Into the little hill, livret de Martin Crimp, musique de George Benjamin, mise en scène de Jacques Osinski
Into the little hill, livret de Martin Crimp, musique de George Benjamin, mise en scène de Jacques Osinski (spectacle en anglais, surtitrage en français de Philippe Djian)
Créé en 2006 à l’Amphithéâtre de l’Opéra-Bastille, le spectacle trouve une nouvelle vie grâce à ce metteur en scène dont on peut revoir, dans ce même Athénée-Théâtre Louis-Jouvet, le remarquable Cap au pire de Samuel Beckett avec Denis Lavant (voir Le Théâtre du Blog). Sous ce titre énigmatique : Into the little hill, le spectacle est une version actualisée du Joueur de flûte de Hamelin, une histoire moyenâgeuse que les frères Grimm popularisèrent dans le recueil des Légendes allemandes (1816)… En Angleterre, le conte apparaît dès 1605 sous la plume d’un polémiste, avant d’être repris par un pasteur dont le récit édifiant inspira Robert Browning pour The Pied piper of Hamelin (1842). Heinrich Heine, Achim von Arnim, Clemens Brentano ou Prosper Mérimée s’emparèrent aussi de la légende…
En poète de la scène, Martin Crimp adapte à son tour cette œuvre intemporelle par les peurs qu’elle traduit: celle des rats associés à l’envahisseur, à la maladie et la mort. Il est aussi question de l’ingratitude des hommes: un étranger qui a délivré la ville du fléau en emmenant les rats hors de la ville, en jouant de la flûte, vient maintenant réclamer son dû. Mais les édiles ne tiennent pas parole. Alors, pour se venger, et en jouant de cette même flûte, il entraîne les enfants, jusqu’au plus profond de la terre, comme il l’avait fait pour les rats…De magique, la musique devient nocive…
Il y avait pour le dramaturge et le compositeur britanniques matière à un opéra contemporain de par sa forme musicale et narrative. Le texte, écrit au cordeau, gomme les connotations romantiques attachées à cette œuvre noire et s’ancre sur le monde moderne. Il imbrique dialogues et narration, dans une langue concise, ciselée pour la musique minimaliste de George Benjamin. Une partition pour deux solistes accompagnées par un orchestre réduit à quinze instruments, mêlant bizarrement cors de basset, cymbalum, mandolines et banjos à des violons et à un trombone.
La battue du chef Alphonse Cemin, un peu trop sage, n’empêche pas l’excellent Ensemble Carabanchel de faire entendre cette musique à la fois abrupte et mélodique, sans pour autant réussir à la faire vraiment décoller. Elise Chauvin (soprano aux aigus bien tenus) et Camille Merckx (alto à la tessiture nuancée) chantent tous les rôles de ce drame en neuf épisodes: Le Narrateur, Le Ministre, sa femme, leur fille, L’Étranger et la foule paniquée par les rats criant «Tuez-les Tuez-les! » au Ministre qui, pour gagner les élections, se résoudra, malgré ses convictions écologiques et les suppliques de sa fille, à exterminer les envahisseurs.
En prologue, la flûte de Claire Luquiens retentit dans le noir, grêle et hésitante comme des pépiements d’oiseaux, puis trouve son envol dans de courts phrasés. Mais ce solo, Flight, œuvre de jeunesse du compositeur, peine à trouver la tonalité dramatique que George Benjamin atteint dans la partie orchestrée notamment avec un beau morceau de flûte basse, joué par la même interprète.
Jacques Osinski a choisi la simplicité pour servir cet opéra de chambre et privilégie le chant en plaçant le plus souvent ses interprètes à l’avant-scène. Les vidéos colorés d’Yann Chapotel rompent heureusement cette austérité, animant telles des lanternes magiques la chambre de la petite fille ; le graphisme renvoie aussi à Maus, la bande dessinée de l’Américain Art Spiegelmann, désignant clairement les rats comme des êtres errants de par le monde, menaçant les braves gens qui vivent dans nos vertes collines.
Réalisation et scénographie donnent une belle théâtralité à cette œuvre dont la musique, pourtant solidement architecturée, reste ici un peu en retrait. On pourra suivre l’évolution du duo Martin Crimp/George Benjamin avec Lessons in Love and Violence, un opéra plus ample, créé au Royal Opera House de Londres dans une mise en scène de Katie Mitchell et qui sera joué du 15 au 26 mai, à l’Opéra de Lyon.
Mireille Davidovici
Jusqu’au 20 avril, Athénée-Théâtre Louis-Jouvet, 7 rue Bourdeau Paris (IX ème)