Ma Radio, histoire d’amour de Philippe Meyer,mise en scène de Benoît Carré
Ma Radio, histoire d’amour de Philippe Meyer, mise en scène de Benoît Carré
C’est à la fois une sorte de récit autobiographique, parsemé de quelques chansons de cet homme que les jaloux ont parfois et faussement qualifié de touche à tout. Il est, en fait, est doué pour beaucoup de choses. Il a fait des études de sociologie et soutenu une thèse L’Enfant et la raison d’État, sous la direction de Philippe Ariès. Il a aussi animé des émissions consacrées à la musique classique à France Inter et sur M 6 avec Revenez quand vous voulez puis sur Anicroches sur Arte Il sera aussi maître de conférence (sociologie des médias) à Sciences-Po. Il écrivit dans plusieurs hebdomadaires puis fit les beaux jours avec plusieurs émissions, de France-Culture et France-Inter, notamment avec sa célèbre La prochaine fois, je vous le chanterai.
Il est aussi auteur et acteur de solos, notamment au Théâtre de la Ville et de spectacles sur la chansons à la Comédie-Française. Il a donc, et ce n’est pas incompatible mais rare : une grande connaissance de la musique classique et de la chanson, une bonne expérience de la scène, une solide culture socio-politique, une œuvre d’écrivain et d’homme de radio avec des textes qu’il avait admirablement ciselés en grand amoureux de la langue française qu’il est. Il suffit de relire Paris la Grande et ses billets matinaux à France Inter et dont, pour certains, on se souvient encore. Cela s’appelait: Le Progrès fait rage puis Le Futur ne manque pas d’avenir avec une fameuse antienne : Heureux habitants de la Lozère (il changeait le département à chaque émission) et autres départements français mais la conclusion restait identique d’un billet à l’autre: «Je vous souhaite le bonjour. Nous vivons une époque moderne. »
Il a une voix au timbre chaleureux, reconnaissable entre toutes, et un ton caustique quand il a envie de se mêler de ce qui ne le regarde pas et/ou d’appeler un chat un chat, quelle que soit la personnalité ou la couleur politique de la victime. Ce qui, on s’en doute, ne lui a pas valu que des amis. Il a aussi une excellente diction et on l’écouterait des heures quand il raconte comme sur la petite scène du Lucernaire, avec une grande simplicité, anecdotes et aventures diverses dans le monde du journalisme et de la radio. Ou quand il parle de ses rencontres -et les Dieux savent s’il en a rencontré des gens, du milieu politique et artistique- mais il sait aussi bien parler des habitants de l’Aveyron auquel il est très lié (il a aidé à la rénovation de l’ancien palais de justice historique d’Espalion pour en faire une résidence d’artistes) et du Cantal (président du festival Eclats d’Aurillac, il y organise aussi une saison musicale).
Comme il le raconte ici, il fut d’abord un très jeune auditeur parfois (en cachette) de la radio avec un poste à galène. Il écoutait à la fois Jean-Sébastien Bach ou Charles Trenet. Et des émissions- culte que tous les collégiens adoraient comme Signé Furax ou Les Maîtres du Mystère… Une consolation pour celui qui, né en 1948, vécut la fin de l’après guerre dans une maison- il reste pudique- où ne devait pas régner beaucoup d’amour. Puis ses parents achetèrent un gros poste de radio Telefunken. Il écoutait déjà les chansons françaises et n’a jamais renié ce très riche patrimoine populaire qui, souvent méprisé par les intellectuels, dit pourtant bien de choses sur la société française. Et logique, il conçut et anima La prochaine fois, je vous le chanterai, dont il emprunta le titre à une pièce du dramaturge anglais James Saunders (1925-2004). C’était une émission hebdomadaire à France Inter de 2000 à 2016 des plus brillantes consacrée aux chansons, françaises ou non.
Philippe Meyer a, entre autres, une passion que nous partageons pour les remarquables Frères Jacques. Ici, on sent, quand il en parle sur ce petit plateau donc très proche de nous, qu’il est encore bouleversé par la subite disparition de La prochaine fois, je vous le chanterai, même si dans ce spectacle, il reste discret là-dessus. Frédéric Schlesinger, directeur des programmes de Radio-France, le pria en effet sans que personne, y compris Philippe Meyer, en comprenne les raisons, de se consacrer exclusivement à Esprit Public sur France Culture. En fait, cela sentait le règlement de comptes: cette émission-culte battait en effet un record d’audience avec 1,78 million d’auditeurs… Mais il aurait, dit-on, payé son opposition à Mathieu Gallet, directeur général de Radio France à l’époque…
De tout cela, de sa vie aussi riche que passionnante, Philippe Meyer parle simplement et avec précision. La plupart du temps debout et sans notes sinon quelques documents posés sur une petite table en bois. Et, accompagné par son vieux complice Jean-Claude Laudat à l’accordéon, il chante aussi quelques chansons. Le tout efficacement mis en scène par Benoît Carré. Il sait être aussi, comme peu d’acteurs, vraiment émouvant. On sent chez lui de la nostalgie mais aussi parfois, une certaine tristesse dans la voix… Ici, c’est quarante ans de passions évoqués sans pathos avec humour et vraie gourmandise de la vie. Et à la fin, un rappel-cadeau: il chante (Notre-Dame n’avait ps encore brûlé!) une quarantaine de chansons sur Paris…. Enfin, juste un vers de chacune à la file: brillant! Le public l’a longuement applaudi et les quelques jeunes gens présents aussi, même si Philippe Meyer parle de temps qu’ils n’ont pas connus. (Mais on est toujours celui n’a pas connu le temps de l’autre!) Et, à travers cette histoire amoureuse de la radio, ils appréciaient son incontestable talent de conteur. Le spectacle qui se jouait seulement le dimanche soir, le sera, vu son grand succès, aussi en semaine. Ne le ratez pas: ce genre de solo ne court pas les rues… Et par les temps actuels, cela fait du bien: nous vivons en effet une époque moderne, comme dit Philippe Meyer…
Philippe du Vignal
Théâtre du Lucernaire, 53 rue Notre-Dame des Champs, Paris (VI ème). T. : 01 45 44 54