977. Modestement sous-titrée Laboratoire public du 6/04/19, cette version théâtrale annoncée comme provisoire, fidèle au script initial malgré des coupes et moins d’acteurs, est envisagée comme la répétition d’une pièce, en public à la veille de la première.
Myrtle Gordon, comédienne de renom, voit Nancy, l’une de ses fans se faire renverser par une voiture à la sortie du théâtre, alors qu’elle venait de lui signer un autographe. Elle avait dix-sept ans et son fantôme va hanter Myrtle. Bouleversée par cet accident comme par le rôle qu’elle répète : une actrice vieillissante incapable d’amour et en panne d’inspiration, elle s’enfonce dans la dépression, la mort de Nancy la renvoyant à sa propre déréliction. Ses interlocuteurs : Manny, le metteur en scène (Morgan Lloyd Sicard) et Maurice, son partenaire de jeu et mari (Fréderic Pierrot). Pour ajouter au trouble, John Cassavetes jouait lui-même ce rôle dans son film et Ben Gazarra était Manny. Interviennent aussi des techniciens et une habilleuse.
Ici de temps à autre, Cyril Teste fait de petites mises au point en direction du public… Et bien sûr, rien n’échappe la caméra omniprésente de Nicolas Doremus. Utilisant à la fois les codes du théâtre et du cinéma, le Collectif MxM cherche à retrouver dans la partition d’Opening Night, la mobilité du style Cassavetes, l’un des premiers à avoir filmé caméra a l’épaule et à oser les très gros plans pour exprimer l’instabilité des protagonistes. Comme le cinéaste américain interroge à partir du théâtre la fragilité des artistes à travers le personnage de Myrtle, Cyril Teste et son équipe questionnent le cinéma à partir du théâtre, en complicité avec Isabelle Adjani. «John Cassavetes inscrit la fatigue dans le théâtre, d’où son caractère déglingué, c’est à dire l’avant et l’après, tout ce qui est traditionnellement dissimulé par la perfection des apparences déployées sur scène», écrivait Thierry Jousse dans Les Cahiers du cinéma. Les coulisses de la représentation, l’intimité des loges où s’activent les techniciens et bavardent les artistes quand ils ne répètent pas leurs répliques et où s’angoisse le metteur en scène… Une aubaine pour le collectif MxM qui a coutume de filmer le hors-champ pour le remanier sur scène !
Ici, pas question de cloner le film, d’en utiliser les images ou singer ses acteurs mais en partant du script, de s’inspirer de son énergie: «J’ai donc tout écrit au fur et à mesure des jours, dit Cyril Teste, sous les yeux complices du public. J’interviens, je coupe, je rapporte des scènes le matin pour le soir, j’intervertis l’ordre et crée du désordre et essaye dans ce geste de traverser cette question non définissable de la création. (…) Opening Night, chaque soir, doit être une première et dernière fois.» Nous assistons donc à la répétition d’une répétition mais jamais à une spectacle terminé qui varie donc d’un soir à l’autre.
Cette double mise en abyme trouble le public qui voit les acteurs au présent du plateau, jouant une pièce dont le thème est la répétition de cette pièce, et en même temps leur image projetée sur un écran en fond de scène flanqué d’étagères peuplées de bibelots, composant, avec un salon standard, le décor unique et convenu de cette œuvre en cours de montage. Elles figurent aussi le domicile de l’actrice.
Selon notre place dans la salle, nous apercevons la partie découverte des coulisses et grâce à la vidéo, «tout ce qui est habituellement dissimulé». De fréquents plans filmés de la salle impliquent le public: Isabelle Adjani est après tout une interprète jouant un rôle devant lui. Mais est-ce elle ou son personnage qui lance: «Si je peux atteindre une seule femme dans le public, là, je sais que je fais du bon travail. »
Sous cette forme complexe, on entendra des bribes du texte répétées en boucle dans les coulisses ou sur le plateau. Sous l’œil inquiet du metteur en scène, un couple se déchire. Lui: «Tu n’es plus une femme pour moi, tu es une professionnelle.» Elle: «Quand j’avais dix-sept ans, j’étais capable de tout. C’est difficile pour moi de convoquer une émotion qui soit sincère. » On s’attarde longtemps sur une gifle à donner… Mais voilà, l’actrice conteste son rôle: «Je suis détruite par la cruauté de cette pièce. C’est difficile d’intéresser le public à une agonie.»
Et le metteur en scène s’énerve : «Je suis en train mettre en pièces une pièce que je ne comprends pas», avoue-t-il avec ce joli lapsus, à sa femme au téléphone . Hantée par la jeune fille morte, Myrtle se revoit en elle au même âge. Sur l’écran, un visage d’adolescente ,celui de Zoé Adjani, la nièce de l’actrice, se superpose au sien dans un artistique fondu-enchaîné. Et l’on se remémore Isabelle Adjani à ses débuts: à dix-sept ans, elle entrait à la Comédie-Française et défrayait déjà la chronique. Nicolas Doremus opère en noir et blanc pour dramatiser et distancier. Parfois, des flous renforcent ces images fantomatiques.
Le spectacle atteint-il son objectif : «Retenir de l’œuvre son refus des formes figées, sa quête acharnée de la performance»? Performance de l’équipe technique, oui et surtout d’Isabelle Adjani -une star jouant une star- qui se plie avec modestie aux expérimentations du metteur en scène. Impressionnante par sa présence et sa mobilité au plateau, elle crève aussi l’écran. Pour son retour au théâtre, elle donne le maximum en un minimum de temps : une heure vingt. Femme au bord de la crise de nerfs, elle se tait ou pleure, crie ou craque, n’hésite pas à se jeter à terre, joue l’ivresse et le désespoir…
Un bémol: cette traversée des formes souffre d’un déséquilibre dans la distribution. Et les rapports entre les personnages restent flous et inconsistants. Et surtout la vidéo, à la longue, prend le pas sur le théâtre qui disparaît malgré de beaux moments comme cet extrait de La Mouette d’Anton Tchekhov que lit Isabelle Adjani : «Ça va relever un peu le niveau», dit-elle avec un humour qui fait rire la salle, jusque là sur la réserve. Pour autant, ce chantier promet d’évoluer de soir en soir et bientôt les murs du Théâtre des Bouffes du Nord remplaceront avantageusement le décor encombrant et peu inspiré de Ramy Fischler…
Mireille Davidovici
Spectacle vu le 6 avril, à Bonlieu/Scène Nationale d’Annecy, 1 rue Jean Jaurès, Annecy (Haute-Savoie).
Du 3 au 26 mai, Théâtre des Bouffes du Nord, Paris (X ème).
Du 3 au 6 juin, Théâtre du Gymnase, Marseille et du 12 au 15 juin, Printemps des comédiens, Montpellier (Hérault).