Welcome, mise en scène de Jean-Michel Guérin et Patrice Thibaud
Welcome, mise en scène de Jean-Michel Guérin et Patrice Thibaud
Après Franito la saison dernière à Chaillot, Patrice Thibaud y revient avec une création où figurent ,entre autres, Olivier Saladin et le chorégraphe et danseur Fran Espinosa. Ce spectacle burlesque a pour thème la mort et l’au-delà une forme d’entre-deux: un espace où un homme âgé se voit confronté à la mort sous toutes ses personnifications… Sur la scène presque nue «une sorte de purgatoire, dit Patrice Thibaud, où on évoquera sa vie, ses joies, ses peines, ses regrets, sa quête, pour convoquer sa conscience et tenter d’accéder à l’extase, ou pas… »
Cela commence avec Welcome, un «mauvais» show où les six protagonistes sont tous plus ringards les uns que les autres. Le maître de cérémonie (Patrice Thibaud) invite un spectateur à les rejoindre sur le plateau. Personne n’en a visiblement envie mais un homme un peu âgé, en élégant costume trois pièces et à la belle chevelure blanche, hésite, grommelle, puis se laisse embarquer. Généreusement applaudi par le public… Pas très l’aise sous les lumières, il dit s’appeler Bertrand. Mais le public a vite reconnu Olivier Saladin, splendide… Emmené par les acteurs lors d’un solo endiablé de rock, Bertrand est victime d’un A.V.C. et est transporté dans le hall aseptisé d’un hôpital, ou d’une clinique privée avec comptoir d’accueil des années cinquante. Sur le rideau blanc à lames en arrière-plan, on lit: Welcome… Ceux qui, quelques minutes avant, animaient le show, deviennent alors des avatars de la mort dont Morta, une belle et grande jeune femme…
Le pauvre Bertrand, complètement ahuri par les événements, se voit affublé d’une seule chemise en non-tissé d’hôpital. Mais il ne semble prendre pas vraiment conscience du ridicule de son personnage, ni surtout de sa propre mort et il en parle beaucoup avec les autres personnages. Mais il y a aussi de nombreuses chansons et danses. Sur le rideau, passent et repassent en vidéo (Frank Lacourt) des sortes de méduses bleues… Comme pour dire toute la dimension de l’au-delà. Fran Espinosa, en costumes trois pièces et lunettes noires façon mafioso, accueille le public à l’entrée. Il semble sorti tout droit d’une bande dessinée à laquelle se réfère souvent l’esthétique du spectacle; il assure aussi la chorégraphie avec Joëlle Iffrig et apparait notamment en danseuse de flamenco caricaturale. Patrice Thibaud, lui, mime une scène à la manière de Louis de Funès mais, seul moment faible, ces quelques minutes nous ont parues longues et, comme ce n’est pas en situation, cela tombe à plat. Même si une partie du public, ravi, applaudit le numéro. Cela dit, avec Jean-Michel Guérin, il a conçu une mise en scène où ils se moquent, de façon souvent brillante, des dogmes et des certitudes concernant l’au-delà.
Et il y a une belle unité de jeu rappelant celle des spectacles de Macha Makeieff et Jérôme Deschamps où Olivier Saladin, vieux complice de Patrice Thibaud et lui aussi acteur de le troupe, avait créé un formidable personnage d’ahuri complet très crédible. Ici, avec une diction et une gestuelle impeccables, il réussit (et ce n’est pas facile) à devenir aussi ridicule que touchant mais toujours avec retenue. Une belle performance d’un acteur qui emmène avec lui tout le spectacle.
A la fin, une sorte de prêtre (Patrice Thibaud) arrive, vêtu d’un manteau doré et coiffé d’un curieux chapeau conique blanc, rassure le pauvre Bertrand, désemparé et très inquiet. Il l’invite à passer enfin dans le royaume des morts, un au-delà symbolisé ici par un espace invisible derrière le rideau blanc à lamelles. Il montera quelques marches et pénètre enfin avec sérénité dans l’au-delà, chaleureusement entouré des personnages qui lui font une haie d’honneur… Une belle image finale.
Un spectacle à la fois comique et plein de poésie qui ne peut laisser indifférent, même s’il comporte quelques longueurs et baisses de rythme et s’il mériterait d’être resserré…
Le thème de la mort et de l’au-delà a souvent été exploité au théâtre et cela, depuis l’Antiquité. C’est même un solide fond de commerce. Depuis l’apparition de Darios revenant des Enfers dans Les Perses d’Eschyle, celle du fantôme du père d’Hamlet. Et les suicides de Phèdre, Oenone, Juliette, etc… Mais aussi de nombreux assassinats. Et le fantôme du Commandeur et la mort de Don Juan, et encore Orphée aux enfers de Jacques Offenbach: n’en jetez plus, les cimetières sont pleins…. Et encore Eugène Ionesco dans Le Roi se meurt qui s’empare du thème avec ce Bérenger Ier qui meurt, en se révoltant contre l’idée de la mort mais que sa femme Marguerite l’accompagnera. Ou plus récemment, dans Le Tigre bleu de l’Euphrate de Laurent Gaudé, à l’instant de mourir, un Alexandre le Grand qui pleure sur toutes les terres qu’il n’a pas eu le temps de voir…
Ici, cette mini-comédie musicale n’est jamais angoissante et même vraiment comique: même si la mort est tout le temps présente, les acteurs-danseurs-chanteurs réussissent à provoquer le rire. Et cela fait du bien: dans le spectacle contemporain et, en particulier, dans les Théâtres et Centres Dramatiques Nationaux, rire est souvent un luxe… Ici, pari tenu avec légèreté et une belle couleur poétique. Olivier Saladin et ses camarades ont été longuement applaudis…
Alicia Karger
Spectacle joué du 6 au 13 avril, au Théâtre National de Chaillot, 1 Place du Trocadéro, (Paris XVI ème). T. : 01 53 65 30 00.
Du 21 au 28 mai, Maison de la Danse, Lyon.