Printemps de la danse arabe: Les Architectes de Youness Atbane et Youness Aboulakoul

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Printemps de la danse arabe :

 Les Architectes de Youness Atbane et Youness Aboulakoul

 Ce spectacle clôture la programmation de cette année au Tarmac qui va définitivement fermer ses portes… Youness Atbane, l’initiateur du projet, vit et travaille entre Casablanca et Berlin. Ses performances et sa pratique artistique s’exercent sur « le rapport critique et burlesque au champ de l’art, à ses acteurs et à sa géopolitique, et elle est plus largement axée sur une recherche du croisement entre les disciplines dites contemporaines ». Youness Aboulakoul, lui, né à Casablanca, vit à Paris. Il a commencé par la danse hip-hop et participé à de nombreuses créations de chorégraphes : Olivier Dubois, Radhouane El Meddeb, Christian Rizzo…  Et il est l’auteur de l’univers sonore de cette pièce.

 Dans le noir complet, deux colonnes de carrés noir et blanc, irradient de leur lumière le fond de scène. Bientôt deux hommes apparaissent, et sans plus de façon soulèvent des écrans d’ordinateurs d’où émanent figures géométriques, colibris et vues urbaines… Puis des courbes asymptotiques et enfin des billets verts. Un tel lancement, dans la fluidité et la fantaisie, laisse augurer une créativité bienvenue. La lumière revenue, ces artistes marocains nous mettent sur la voie d’une complicité d’adolescents, quand l’un d’eux s’empare d’un micro face public. Nous sommes prévenus : il y aura du loufoque, on peut faire art de tout et on ne se prendra pas au sérieux.

 Ils se mettent à élaborer des échafaudages instables d’éléments cylindriques : pots de fleurs, boîtes de crayons, mugs, bouteilles… allusion aux objets emportés par les traders quittant leurs bureaux après la crise de 2.008, point de départ imaginaire pour créer  leur spectacle. Après une catastrophe, ces rebuts du quotidien vont-ils permettre d’imaginer un avenir? Avec eux, une histoire se raconte : celle de Youness, qui a quitté le Maroc pour Paris. Comme  ces deux artistes se prénomment Youness,  le prénom devient le nom générique de leur duo.. Et ce soir, tous les exilés s’appellent Youness…

L’exil est figuré par une sorte d’armature métallique, s’ouvrant et se fermant sous des angles et des géométries variables et incongrues : l’abstraction d’une vie dessinée dans l’espace.  Pendant ce temps, la course des objets cylindriques instables, s’arabesque en chutes puis se ramasse en vrac, comme les jeux de construction des enfants : détruire, reconstruire, inventer, réinventer, jouer et rejouer à l’infini…Bientôt, apparaissent pour ramasser ces objets, de grands cartons qui deviendront maisons pour de nouveaux jeux. Par les fentes, chacun fait jaillir billets verts, mots et rébus. Ces étranges volumes à deux pattes, figures de rêve ou de cauchemar, errent sur le plateau et envoient des indices, via leurs messages : à nous de les décoder.

Les interprètes jouent de leurs corps, comme les objets qu’ils manipulent, avec une légèreté de sens et une fantaisie inventive qui font oublier la notion même de chorégraphie. Ils nous emmènent dans leur univers, ni tout à fait conceptuel, ni vraiment narratif.  A marcher à l’ombre d’images mystérieuses et légèrement décalées, à suivre leur langage réduit à des claquements de langue, nous avons compris bien des éléments de l’histoire de ces Youness (la fuite, l’identité cachée, le scandale du corps masculin dansant au Maroc)…

Nous avons aimé l’ironie de leurs actes. Nous avons frôlé le monstrueux et le fantastique, grâce à leurs gestes minuscules et poétiques. Nous avons eu envie de bricoler avec eux des jeux de fortune, avec tout ce qui nous tombe sous la main. Et nous avons souri  quand ils ont parlé anglais, comme dans les spectacles   »internationaux ». Mais  quand  ils quittent leur univers enfantin et dérivent vers des gestes plus formatés, leur spectacle fait  pschitt… Sur les perversités du marché de l’art et sur l’abus de performances lors des vernissages, on aimerait entendre un discours plus décoiffant. A rester au bord du sujet, ils donnent l’impression d’être eux-mêmes pris dans les limites de ce qu’ils dénoncent et prisonniers de ce qu’ils figurent : des adolescents jouant avec les codes de la représentation.

Alors qu’ils sont présents ici dans un lieu théâtral, on peut s’interroger sur la pertinence d’une telle installation scénique frontale : leur propos résonnerait autrement plus juste avec un public intégré à l’expérience.

Marie-Agnès Sevestre

 Spectacle vu au TARMAC, le 18 avril,

Printemps de la danse arabe  au  festival JUNE EVENTS à la Cartoucherie de Vincennes le 5 juin : soirée en double programme avec Danya Hammoud et Fouad Boussouf.

Etape de travail de Continent (titre provisoire), Danya Hammoud et Näss [les gens], Fouad Boussouf, à 21h

 

 


Archive pour 19 avril, 2019

Trissotin ou Les Femmes savantes de Molière, mise en scène de Macha Makeïeff

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Trissotin ou Les Femmes savantes de Molière, mise en scène de Macha Makeïeff

 

Nous vous avions déjà parlé il y a trois ans déjà de ce spectacle au titre d’origine qui, depuis, a été joué un peu partout en France. Les jeunes Clitandre et Henriette s‘aiment mais Philaminte, la mère de cette dernière, et sa belle-sœur Bélise, admirent Trissotin, mauvais poète (et une sorte de cousin de Tartuffe). qui lorgne l’argent de cette famille bourgeoise. Le beau Clitandre en a pincé longtemps pour l’intelligente Armande mais elle l’a repoussé.  Il s’est alors  consolé avec  sa sœur  Henriette et ils veulent se marier… Bien entendu, Armande, jalouse, cherche à empêcher le mariage des  amoureux. Le mari de Philaminte, Chrysale et son frère Ariste, sont, eux, plus lucides et favorables à ce mariage mais lâches et impuissants devant cet hypocrite pantin tout en noir aux cheveux très longs qui les fascine. Et Chrysale a bien du mal à contredire Philaminte qui veut absolument offrir sa fille à Trissotin.

Trois contre trois! Qui va gagner? L’intelligente Armande est, elle, jalouse de voir sa sœur s’envoler avec son ancien amoureux et semble vouloir régler ses comptes.  Le mariage d’Henriette et Clitandre est donc compromis  mais Chrysale, devenu enfin plus ferme, tiendra enfin tête à sa femme, avec l’aide de Martine, la servante renvoyée par Philaminte (car elle ne respectait pas les règles de la grammaire !) et qu’il a réengagée. Ariste, lui, en bon deux ex-machina, arrivera à prouver,  (mais grâce à de faux documents !), la duplicité de Trissotin qui sera ainsi mis en échec. Et Henriette pourra donc épouser son cher Clitandre…

Cette comédie écrite par Molière en 1672, donc un an avant sa mort, a quelque chose d’assez amer. Mais c’est surtout une satire de ses contemporains  où il dénonce une société corsetée. Et le grand dramaturge met habilement le doigt où cela fait mal: la misogynie, les méandres de la sexualité mais aussi l’évidence de la libido chez la célibataire endurcie mais érotomane de cette folle de tata Bélise, tout cela sur fond de dot et de placements d’argent.  Dépassée, et totalement vieillotte, cette histoire? Que nenni ! Cela rappelle l’histoire de ce Thierry Tilly qui dut répondre de séquestration et violences volontaires sur personne vulnérable et d’abus frauduleux. Il y a quelques années, il était arrivé à  détourner argent et château d’une riche famille bordelaise où il s’était introduit…

Molière montre ici le délire d’une mère et de sa fille, sous l’influence d’un gourou faux intello, séducteur ridicule. Mais ce dangereux stratège vise aussi la dot d’une des filles pour arriver à ses fins et profiter cyniquement d’un confort bourgeois: «Pourvu que je vous aie, il n’importe comment». Cela a au moins le mérite de la clarté et nous rappelle étrangement les mots cyniques d’un ami de nos parents:« L’une ou l’autre, qu’importe, c’est la maison qui m’intéresse. »

Et notre grand auteur parle aussi d’une nécessaire émancipation des femmes et a écrit une pièce aussi souvent comique que pathétique, où fleurissenrt mensonges, stratégies amoureuses ou pseudo-amoureuses, manipulations et surtout incapacité du père à prendre ses responsabilités. La critique sociale est virulente quand il montre cette maisonnée où tout part en vrille et où on est parfois tout proche de la folie pure et d’un désastre final avec une jeune et belle Henriette, possiblement sacrifiée, par bêtise,  à Trissotin.

Macha Makeïeff a composé une sorte de galerie de personnages à la fois pittoresques, ridicules et parfois touchants. Et il y faudra, comme dans Tartuffe, un coup de théâtre avec l’astucieuse manipulation d’Ariste pour rétablir un ordre social en faillite. «Toquée, comme elle dit, de Molière, la metteuse en scène avoue être  fascinée par cette langue «si forte, puissante et difficile, inventive et musicale, écrite en alexandrins sonores». Et elle a parfaitement réussi à faire entendre cette «pièce immense». En mettant surtout l’accent sur le personnage de Trissotin et en montrant comment ces femmes intelligentes, sont soumises soit aux délices d’un certain pédantisme, soit au sexe, à la puissance maternelle, à la jalousie,  et qui veulent se faire une place dans un monde d’hommes…Bref, personne n’est épargné: les femmes sont souvent manipulatrices comme  Trissotin, et les autres hommes, toutes générations confondues, assez peu courageux…

Tout cela, bien vu et finement interprété. La metteuse en scène bouscule les repères traditionnels et a situé les choses plutôt du côté de la farce, dans les années 60 : costumes déjantés et gags en série séries, comme ce téléphone mural qui ne fonctionne pas, et une scénographie qui rappelle celles des spectacles qu’elle avait conçus et mis en scène avec Jérôme Deschamps. Avec, entre autres, des portes battantes comme celles de leur fameux Lapin-Chasseur.
Sur le plateau, très second degré comme dans nombre de leurs spectacles précédents, une vingtaine de chaises, fauteuils et banquettes disparates et souvent d’une rare mais volontaire laideur (cela a depuis été souvent copié (voir dans Le Théâtre du blog, La Volupté de l’Honneur). A cour, une sorte de laboratoire vitré où Philaminte et Bélise se livrent à des expériences de chimie. Bélise notamment, verse un liquide transparent dans une éprouvette, qui, en se transformant en fumée blanche, prend la forme d’un phallus !

Où en est ce spectacle quelque trois ans après?  Il y a grosso modo, les mêmes et grandes qualités. Macha Makeieff sait diriger ses comédiens et Marie-Armelle Deguy est toujours aussi remarquable en Philaminte, comme  Geoffroy Rondeau (Trissotin) à la formidable présence, Karyll Elgrichi réussit à imposer brillamment le personnage secondaire de Martin, et Vanessa Fonte crée un belle et fragile Henriette. Ce n’est plus Thomas Morris, comédien et chanteur lyrique qui joue Bélise mais Anna Steiger, excellente comme Vincent Winterhaller  (Chrysale). Tous absolument crédibles et attachants, même quand ils sont ridicules, dès qu’il entrent sur le plateau et le plus petit rôle est bien tenu, avec une belle unité de jeu et de solides arrangements musicaux de Jean Bellorini. Et le spectacle commence plus vite.

Du côté des réserves, il y a toujours des gags inutiles et Macha Makeieff aurait pu épargner à son Arthur  de fils, de nettoyer les vitres très en hauteur debout sur une échelle ou de trimballer sans raison des valises, en entrant et sortant sans cesse par des portes battantes. Et il y a toujours des expériences de chimie un peu longuettes, comme le dialogue entre Trissotin et Vadius qui aurait pu être un peu coupé,  et cette étagère toute en hauteur  et chargée de livres qui se décroche  comme dans la plus pure tradition des Deschiens. Comme si Macha Makeieff ne pouvait résister à s’emparer d’un gag.  Rien de grave mais cela casse un peu le rythme et pollue visuellement un travail de grande qualité…
Et presque quatre siècles plus tard, la pièce reste d’une rare intelligence, grâce à Macha Makeïeff qui n’a  en rien triché, comme le font souvent les metteurs en scène quand ils essayent de monter des classiques. On sent qu’elle aime vraiment Molière. Mais là dans cette salle pas très sympathique,  il faudrait d’autant plus qu’elle resserre les boulons : il y a  parfois de sérieuses baisses de rythme et la diction est parfois  un peu relâchée… Macha Makeïeff avait eu raison de faire appel à Valérie Bezançon qui avait fait travailler les alexandrins de ce texte fabuleux. Mais on ne voit plus son nom dans le programme .Par ailleurs, le bas du décor est devenu sale et mériterait un coup de peinture :  il n’y a pas de détails dans une mise en scène réussie…

Malgré ces réserves, Macha Makeieff, trois ans après, continue à gagner le tiercé : nous offrir de très bons comédiens, nous faire rire (ce n’est pas un luxe en ce moment : on est à deux pas de Notre-Dame !) et  nous faire entendre cette langue française formidable qui nous appartient à tous. Comme un trésor vivant, sans que nous en soyons toujours bien conscients, avec, ici,  jeux de mots savoureux à la clé: «Quand on se fait entendre, on parle toujours bien, dit Martine à Bélise qui réplique: « Veux-tu toute ta vie, offenser la grammaire? » Ce à quoi, Martine lui répond : «Qui parle d’offenser grand’mère ni grand’père ? » Et Chrysale avoue : «Je vis de bonne soupe, et non de beau langage.»

Le public, (pas très jeune, malheureusement: les places ne sont pas données!), est ravi. Allez (re) découvrir cette pièce montée en farce. Et entendre notre langue, comme disait Antoine Vitez.  Alors que des slogans imbéciles en anglais continuent à s’épanouir sur les affiches publicitaires du métro. Ce qui ne paraît déranger en rien les ministres de la Culture qui se sont succédé depuis quelques années…

Philippe du Vignal

Jusqu’au 10 mai, La Scala, 13 boulevard de Strasbourg, Paris (X ème). T. : 01 40 03 44 30.

 

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