L’Amour Sorcier de Manuel de Falla, compositions et arrangements de Jean-Marie Machado, chorégraphie d’Aïcha M’Barek et Hafiz Dhaou
L’Amour Sorcier de Manuel de Falla, variations musicales et chorégraphiques inventives d’après l’œuvre de Manuel de Falla et de Gregorio Martinez Sierra, compositions et arrangements de Jean-Marie Machado pour l’orchestre Danzas, chorégraphie d’Aïcha M’Barek et Hafiz Dhaou de la compagnie Chatha
La Biennale de la Danse du Val-de-Marne, qui fête sa vingtième édition, présente une nouvelle création de Jean-Marie Machado sur la célèbre partition du ballet pantomime de Manuel de Falla. Il a pour figure centrale la gitane Candela. L’action se déroule des douze coups de minuit à l’aube. Pourchassée par son ancien amant qui, tel un revenant, trouble ses nouvelles amours, la jeune femme convoque ses sortilèges pour lui échapper. Magie blanche, magie noire… Elle jette toutes ses forces dans un combat qui la mènera jusqu’au matin. Mais le fantôme de l’homme ne se laisse pas chasser et revient l’assaillir. Elle imagine alors de jeter son amie Lucia à la tête de l’amant bafoué. Victorieuse, Candela peut enfin se livrer au beau Carmelo.
L’œuvre, créée à l’origine en 1915 pour un orchestre de chambre avec «cantaora», puis adaptée en 1916 pour orchestre symphonique et mezzo-soprano, est réinventée ici par Jean-Marie Machado avec dix musiciens et la voix de Karine Sérafin. Et il a invité Aïcha M’Barek et Hafiz Dhaou, chorégraphes tunisiens, après avoir assisté à leurs derniers spectacles Narcose et Ces gens là ! Le projet de faire voyager le thème des deux côtés de la Méditerranée les a interpellés mais pour échapper au carcan de la narration, ils ont choisi de démultiplié les personnages grâce à trois danseurs et trois danseuses qui autorisent les dédoublements infinis comme les figures de couple ou les dangereux mouvements de groupe.
Un solo au piano de Jean-Marie Machado ouvre le spectacle mais très vite, musiciens et danseurs travaillent en totale symbiose avec la figure du cercle sur les treize tableaux de la partition. La scénographie, à la fois radicale et ouverte à l’imaginaire, emporte le public dans une nuit d’ivresse, d’agitation et dangers : l’orchestre, tel le feu primordial, regroupé au centre de la scène et sur fond noir, laisse ainsi le champ libre au tournoiement incessant des danseurs sur un tapis blanc. Les lumières d’Eric Wurtz jouent délicatement sur les instruments, caressent les cuivres, et laissent s’élever une vibration lumineuse verticale qui renvoie à l’inconnu du destin en se perdant dans les cintres.
Les corps volent et tourbillonnent de la droite vers la gauche, signature habituelle des artistes qui aiment à souligner avec discrétion l’origine de leur écriture. Cette légère contamination de l’Occident par l’Orient nourrit une chorégraphie où s’entrelacent, sans se toucher, les corps et les mains, dans une sensualité toute d’évitements. Mais l’énergie peut devenir menaçante et même destructrice, quand le groupe se jette sur l’amant, le déshabille avec brutalité et le rejette hors de notre vue. Pour Hafiz Dhaou, «Il y a en chacun de nous une Candela» et nous le sentons en voyant ses interprètes d’origine diverse. La chorégraphie touche à son acmé avec le solo, très vertical celui-ci, de Sakiko Oishi, qui fait vaciller par sa puissance, l’éventuel confort d’un univers arabo-andalou.
La métaphore de l’amour et du feu, comme forces aussi puissantes que destructrices, peut sembler rebattue. La surprise vient ici de la redécouverte d’une œuvre musicale dont on ne connaît parfois que La Chanson du feu follet au balancement très sensuel. Jean-Marie Machado, avec ses arrangements et compositions personnelles qui s’entrelacent avec la partition originale, dépoussière et réinvente L’Amour sorcier, lui conférant une forme de méditation sur la cruauté amoureuse. Les chorégraphes qui ont déjà joué avec les codes méditerranéens dans La Vie est un songe de Calderon, mise en scène par David Bobée à Tunis, poursuivent ici leur voyage de Tunisie en Espagne, et d’Espagne en France et, au passage, réhabilitent les sorcières d’aujourd’hui.
L’Amour sorcier, grâce à la rencontre singulière entre Jean-Marie Machado et la compagnie Chatha, provoque les retrouvailles du public avec une œuvre musicale qu’on pourrait penser datée. Et on ne dira jamais assez le charme puissant des corps en mouvement confrontés à un orchestre jouant sur la scène…
Marie-Agnès Sevestre
Spectacle vu au POC d’Alfortville
Prochaine représentation : 13 avril à 19h, Biennale de la Danse du Val-de-Marne, Théâtre Louis Aragon, Tremblay-en-France.
Le 14 mai, Espace culturel Boris Vian Les Ulis (Essonne). Le 16 mai,Le Moulin du Roc Scène Nationale de Niort (79)
14 mai 2020 – Danzas/Chatha/L’Amour Sorcier, l’Arsenal de Metz